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Publié le 1 novembre 2013 par Laure Marolleau

Lancement du dispositif de participation du public

Le public n’a jamais été aussi informé. Il n’a jamais été aussi inquiet concernant l’environnement.

Que pensez du dispositif prévoyant sa participation à toutes les décisions prises par les autorités publiques ayant une incidence sur l’environnement, généralisé et encadré par la loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012, puis complété par l’ordonnance n° 2013-714 du 5 août 2013 ? 

Ce principe de participation du public nous vient du droit international, et plus précisément de l’article 6 de la convention d’Aarhus, signée le 25 juin 1998, qui prévoit une participation du public à la procédure d’autorisation de certaines activités. Signataire de la Convention, la Commission européenne a également mis en œuvre ce principe à travers plusieurs directives européennes[1]. Ces dispositions sont inspirées d’une procédure équivalente existant aux États-Unis depuis plus de 60 ans, le « Notice and comment ». 

En France, il existait certains dispositifs particuliers tels que les études d’impact, les enquêtes publiques et les concertations publiques et la loi du 23 février 1995, relative à la protection de l’environnement, dite « loi Barnier ». Mais c’est avec l’adoption de la Charte de l’environnement de 2004, adossée en 2005 à la Constitution, que ce principe a été consacré (Art. 7) puis, avec la loi du 12 juillet 2010 dite Grenelle 2 (L. 120-1 du code de l’environnement) mis en œuvre. 

Le Conseil constitutionnel ayant, et à plusieurs reprises, jugé non conformes à la Constitution plusieurs dispositifs spécifiques prévus dans le code de l’environnement et similaires à celui de l’article L. 120-1[2], puis l’article L. 120-1 lui-même[3], le Code de l’environnement devait être modifié.

C’est l’objet de la loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012, puis de l’ordonnance n°2013-714 du 5 août 2013 pour les dispositions qui concernent les décisions individuelles de l’État et de ses établissements publics, ainsi que toutes les décisions – réglementaires, d’espèce ou individuelles – des collectivités locales.[4] 

Force est de constater que le champ de cette participation est très étendu. La nouvelle procédure proposée vise toutes les décisions publiques, quelles que soient leur nature et l’autorité dont elles émanent. Des milliers de décisions quotidiennes sont en jeu. Des moyens humains et techniques importants sont à mobiliser. Un contentieux est susceptible de se développer si la procédure de participation n’est pas respectée.

Quel public ? 

Le Code de l’environnement ne définit pas le terme « public », mais l’idée est de permettre à toute personne, et non uniquement au « public concerné » visé par la Convention d’Aarhus[5], de participer au processus de décision. D’ailleurs, la Charte de l’environnement prévoit bien que « toute personne » a le droit d’accéder aux informations, sans évoquer le « public concerné ».

Quelles décisions ? 

Le régime juridique de la procédure de participation du public varie en fonction des catégories de décisions, telles qu’elles résultent du droit public, qu’il n’est cependant pas toujours aisé de distinguer : d’une part « les décisions individuelles » visées à l’article L. 120-1-1, et de l’autre « les décisions, autres que les décisions individuelles » visées à l’article L. 120-1. 

De par leur multiplicité ou leur diversité, il est apparu judicieux de ne pas soumettre les décisions individuelles au même processus de participation que les décisions à caractère réglementaire. 

On comprend que « les décisions autres que les décisions individuelles » sont les décisions règlementaires et les décisions d’espèces (ces dernières sont définies comme ne revêtant ni le caractère de décision individuelle ni de décision réglementaire : un classement de site, par exemple, ou une préemption). 

Par contre, le dispositif ne se limite plus aux décisions prises par « les autorités de l’Etat, y compris les autorités administratives indépendantes, et de ses établissements publics » mais vise plus généralement celles prises par « les autorités publiques ». 

Les décisions concernées sont celles qui ont une « incidence sur l’environnement », sachant que « ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l’environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif. »[6] 

Vaste débat que celui de décider qu’une décision a un effet direct ou significatif, et donc une « incidence », sur l’environnement, tandis qu’une autre a un effet seulement indirect ou non significatif, et est donc dépourvu d’incidence sur l’environnement ? 

Il s’agit là d’une notion très floue mais, selon l’exposé des motifs du projet de loi, « Il n’en résultera pas pour autant que toute décision susceptible d’avoir un effet quelconque sur l’environnement entrera dans le champ d’application de ce dispositif, cet effet devant être suffisamment caractérisé, dans des conditions que la jurisprudence sera appelée à préciser, pour constituer une« incidence » au sens de l’article 7. » 

C’est donc au juge administratif qu’il appartiendra, en cas de contestation, de déterminer les conditions à réunir pour caractériser l’ « incidence sur l’environnement ». 

Le juge constitutionnel a déjà confirmé que « certaines décisions (qu’elles soient individuelles ou réglementaires) pouvaient être regardées comme ayant en elles-mêmes une incidence trop faible sur l’environnement pour que la participation du public soit constitutionnellement requise ».[7] 

Si l’on prend l’exemple des enseignes lumineuses, la jurisprudence constitutionnelle nous indique que : « les décisions relatives aux emplacements de bâches comportant de la publicité et à l’installation de dispositifs publicitaires de dimensions exceptionnelles liés à des manifestations temporaires ne constituent pas des décisions ayant une incidence sur l’environnement au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement », en précisant cependant que « si la définition du régime applicable à l’installation des enseignes lumineuses constitue une décision ayant une incidence sur l’environnement au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement, (…) chaque décision d’autorisation d’installation de ces enseignes n’a pas, en elle-même, une incidence significative sur l’environnement». [8]

On le voit, l’équilibre entre la participation du public et la sécurité juridique est précaire. Par exemple, s’agissant des produits phytopharmaceutiques, le Ministre de l’agriculture a décidé de soumettre à la consultation les « décisions d’autorisation, de modification d’autorisation et de retrait, ayant un effet direct et significatif sur l’environnement » mais pas les « décisions de modifications administratives, celles entraînant un partage du marché ou une utilisation mineure d’un PPP, ainsi que celles portant sur des produits à faible risque ». 

De même, s’agissant des autorisations de travaux de recherches en Nouvelle-Calédonie, le juge constitutionnel a indiqué que de par la nature des substances minérales susceptibles d’être recherchées (cobalt, nickel, chrome) et les techniques utilisées (aire-core et sondage carotté) elles ne constituaient pas des décisions susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement.[9] A contrario, dans d’autres circonstances, en fonction des substances minérales recherchées et des techniques utilisées, elles pourraient avoir une incidence sur l’environnement.

Enfin, la loi étant entrée en vigueur le 1er janvier 2013, et l’ordonnance le 1er septembre 2013, sans dispositions transitoires particulières,  faut-il considérer que ces textes sont d’application immédiate aux dossiers en cours à la date de l’entrée en vigueur et pour lesquels aucune décision n’était intervenue à cette date ?

Quelle portée ? 

Ce dispositif a un caractère supplétif. Il vise uniquement les actes administratifs non soumis à d’autres opérations de consultation, enquête publique, commission nationale du débat public, etc. 

Il ne s’applique pas aux « décisions qui modifient, prorogent, retirent ou abrogent une décision appartenant à une telle catégorie »[10], aux « décisions des autorités publiques prises conformément à une décision autre qu’une décision individuelle ou à un plan, schéma ou programme ou tout autre document de planification ayant donné lieu à participation du public, lorsque, par ses dispositions, cette décision ou ce plan, schéma, programme ou document de planification permet au public d’apprécier l’incidence sur l’environnement des décisions susceptibles d’être prises conformément à celui-ci », et aux « décisions individuelles prises dans le cadre de lignes directrices par lesquelles l’autorité administrative compétente a défini des critères en vue de l’exercice du pouvoir d’appréciation dont procèdent ces décisions, sous réserve que ces lignes directrices aient été soumises à participation du public dans des conditions conformes à l’article L. 120-1, que leurs énonciations permettent au public d’apprécier l’incidence sur l’environnement des décisions individuelles concernées et qu’il n’y ait pas été dérogé » (L.120-2).

Logiquement, il est exclu pour l’élaboration des « décisions pour lesquelles les autorités publiques ne disposent d’aucun pouvoir d’appréciation » et des « décisions ayant le caractère d’une mise en demeure ou d’une sanction » (L.120-1-1, I). 

Il ne s’applique pas lorsque l’urgence justifiée par la protection de l’environnement, de la santé publique ou de l’ordre public ne permet pas l’organisation d’une procédure de participation du public (L.120-1-2). En cas d’urgence, il est aussi possible de réduire les délais. 

Il peut être adapté lorsque la protection de certains intérêts listés à l’article L. 124-4 du Code le justifie (L. 120-1-3), ce qui couvre, notamment, le secret de la défense nationale, la sécurité publique et la sécurité des personnes, la protection de la vie privée ou encore le secret en matière commerciale et industrielle. S’agissant d’ailleurs des décisions individuelles, la protection de ces mêmes intérêts peut justifier que la procédure de participation du public soit exclue (L. 120-1-4).

Il sera intéressant de suivre l’application pratique de cette disposition. La Cour de justice de l’Union européenne a en effet une jurisprudence relativement extensive en matière d’information et de participation du public aux décisions environnementales. Dans son arrêt rendu le 15 janvier 2013, elle a par exemple jugé que le public doit avoir accès à une décision d’urbanisme portant sur l’implantation d’une installation ayant des incidentes importantes sur l’environnement et que la protection du secret des affaires ne peut pas être invoquée pour refuser cet accès.

Comment ?

La question est de savoir ce qu’implique en pratique une « participation » du public à l’élaboration des décisions. 

Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser à ce sujet que « présenter des observations n’implique pas forcément une procédure de participation à l’élaboration de la décision. Encore faut-il mettre en place une procédure permettant à l’administration de tenir compte de ces observations.»[11] 

L’effectivité de la participation du public soulève des difficultés de deux ordres : comment permettre au public de participer et comment prendre en compte sa participation ? 

Concernant le premier volet, la voie électronique apparait comme la solution la plus appropriée. Le Ministère de l’écologie a un site internet dédié aux consultations (www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr), mais il est également possible d’accéder aux consultations sur d’autres sites (www.vie-publique.fr/forums/, ou encore celui du ministère de l’agriculture : agriculture.gouv.fr/consultations-publiques).

La question s’est cependant posée de savoir si le fait de ne pouvoir accéder aux dossiers que par Internet ne pourrait pas justifier des annulations contentieuses, certaines personnes faisant valoir qu’elles n’ont pu participer à la procédure de consultation. L’absence d’un seul document dans une seule sous-préfecture ferait ainsi tomber l’ensemble de la procédure. C’est ce qui explique l’introduction, par dérogation au principe de la voie électronique, de modalités de participation alternatives (affichage en mairie, réunion publique).

Concernant le second volet, et afin d’éviter que le public ait le sentiment de s’exprimer sans être entendu, il est prévu que les synthèses des consultations du public doivent mentionner les observations dont il a été tenu compte pour les établir. 

Cette disposition risque de nourrir un contentieux, même si l’on peut considérer que la formulation « tient compte » ne lie pas l’administration et que la synthèse ne doit retenir que les éléments positifs. 

Les propositions allant plus loin et tendant à faire connaître les motivations des décisions n’ont pas abouti. Elles soulèvent un problème de contradiction avec l’ensemble des règles de droit public portant sur la motivation des décisions administratives, la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs obligeant l’administration à motiver certaines décisions individuelles défavorables et aucun principe général de motivation des actes administratifs n’ayant jamais été consacré. 

Dans quels délais ? 

Un délai de consultation de 15 jours minimum pour les décisions individuelles et de 21 jours minimum pour les autres est prévu. Il s’agirait là de la durée moyenne de concertation. Cette disposition ne ferait que régulariser la pratique qui existe actuellement. 

La décision soumise à consultation ne peut pas intervenir plus tôt que 3 jours après l’expiration du délai de consultation pour les décisions individuelles, et 4 jours pour les autres. 

 


[1] Principalement les directives n°85/337/CEE du Conseil du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, et n°96/61/CE du Conseil du 24 septembre 1996 relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution, et la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement.

[2] Conseil constitutionnel, décision n°2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011, Association France Nature Environnement (Projets de nomenclature et de prescriptions générales relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement) ;  décision n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012, Association France Nature Environnement (Projets de règles et prescriptions techniques applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement soumises à autorisation) ; décision n° 2012-269 QPC du 27 juillet 2012, Union Départementale pour la Sauvegarde de la Vie, de la Nature et de l’Environnement et autres (Dérogations aux mesures de préservation du patrimoine biologique et principe de participation du public) ; décision n° 2012-270 QPC du 27 juillet 2012, Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles du Finistère (Délimitation des zones de protection d’aires d’alimentation des captages d’eau potable et principe de participation du public) ; décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012, M. Antoine de M. (Classement et déclassement de sites).

[3] Conseil constitutionnel, décision n° 2012-282 QPC du 23 novembre 2012, Association France Nature Environnement et autre (Autorisation d’installation de bâches publicitaires et autres dispositifs de publicité).

[4] Certains ont pu souligner qu’il était paradoxal, au moment où l’examen du projet de loi relatif à la mise en œuvre du principe de participation, de retirer au Parlement son pouvoir législatif en lui demandant d’habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour les dispositions qui concernent les décisions individuelles de l’État et de ses établissements publics, ainsi que toutes les décisions – réglementaires, d’espèce ou individuelles – des collectivités locales. L’urgence a cependant été invoquée, en raison du fait que les abrogations décidées par le Conseil constitutionnel prenaient effet aux 1er janvier et 1er septembre 2013. Un projet de loi n°1504 ratifiant l’ordonnance du 5 août 2013 a été déposé à l’Assemblée nationale le 30 octobre 2013.

[5] Au sens de la Convention, le terme « public » « désigne une ou plusieurs personnes physiques ou morales et, conformément à la législation ou à la coutume du pays, les associations, organisations ou groupes constitués par ces personnes » (Art. 2).

[6] Le projet de loi ratifiant l’ordonnance prévoit d’harmoniser les modalités d’appréciation de l’incidence sur l’environnement en ajoutant cette même précision, prévue à l’article L. 120-1-1 du Code de l’environnement (décisions individuelles), à l’article L. 120-1 du Code de l’environnement (autres décisions).

[7] Commentaire du Conseil constitutionnel sur la décision n°2012-282 QPC du 23 novembre 2012, Association France Nature Environnement et autre (Autorisation d’installation de bâches publicitaires et autres dispositifs de publicité).

[8] Conseil constitutionnel, décision n°2012-282 QPC du 23 novembre 2012, Association France Nature Environnement et autre (Autorisation d’installation de bâches publicitaires et autres dispositifs de publicité).

[9] Conseil constitutionnel, décision n° 2013-308 QPC du 26 avril 2013, Association « Ensemble pour la planète » (Nouvelle-Calédonie – Autorisations de travaux de recherches minières).

[10] Le projet de loi ratifiant l’ordonnance prévoit d’ajouter cette même exclusion, prévue à l’article L. 120-1-1 du Code de l’environnement (décisions individuelles), à l’article L. 120-1 du Code de l’environnement (autres décisions).

[11] Commentaire du Conseil constitutionnel sur sa décision n°2012-283 QPC du 23 novembre 2012, M. Antoine de M. (Classement et déclassement de sites).