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Publié le 24 février 2016 par Jean-Luc Soulier

Ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats : le principe de la force obligatoire du contrat battu en brèche par les nouvelles dispositions du Code civil

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats qui entrera en vigueur le 1er octobre 2016 a introduit dans le Code civil de nouveaux principes qui devraient modifier en profondeur le rôle du juge dans la solution des litiges entre cocontractants.

On retiendra tout particulièrement le caractère d’ordre public de l’obligation des parties de négocier et d’exécuter le contrat de bonne foi, un devoir d’information lors de la conclusion du contrat que les parties ne pourront ni limiter ni exclure, et l’imprévision qui autorisera désormais le juge à réviser ou à mettre fin à un contrat lorsqu’un changement de circonstances imprévisible rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie.

La loi du 16 février 2015 a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance des dispositions visant à moderniser et simplifier le droit des contrats.

C’est désormais chose faite avec l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, qui réécrit entièrement un pan entier du code civil de 1804. Publiée au Journal Officiel le 11 février 2016, elle entrera en vigueur le 1er octobre 2016.

Cette réécriture devrait être à l’origine d’importantes évolutions jurisprudentielles.

Le nouvel article 1103 du Code civil reprend quasiment à l’identique le premier alinéa de l’article 1134 qu’il a vocation à remplacer : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »

En revanche, l’alinéa 2 aux termes duquel « [les conventions] ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise », est supprimé.

Le nouvel article 1104 précise que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi » et que « cette disposition est d’ordre public ». Alors que l’alinéa 3 de l’article 1134 indiquait simplement que « [les conventions] doivent être exécutées de bonne foi. »

Une telle disposition devrait donner au juge un rôle plus important dans la résolution des conflits entre cocontractants, d’autant que l’exigence de la bonne foi est rappelée à plusieurs reprises dans la nouvelle rédaction des chapitres du Code civil consacrés aux sources des obligations, au régime général des obligations et à la preuve des obligations.

Aux termes du nouvel article 1112-1 :

« celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre partie doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ».

Il est donc instauré un devoir d’information à la charge des parties que celles-ci « ne peuvent ni limiter, ni exclure » par une disposition contractuelle.

Autant d’occasions pour le juge d’écarter « la loi du contrat » en venant au secours de la partie la plus faible ou la moins informée conformément à la tradition française.

Mais ce qui a retenu le plus l’attention, c’est l’introduction dans le Code civil d’une nouvelle cause d’exonération en matière de responsabilité contractuelle au côté de la force majeure : l’imprévision.

Aux termes du nouvel article 1195 du Code civil :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

A de rares exceptions près, la Cour de cassation s’est jusqu’à présent refusée à adapter, réviser ou résilier un contrat en raison d’un déséquilibre né d’un changement brutal, non prévu par les parties, des conditions économiques existantes au moment de la conclusion du contrat (effondrement du cours d’une monnaie, hausse considérable du prix d’une matière première etc…), et ce au motif que la théorie de l’imprévision contrarie le principe inscrit dans l’article 1134 du Code civil selon lequel les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Les juges des pays de Common law refusent aussi très majoritairement de faire application de la théorie de la « commercial impracticability » au motif que les parties peuvent anticiper la survenance d’un évènement de nature économique susceptible de rompre l’équilibre du contrat en insérant dans celui-ci une clause dite de « hardship » destinée à limiter ou partager les risques.

L’avenir dira comment les juges français vont assumer un rôle nouveau auquel les principes qui prévalaient jusqu’à présent ne les ont pas préparés. De quoi nourrir la E-newsletter et le Blog de notre cabinet dans les mois et les années à venir.