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Publié le 29 septembre 2017 par Soulier Avocats

La réforme du droit du travail en France ou le pari gagné du tournant vers un droit plus pragmatique et plus flexible

Il l’avait promis, il l’a fait : la Grande Réforme du droit du travail constituait le fer de lance de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Vendredi 22 septembre dernier, le Président de la République française a signé les cinq ordonnances qui réforment en profondeur notre droit du travail.

Si pour Emmanuel Macron cette réforme constitue dans l’esprit une « révolution copernicienne » des relations sociales, du côté des opposants, et en particulier pour Jean-Luc Mélenchon, on évoque plutôt un « coup d’Etat social ». Révolution ou putsch ? Les termes sont des deux côtés sans doute exagérés mais le parfum du vent nouveau est lui incontestable.

Les Directeurs des Ressources humaines et les conseils d’entreprise s’accordent à y voir une réforme pragmatique, « encourageante » qui « va dans le bon sens » afin d’améliorer la compétitivité en France. Nous vous présentons dans cet article les mesures phares des ordonnances.

Suite à leur signature le 22 septembre 2017, les cinq ordonnances ont fait l’objet d’une publication au Journal Officiel le 23 septembre 2017. Les ordonnances n’auront force de loi qu’une fois le projet de loi de ratification adopté : ce dernier passera en première lecture à l’Assemblée nationale la semaine du 20 novembre 2017 et la lecture définitive du texte devrait avoir lieu début 2018.

Pour autant, les mesures contenues dans les ordonnances sont applicables pour la plupart dès le 24 septembre 2017, sauf indication contraire ou dispositions nécessitant des décrets d’application. Le gouvernement s’est engagé à ce que la vingtaine de décrets attendus soit publiée d’ici le 31 décembre afin que presque toutes les mesures soient applicables au 1er janvier 2018.

  1. Renforcement de la négociation collective et nouvelle articulation entre accord de branche, accord d’entreprise et contrat de travail

 Articulation nouvelle entre accord de branche et accord d’entreprise

Parmi les mesures relatives au renforcement de la négociation collective, le Gouvernement a manifesté sa volonté de délimiter le champ de primauté de l’accord de branche.

Pour ce faire, il établit trois blocs de matières de négociations :

-Le premier bloc contient les matières pour lesquelles l’accord de branche prime de manière impérative. Parmi ces matières figurent notamment les salaires minimas conventionnels, les classifications, la mutualisation des fonds paritaires et notamment celle des fonds de la formation professionnelle, les diverses mesures relatives au CDD ou les motifs de recours au CDI de chantier de même que l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, les modalités de transfert conventionnel des contrats de travail entre deux entreprises lorsque les conditions légales ne sont pas réunies, diverses mesures relatives à la durée du travail, à la répartition et à l’aménagement des horaires…

-Le deuxième bloc est constitué des matières pour lesquelles la branche a la faculté de décider de faire primer son accord sur ceux d’entreprise conclus postérieurement. Dans le cas où l’accord de branche prévoit une telle primauté, l’accord d’entreprise ne peut s’appliquer que si ses dispositions sont au moins aussi favorables aux salariés. Les matières concernées sont les facteurs de pénibilités, l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés ainsi que les conditions et moyen d’exercice d’un mandat syndical.

-Le troisième bloc concerne l’ensemble des matières de la négociation collective qui ne sont pas confiées aux branches et pour lesquelles l’accord d’entreprise prime.

  • Accent mis sur le caractère majoritaire de l’accord d’entreprise

A compter du 1er mai 2018, l’ensemble des accords devront être majoritaires pour être à valides. Pour ce faire, les syndicats doivent recueillir plus de 50% des suffrages exprimés pour pouvoir conclure un accord d’entreprise. Néanmoins, un accord non majoritaire peut être validé par référendum à l’initiative de l’employeur mais uniquement dans le cas où le texte est signé par des syndicats ayant recueilli plus de 30% des suffrages et surtout si ces derniers ne s’y opposent pas.

Un nouveau type d’accord majoritaire permet aux entreprises de s’adapter rapidement aux évolutions du marché en portant sur l’aménagement de la durée et l’organisation du travail, la rémunération et la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.

Ces accords se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail. En cas de refus de l’accord par le salarié, l’employeur a la possibilité de le licencier pour un motif « sui generis » (ni économique, ni personnel) constituant une cause réelle et sérieuse et son Compte professionnel de formation (CPF) est abondé par l’employeur. D’après le Gouvernement, cet abondement, qui sera fixé par voie réglementaire, devrait s’élever à 100 heures.

  • Négociation possible même en l’absence de délégué syndical

Dans les entreprises dont l’effectif ne dépasse pas 20 salariés et dépourvues d’élu du personnel, l’employeur a la possibilité de proposer un projet d’accord directement aux salariés. Le texte soumis à consultation peut porter sur l’ensemble des thèmes ouverts à la négociation collective. Cet accord n’est validé qu’après avoir été ratifié à la majorité des deux tiers du personnel.

Dans les entreprises de taille supérieure dépourvues de délégué syndical, la négociation n’est possible qu’avec un salarié mandaté ou un membre de la délégation du personnel.

  • S’approprier davantage la négociation collective

Le Gouvernement va plus loin que ce qui était déjà prévu par la loi « Rebsamen » du 17 aout 2015[1] et va permettre aux entreprises de fixer librement, par un accord de méthode, les thèmes et les modalités de la négociation périodique.

L’accord collectif relatif à la négociation obligatoire sera conclu pour une durée maximale de 4 ans  et précisera :

-les thèmes des négociations ;

-la périodicité et le contenu de chacun des thèmes (avec obligation de renégocier au moins tous les 4 ans un accord portant sur un des thèmes légaux de la négociation obligatoire) ;

-le calendrier et les lieux des réunions ;

-les informations que l’employeur remet aux négociateurs sur les thèmes prévus par la négociation qui s’engage et la date de cette remise ;

-les modalités de suivi des engagements pris dans l’accord.

Les entreprises qui n’auront pas conclu d’accord de méthode se trouveront soumises à un régime supplétif, semblable au régime de droit commun applicable en vigueur (négociations annuelles, triennales et quinquennales).

Ces règles entreront en vigueur à la date de publication des décrets d’application de l’ordonnance et au plus tard le 1er janvier 2018.

  1. Fusion des institutions représentatives du personnel

D’ici le 1er janvier 2020, il est prévu la mise en place d’un comité social et économique (CSE) obligatoire dans les entreprises d’au moins 11 salariés. De même, ce comité assumera également les fonctions liées à la délégation du personnel dans les entreprises de moins de 50 salariés.

Pour les entreprises d’au moins 50 salariés, le comité d’entreprise, les délégués du personnel et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) seront fusionnés en une instance unique qui serait le CSE. Cette structure pourra toujours ester en justice et solliciter des expertises à condition de prendre en charge leur coût à hauteur de 20% (sauf en cas de PSE).

Par ailleurs, une commission de santé, sécurité et des conditions de travail centrale sera obligatoire pour les entreprises d’au moins 300 salariés et, à la demande de l’inspecteur du travail, dans celles dont les activités à risques le justifient.

Enfin, par accord d’entreprise, les IRP pourront être fusionnées avec les délégués syndicaux et obtenir des compétences en matière de négociation collective.

D’ici le 1er janvier 2020, toute entreprise devra mettre en place cette nouvelle instance à des dates différentes, selon qu’elles sont déjà dotées d’institutions représentatives du personnel et selon le terme du mandat des instances actuellement existantes. Dans tous les cas, les entreprises ne pourront conserver les instances séparées (délégués du personnel, comité d’entreprise, CHSCT) au 1er janvier 2020.

Cette ordonnance entrera en vigueur dès la publication des décrets d’application et au plus tard le 1er janvier 2018 sauf dispositions contraires.

  1. Prévisibilité et sécurisation des relations de travail : mesures phares autour du licenciement
  • Plafonnement des indemnités prud’homales

L’ordonnance fixe un barème impératif des dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Toutefois, ce barème sera écarté en cas de discrimination, de harcèlement ou en cas d’atteinte aux libertés fondamentales.

Ce barème fixe une indemnité maximale allant d’un mois de salaire pour moins d’un an d’ancienneté à 20 mois de salaire à partir de la 29e année d’ancienneté.

Le barème fixe également une indemnité minimale (plancher) allant de 1/2 à trois mois de salaire selon l’ancienneté ou selon l’effectif de l’entreprise (moins de 11 salariés ou non).

Ce barème annule et remplace le précédant barème indicatif et s’applique aux litiges nés de licenciements notifiés après le 23 septembre 2017.

  • Revalorisation de l’indemnité légale de licenciement

L’indemnité légale de licenciement est revalorisée. De plus, la condition d’ancienneté requise pour toucher l’indemnité légale est réduite à huit mois (au lieu d’un an). Le décret d’application est déjà paru, daté du 25 septembre et publié au Journal Officiel le 26 septembre 2017. Cependant la revalorisation annoncée par le gouvernement ne bénéficiera qu’aux salariés justifiant d’au plus 10 ans d’ancienneté.

Désormais, l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à :

-un quart de mois de salaire par année d’ancienneté jusqu’à dix ans ;

-un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté à partir de dix ans.

  • Diminution du délai de contestation du licenciement

Il est prévu que les délais pour contester un licenciement seront harmonisés à un an pour tous types de rupture du contrat de travail.

  • Assouplissement des règles procédurales de licenciement

Afin de limiter les erreurs de procédure, un modèle type de lettre de licenciement, au moyen d’un formulaire « Cerfa », sera défini par décret.

Concernant le motif de licenciement, il sera prévu une possibilité pour l’employeur ou sur demande du salarié de préciser ou compléter les motifs énoncés dans la lettre de licenciement après sa notification (conditions fixées par décret).

La lettre complétée le cas échéant fixera les limites du litige.

Si la motivation est insuffisante, cette irrégularité sera sanctionnée uniquement par une indemnité égale à 1 mois de salaire maximum. Ainsi, la seule insuffisance de motivation formelle dans le courrier de notification, ne sera plus de nature à rendre un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ces dispositions n’entreront en vigueur qu’au moment de la publication du décret d’application ou au plus tard le 1er janvier 2018.

  • Simplification de la mise en œuvre des licenciements économiques

Tout d’abord, le motif économique ne sera plus évalué au niveau international (sauf en cas de fraude). Ainsi, la réalité des difficultés sera appréciée par les juges au niveau des entreprises du groupe appartenant au même secteur d’activité et situées sur le même territoire national.

L’obligation de reclassement sera également simplifiée et limitée au plan national et les employeurs n’auront plus besoin de communiquer aux salariés les offres pertinentes par écrit et pourront le faire par tous moyens, éventuellement par le biais de leur intranet.

  • Création de la rupture conventionnelle collective

Une procédure dite de « rupture conventionnelle collective » sera instaurée par décret. Il s’agira d’élaborer des plans de départ volontaire par accord collectif sans avoir à justifier d’un motif économique. Ainsi une partie des obligations en matière de licenciement pour motif économique (reclassement interne, CSP, congé de reclassement, priorité de réembauche) sera exclue.

  1. Le télétravail, outil de flexibilisation du travail : assouplissement de sa mise en place

Le télétravail peut désormais être mis en place dans le cadre d’un accord collectif, ou à défaut dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur, après avis du comité social et économique (et non plus nécessairement par contrat de travail/avenant au contrat de travail).

Est également prévue la possibilité de mise en œuvre du télétravail occasionnel d’un commun accord, cet accord mutuel pouvant être recueilli par tout moyen.

A noter que la prise en charge des coûts du télétravail par l’employeur est supprimée.

Ce nouveau cadre d’application du télétravail est entré en vigueur au 24 septembre 2017.

  1. Simplification du compte professionnel de prévention de la pénibilité

L’employeur doit déclarer l’exposition de ses salariés à des « facteurs de risques liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail […] »  lorsque ces derniers sont exposés au-delà d’un certain seuil  (c. trav. art. L. 4161-1). Ces facteurs étaient au nombre de 10.

Désormais, cette obligation de déclaration ne portera plus que sur 6 facteurs de risques tel que : le travail de nuit, répétitif, le bruit ou encore les températures extrêmes.

Il est prévu la suppression de quatre facteurs à savoir : la manutention de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques. Pour autant, il est prévu pour les salariés exposés à ces risques, la possibilité de  bénéficier d’un départ à la retraite anticipé en cas de reconnaissance d’une maladie professionnelle ou d’incapacité permanente avec un taux d’au moins 10%.

De plus, le salarié n’aura pas à justifier d’une durée d’exposition aux facteurs de risques, ni à établir que l’incapacité permanente est directement liée à leur exposition.

Cette mesure est censée entrer en vigueur à partir du 1er octobre 2017, sous réserve des décrets d’application nécessaires à sa mise en œuvre. A cette date, on ne parlera plus de compte personnel de prévention de la pénibilité mais de compte professionnel de prévention.

***

Si la Réforme du droit du travail n’est pas une révolution, elle fait incontestablement éclore le fruit attendu et espéré dont on parlait depuis quelques années déjà sans avoir jamais réussi à le faire naître, exercice d’équilibre périlleux entre sécurisation des relations de travail et flexibilisation du marché du travail : la nouvelle Réforme du droit du travail réussit le tour de force de prendre enfin le chemin de la « flexi-sécurité ».

Sans porter atteinte au socle protecteur des droits des salariés, la réforme offre des outils pragmatiques aux entreprises pour mettre en œuvre une politique sociale efficace, plus en phase avec les réalités économiques et potentiellement mieux adaptée à chaque contexte d’entreprise. Cette réforme vise à redonner confiance à l’ensemble des acteurs sociaux, et en premier lieu aux groupes étrangers afin qu’ils viennent à nouveau investir en France ou à tout le moins ne fuient plus.

Cette mutation en cours du droit du travail français qui vise à faire primer l’accord collectif sur la loi, engendre aussi une nécessité d’implication plus forte de la part des employeurs tenus plus souvent de négocier, au lieu d’appliquer « administrativement » la loi. Cette réforme conduit à une appréhension plus pragmatique du droit social qui doit se concevoir comme un outil de gestion et de développement de l’entreprise plutôt que comme une contrainte.

[1] Loi 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi