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Publié le 27 avril 2017 par Jean-Luc Soulier

Brexit : les enjeux d’une négociation semée d’embûches

Le Royaume-Uni est le premier membre de l’Union européenne à avoir usé de la faculté de retrait offerte par l’article 50 introduit dans le traité sur l’Union européenne par le traité de Lisbonne. Cette sortie inattendue soulève des enjeux considérables que personne ne semble avoir réellement anticipés.

Personne semble-t-il n’était préparé au résultat du référendum du 23 juin 2016 par lequel les électeurs britanniques ont décidé à une faible majorité du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Les précédents scrutins référendaires ont pourtant souvent été indécis et donné des résultats parfois inattendus.

Le Royaume-Uni, alors dirigé par Edward Heath, Premier Ministre conservateur, a rejoint la Communauté Economique Européenne (CEE) le 1er janvier 1973. Face à l’hostilité d’une partie des britanniques, son successeur Harold Wilson, membre du partie Travailliste, a organisé un premier référendum le 5 juin 1975. 67, 23 % des électeurs ont alors voté en faveur du maintien.

En 1992, les danois ont voté contre le traité de Maastricht. Seulement 51% des français ont voté en faveur du traité, vote alors qualifié de « petit oui ». En 2005, la France et les Pays-Bas ont rejeté de manière beaucoup plus franche le projet de constitution européenne élaboré par une commission présidée par Valéry Giscard d’Estaing : 54,67% pour la France et 61,54% pour les Pays-Bas.

Le traité de Lisbonne, adopté en 2009, a modifié en profondeur les règles de fonctionnement de l’Union européenne. Il est décrié depuis par les eurosceptiques qui n’y ont vu qu’une transgression de la volonté populaire qui s’était exprimée en 2005.

Le Royaume-Uni est le premier membre de l’Union européenne à avoir usé de la faculté de retrait offerte par l’article 50 introduit dans le traité sur l’Union européenne par le traité de Lisbonne. Cette sortie inattendue soulève des enjeux considérables que personne ne semble avoir réellement anticipés.

En pratique, soit un accord de retrait est conclu avec l’Union européenne dans le délai de deux ans fixé par l’article 50, soit le Conseil européen décide à l’unanimité de proroger ce délai pour permettre la poursuite des négociations. En l’absence d’accord ou de décision de prorogation, la sortie du Royaume-Uni interviendra automatiquement à l’issue du délai de deux ans.

Le délai a commencé à courir le 29 mars 2017, date de la notification officielle par le Premier Ministre britannique, Theresa May, de la décision de retrait. L’hypothèse d’un retrait automatique ne peut être totalement écartée. Theresa May a en effet déclaré à plusieurs reprises que « l’absence d’accord pour la Grande-Bretagne serait toujours mieux qu’un mauvais accord pour la Grande-Bretagne ».

Ce serait alors pour le Royaume-Uni des pans entiers de réglementations qui disparaitraient en un instant de raison (ou de déraison). Notamment celles issues des règlements européens, qui, contrairement aux directives, sont d’application directe et n’ont donc pas été transposés en droit interne.

Afin d’éviter le chaos qui en résulterait, Theresa May a déjà annoncé qu’un « Great Repeal Bill » serait adopté dans les prochains mois. Cette loi ne se contentera pas d’abroger l’acte d’adhésion du Royaume-Uni de 1972. Elle devrait aussi transposer en droit interne l’ensemble des dispositions européennes d’application directe avec pour objectif d’effectuer ensuite un tri entre les règles qui seront maintenues et celles qui seront modifiées ou supprimées après la sortie du Royaume-Uni. Plus de 2000 directives, règlements ou décisions européennes ont été adoptés au cours de la seule année 2016. La plupart de ces textes, qui touchent une multitude de sujets, sont d’application immédiate.

Le Royaume-Uni ne fera par ailleurs plus partie de plus de 40 agences européennes, dont l’Agence européenne des médicaments et l’Autorité bancaire européenne, actuellement basées à Londres et qui vont donc devoir déménager. Et le Royaume-Uni sortira de manière automatique de 53 accords commerciaux conclus par l’Union européenne et devra renégocier une à une plus de 1 700 conventions multilatérales et bilatérales auxquelles il n’est partie qu’en sa qualité de membre de l’Union européenne.

Dans quel état d’esprit le Royaume-Uni et les 27 autres membres de l’Union européenne abordent-ils les négociations qui vont s’engager sur les termes d’un accord de retrait ?

Theresa May a dressé une liste de « red lines » dans son discours du 17 janvier 2017 : le Royaume-Uni veut retrouver le contrôle de ses frontières et pouvoir réguler l’immigration en provenance d’autres pays de l’Union européenne, notamment la Pologne ; il ne veut plus être soumis à la juridiction de la Cour de Justice européenne ; il ne veut plus contribuer au budget européen en dehors de sa participation à des programmes spécifiques dans le cadre d’accords particuliers ; il veut une zone de libre-échange pour les produits et les services (notamment financiers) se rapprochant le plus possible de ce qui existe aujourd’hui dans le cadre de l’Union européenne.

Les pays membres de l’Union européenne ont accès à un marché unique dont les principales caractéristiques sont l’absence de droits de douane et de quotas,  un tarif douanier commun pour les produits entrant sur le territoire de l’Union et des règles uniformes en matière de spécifications des produits. La sortie du Royaume-Uni fera de lui un Etat tiers. Tous les accords commerciaux ou autres dont il est partie en tant que membre de l’Union européenne cesseront de lui être applicables. Notamment les accords conclus dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour lesquels l’Union européenne a compétence exclusive.

En cas d’échec des négociations d’un accord de libre-échange, les nouvelles relations commerciales entre l’Union européenne et le Royaume-Uni seraient fondées sur les seules règles de l’OMC, avec application du tarif extérieur commun et de la clause de la nation la plus favorisée qui ne permet pas un traitement différencié par rapport aux autres pays tiers membres de l’OMC.

Lors du sommet de Bratislava du 16 septembre 2016, les 27 ont affiché leur unité en rappelant que l’Union européenne s’était bâtie sur le principe de l’indivisibilité de 4 libertés fondamentales : la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux. Ils ont ainsi affirmé qu’il n’était pas concevable d’ouvrir, même partiellement, le marché intérieur en l’absence de libre circulation des personnes entre l’Union et le Royaume-Uni, qu’ils considèrent comme le corollaire indispensable de la libre circulation des biens, des services et des capitaux.

Toujours selon les 27, l’accès au marché intérieur suppose le respect dans le temps de toutes les réglementations de l’Union européenne en matière commerciale. Il suppose également une contribution suffisante au budget de l’Union, comme c’est le cas pour la Norvège, l’Islande et le Lichtenstein, pays associés de l’Espace économique européen (EEE), et la Suisse, membre de l’Association européenne de libre-échange (AELE) à laquelle le Royaume-Uni a appartenu avant de rejoindre la CEE en 1972. Enfin, des mécanismes de contrôle et de règlement des différends devraient être mis en place, comme c’est le cas pour les pays membres de l’EEE et de l’AELE, ce qui suppose d’accepter de se soumettre à la jurisprudence de la Cour de Justice européenne.

Dans son discours du 17 janvier 2017, Theresa May a résumé ainsi ce que le Royaume-Uni ne veut pas : « Il ne s’agit ni d’être un membre partiel, ni d’être un membre associé ou encore quelque chose qui nous laisserait un pied dedans un pied dehors. Nous n’envisageons pas d’adapter un modèle dont bénéficient d’autres pays. Nous n’aspirons pas non plus à nous accrocher à certains éléments propres aux Etats membres alors que nous sortons. »

L’ancien Président du Parlement européen Martin Schultz a de son côté résumé de manière lapidaire la position commune des 27 : « La sortie de l’Union ne saurait être une meilleure option que l’appartenance à celle-ci.»

Au vu de ces déclarations, il est inenvisageable que le Royaume-Uni devienne membre de l’EEE ou de l’AELE. L’Union douanière entre la Turquie et l’Union européenne a un champ trop limité pour servir de modèle. Il en est de même des accords de libre-échange avec l’Ukraine et le Canada. Et le Royaume-Uni ne peut pas se contenter des règles de l’OMC qui feraient de lui un pays tiers sans autre avantage ni prérogative que ceux de n’importe quel autre membre de l’OMC.

Aux termes du traité de l’Union européenne, la Commission peut prendre des « décisions  d’équivalence » à l’égard d’un pays tiers. Dans ce cadre, la Commission reconnait qu’un niveau de protection analogue existe entre la réglementation du pays tiers et celle de l’Union européenne dans certains domaines, comme celui par exemple des données personnelles. Cependant, de telles décisions, qui ont généralement un champ limité, nécessitent que l’Union européenne puisse s’assurer que les droits resteront équivalents dans le temps, ce qui implique de mettre en place des mécanismes de suivi et de surveillance efficaces.

Les négociations vont s’engager après les élections législatives anticipées convoquées par Theresa May pour le 8 juin prochain. Sauf prorogation, le retrait devrait être effectif, avec ou sans accord, à l’issue du délai de deux ans suivant la notification de la décision de retrait,  soit le 29 mars 2019. Le Royaume-Uni souhaite qu’un accord sur les relations futures soit négocié parallèlement à celui sur le retrait et entre en vigueur à la même date. Scénario improbable. Ne serait-ce que pour une raison de procédure : si l’accord de retrait n’aura pas à être ratifié par les Etats membres, un accord sur les relations futures, qui engagera à la fois l’Union européenne et chacun des Etats membres, devra en revanche être ratifié à l’unanimité par les 27 Etats membres. Une gageure !