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Publié le 1 octobre 2011 par Soulier Avocats

L’interdiction de revente sur internet : un crime de lese-majeste ?! (cf. arrêt de la CJEU du 13 octobre 2011)

Comme évoqué dans notre e-newsletter de mai 2011, les praticiens du droit autant que les animateurs de réseaux de distribution sélective attendaient impatiemment que la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) réponde à la question préjudicielle soulevée le 10 novembre 2009 par la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (ci-après « PFDC »), à savoir :

« L’interdiction générale et absolue de vendre sur Internet les produits contractuels aux utilisateurs finals imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d’un réseau de distribution sélective constitue-t-elle effectivement une restriction caractérisée de la concurrence par objet au sens de l’article 81, paragraphe 1 du traité CE échappant à l’exemption par catégorie prévue par le règlement n°2790/1999 mais pouvant éventuellement bénéficier d’une exemption individuelle en application de l’article 81, paragraphe 3, du traité CE ? »

On pourrait croire que l’attente a pris fin le 13 octobre 2011, la CJUE ayant rendu son arrêt ce jour là[1]. Malheureusement, à la lecture de cet arrêt, on reste sur sa faim…

En effet, la CJUE semble avoir ignoré l’enjeu réel, au plan pratique, de la question qui lui était posée. Même la réponse théorique donnée est loin d’être aboutie et laisse un sentiment de frustration au plan intellectuel.

En l’occurrence, la CJUE ne joue pas son rôle de « guide » et laisse en réalité à la Cour d’appel de Paris la lourde tâche de trancher seule la question de la licéité de la clause d’interdiction de revente sur Internet stipulée par PFDC. L’enjeu est de taille et il ne semble pas exagéré de dire que la Cour de renvoi tient donc entre ses mains le destin des réseaux de distribution sélective.

Ne reste donc plus qu’à attendre, de nouveau, l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris…

Après avoir rappelé les termes de la décision de l’Autorité de la concurrence du 29 octobre 2008[2] qualifiant la clause introduite par PFDC dans ses conditions générales[3] de « restriction à la concurrence contraire à l’article 81 CE et à l’article L.420-1 du Code de commerce », la CJUE décide, comme l’avait d’ailleurs fait l’Avocat Général dans ses conclusions du 3 mars 2011, de répondre à la question préjudicielle posée par la Cour d’appel de Paris en trois étapes.

1 : Première étape : La clause d’interdiction de revente par Internet insérée par PFDC dans ses conditions générales de vente est-elle une restriction caractérisée au sens de l’article 101§1 du TFUE (ex-article 81 du TCE) ?

A titre liminaire, la CJUE rectifie la formulation de la question posée par la Cour d’appel de Paris en rappelant que la notion de restriction « caractérisée » n’existe pas aux termes de l’article 101 TFUE, ni même dans le règlement d’exemption par catégorie n°2790/1999. Ces textes communautaires ne font référence qu’à la notion de restriction de concurrence « par objet » (par opposition à la restriction de concurrence « par effet »).

Cette correction sémantique faite et s’agissant de la qualification de la « restriction de concurrence par objet », la CJUE rappelle que son rôle consiste simplement à fournir les éléments d’interprétation du droit de l’Union et qu’en tout état de cause, « il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si la clause contractuelle en cause interdisant de facto toutes les formes de vente par Internet peut être justifiée par un motif légitime » (point 42).

Tout en ne se prononçant pas concrètement sur la clause litigieuse, la CJUE ne lui laisse pour autant aucune chance : le rappel du droit de l’Union semble n’être là que pour convaincre la Cour d’appel de Paris que la clause insérée par PFDC est une restriction de concurrence « par objet » (dont il faut rappeler qu’il s’agit, par essence, des restrictions les plus graves au droit de la concurrence).

Tout en considérant que « dans le cadre du réseau de distribution sélective de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, les revendeurs sont choisis sur la base de critères objectifs de caractère qualitatif, qui sont fixés de manière uniforme pour tous les revendeurs potentiels » (point 43), la CJUE sous-entend néanmoins que les clauses 1.1 et 1.2 des conditions générales de vente PFDC (interdisant de facto la revente par Internet) sont disproportionnées au regard de ce qui serait nécessaire pour préserver la qualité et assurer le bon usage des produits concernés.

A l’appui, la CJUE cite deux décisions relatives à la vente de médicaments non soumis à prescription médicale[4] et à la vente de lentilles de contact[5] aux termes desquelles elle n’a pas retenu « au regard des libertés de circulation, les arguments relatifs à la nécessité de fournir un conseil personnalisé au client et d’assurer la protection de celui-ci contre une utilisation incorrecte de produits » (point 44).

Il semble à cet égard quelque peu étrange de motiver le rejet d’un argumentaire visant à démontrer l’objectif légitime de restriction de concurrence « au regard des libertés de circulation » ! La préservation de la liberté de circulation dans l’espace communautaire obéit-elle nécessairement aux mêmes critères que la protection de la concurrence ? On est raisonnablement en droit d’en douter.

Par ailleurs, la CJUE considère que la préservation de l’image de prestige des produits ne saurait en aucun cas être considérée comme un objectif légitime d’une restriction de concurrence.

C’est donc par une formule sibylline que la CJUE tente d’influencer la Cour d’appel de Paris dans le sens de la qualification de la clause litigieuse de « restriction de concurrence par objet » sauf à ce que « à la suite d’un examen individuel et concret de la teneur et de l’objectif de cette clause contractuelle et du contexte juridique et économique dans lequel elle s’inscrit, il apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause » cette clause est objectivement justifiée (point 47).

La Cour d’appel de Paris n’est pas plus avancée aujourd’hui qu’au moment où elle soulevait la question préjudicielle…

2)  Seconde étape : dans l’hypothèse où la clause litigieuse serait restrictive « par objet », peut-elle prétendre au bénéfice de l’exemption par catégorie ?

A cet égard, la CJUE rappelle qu’aux termes des articles 2 et 3 du règlement 2790/1999, l’animateur d’un réseau de distribution sélective peut prétendre à l’exemption par catégorie si sa part de marché est inférieure à 30%. Or, au point 11 de sa décision, la CJUE indique que PFDC ne détient que 20% du marché.

Toutefois, la CJUE précise qu’en toute hypothèse la pratique restrictive de concurrence concernée ne saurait compter parmi les clauses visées à l’article 4 du Règlement 2790/1999, de telles clauses « noires » faisant automatiquement perdre le bénéfice de l’exemption par catégorie, indépendamment de la part de marché détenue par leur auteur.

Parmi ces clauses « noires », figurent celles qui ont, aux termes de l’article 4(c) du Règlement susvisé «  pour objet la restriction des ventes actives ou des ventes passives aux utilisateurs finals par les membres d’un système de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, sans préjudice de la possibilité d’interdire à un membre du système d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé ».

PFDC, dans son argumentaire, avait bien tenté de justifier que l’interdiction de facto de vendre par Internet équivalait en réalité à interdire à un membre du système d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé, ce qui était permis aux termes de l’article 4 (c) in fine.

Mais cette interprétation est rejetée par la CJUE qui considère que l’expression « à partir d’un lieu d’établissement non autorisé » ne vise que « les points de vente où des ventes directes se pratiquent ».Toutefois, la CJUE est moins radicale à cet égard que ne l’était l’Avocat Général dans ses conclusions : alors que ce dernier rejetait l’argumentaire de PFDC en considérant que Internet n’était pas un « établissement » mais un « mode de commercialisation », la CJUE considère que « la question qui se pose est de savoir si ce terme peut être étendu, par une interprétation large, au lieu à partir duquel les services de vente par Internet sont fournis » (point 56).

Mais, craignant certainement d’avoir à analyser plus avant cette question, la CJUE botte en touche en considérant que, compte tenu de la possibilité offerte à toute entreprise de solliciter une exemption individuelle au sens de l’article 101 §3, « il n’y a pas lieu de donner une interprétation large aux dispositions qui font entrer les accords ou les pratiques dans l’exemption par catégorie ».

Aussi, en conclut-elle qu’ « une clause contractuelle, telle que celle en cause au principal, interdisant de facto Internet comme mode de commercialisation ne saurait être considérée comme une clause interdisant aux membres du système de distribution sélective concerné d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé au sens de l’article 4 (c) du règlement n°2790/1999 » (point 59).

3) Troisième étape : Est-il possible que la clause litigieuse puisse bénéficier d’une exemption individuelle au sens de l’article 101§3 TFUE ?

Là encore considérant qu’elle n’est pas en mesure de vérifier si les conditions prescrites à l’article 101§3 TFUE[6] sont réunies au cas d’espèce pour ouvrir droit à une exemption individuelle, la CJUE estime ne pas disposer « d’éléments suffisants pour apprécier si le contrat de distribution sélective satisfait aux conditions de l’article 101§3 TFUE, elle ne peut pas fournir d’indications supplémentaires à la juridiction de renvoi » (point 50).

Il incombe donc à la Cour d’appel d’effectuer les recherches utiles pour faire bénéficier PFDC de l’exemption individuelle le cas échéant.

Au total, il appartiendra à la juridiction de renvoi, seule, de se prononcer intégralement sur la question de la licéité de l’interdiction de facto de revente par Internet instaurée par PFDC.

Toujours est-il qu’il est de plus en plus à craindre que PFDC se voie contrainte d’accepter la revente de ses produits via Internet par ses distributeurs… cela porterait un coup sévère aux réseaux de distribution sélective dans leur ensemble, en ne leur laissant qu’une faculté résiduelle de limiter les modalités de vente via Internet.

Que fera la Cour d’appel de Paris laquelle avait considéré, dans sa décision du 29 octobre 2009, que PFDC avait fait état de moyens « sérieux » pour défendre sa position ?

Saura-t-elle résister à la pression mise conjointement par l’Autorité de la concurrence, la Commission européenne et maintenant la Cour de justice de l’Union Européenne, lesquelles vont toutes dans le sens de la condamnation, au sens des articles 101 TFUE et L.420-1 du Code de commerce, d’une clause interdisant la revente sur Internet dans un réseau de distribution sélective ?

Le suspense est à son comble…


[1] CJUE, affaire C-439/09 ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Cour d’appel de Paris, par décision du 29 octobre 2009, parvenue à la CJUE le 10 novembre 2009 dans la procédure.

[2] Décision de l’Autorité de la concurrence n°08-D-25.

[3]Pour rappel, l’article 1.1 des conditions générales des contrats de distribution PFDC stipule que chaque distributeur doit « justifier de la présence physique et permanente dans son point de vente, et pendant toute l’amplitude horaire de celui-ci, d’au moins une personne spécialement qualifiée par sa formation pour […] conseiller instantanément sur le point de vente le produit de [PFDC] le plus adapté au problème spécifique d’hygiène et de soin, notamment de la peau et des phanères, qui lui est soumis. Cette personne qualifiée doit être titulaire, pour ce faire, du diplôme de pharmacien délivré ou reconnu en France ». Aux termes de l’article 1.2, les produits ne peuvent être vendus que « dans un point de vente matérialisé et individualisé ».

[4] Arrêt Deutscher Apothekerverband, C-322/01 du 11 décembre 2003.

[5] Arrêt Ker-Optika, C-108/09 du 2 décembre 2010.

[6] Pour rappel, sont susceptibles de bénéficier d’une exemption individuelle les accords ou pratiques concertés qui « contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte et  ce sans (i) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, (ii) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence ».