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Publié le 30 mai 2018 par Anaëlle Idjeri

Réforme du droit des contrats : publication de la loi de ratification le 21 avril 2018 – Principaux apports en droit économique

Sans toutefois bouleverser la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018 en a modifié certains aspects, distinguant entre de véritables modifications de fond applicables dès son entrée en vigueur, soit le 18 octobre 2018, et des dispositions dites « interprétatives », pour l’essentiel des clarifications, applicables rétroactivement aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016.

Nous présenterons ci-après de manière non exhaustive les principales dispositions de cette loi de ratification présentant un intérêt pratique en matière de droit économique, notamment lors de la formation puis de l’exécution du contrat.

Pour une présentation comparative de l’ensemble des dispositions du Code civil modifiées par la loi de ratification n° 2018-287, nous vous renvoyons vers l’article intitulé « Réforme du droit des contrats : la loi de ratification publiée le 21 avril 2018 – Présentation générale ». 

  1. Application dans le temps

Aux termes des alinéas 1 et 2 de l’article 16 I de la loi n° 2018-287, il est prévu que « la présente loi entre en vigueur le 1er octobre 2018 », elle s’appliquera aux « actes juridiques conclus ou établis à compter de son entrée en vigueur ».

En revanche, il est à noter que certaines dispositions « ont un caractère interprétatif » et sont en conséquence rétroactives. Ces dispositions auront vocation à s’appliquer aux actes conclus à compter du 1er octobre 2016, date de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016.

  1. Dispositions applicables lors de la formation du contrat
  •  Redéfinition du contrat d’adhésion et de la notion de déséquilibre significatif

L’ordonnance de 2016 a introduit dans le Code civil la notion de contrat d’adhésion comme « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ». Le nouvel article 1110 alinéa 2 du Code civil, tel que modifié par la loi n° 2018-287, définit désormais le contrat d’adhésion comme « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ». Cette disposition s’appliquera aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2018.

Il résulte de cette modification, et en particulier de la suppression de la référence aux « conditions générales », un élargissement évident de la notion et du champ d’application des contrats d’adhésion. Ceux-ci n’étant ainsi plus restreints aux seuls contrats de masse, mais s’appliquant à tout contrat contenant un « ensemble de clauses non négociables » et « déterminées à l’avance ». Il appartiendra à la jurisprudence de définir ces nouvelles conditions, et en particulier la notion d’ « ensemble de clauses non négociables ».

En effet, s’il apparait évident qu’un contrat peut être qualifié de contrat d’adhésion alors même que certaines clauses ont pu être négociées, il semble nécessaire d’établir un critère déterminant les circonstances dans lesquelles l’existence de clauses non négociables permet de retenir la qualification de contrat d’adhésion. Par analogie aux règles de protection existantes en droit de la consommation contre les clauses abusives, le critère le plus pertinent semble être celui relatif à l’importance des clauses non négociables.

Par ailleurs, outre la redéfinition du contrat d’adhésion, son régime a également été modifié dans le Code civil. L’article 1171 du Code civil dispose désormais que « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ». L’alinéa 2 dispose encore que « l’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ».

Il ressort de cette disposition, qu’une clause qui crée un déséquilibre significatif ne sera réputée abusive qu’à la double condition qu’elle a été stipulée dans un contrat d’adhésion et qu’elle n’a pas été négociable. En outre, les clauses concernant l’objet du contrat et le prix ne pourront pas être écartées par le juge.

Par ailleurs, le présent dispositif ne pourra trouver à s’appliquer lorsqu’un dispositif spécial sera applicable. Dans ces conditions, un « partenaire commercial » au sens de l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ne pourra pas saisir une juridiction civile afin que celle-ci constate une clause abusive sur le fondement de l’article 1171 du Code civil.

Enfin, l’article 1190 du Code civil prévoit une règle d’interprétation contra proferentem selon laquelle « dans le doute, […] le contrat d’adhésion [s’interprète] contre celui qui l’a proposé ». Ce texte n’ayant pas été modifié par la loi n° 2018-287, il vise le contrat dans son intégralité. Cependant, dans un souci de cohérence et afin de respecter l’esprit des nouveaux articles 1110 et 1171 du Code civil, il conviendrait –  à l’instar des dispositions analogues du droit de la consommation – de raisonner en termes de clauses non négociables et ainsi de n’appliquer cette règle qu’à ces seules clauses.

  • Modification du champ d’application de l’abus de dépendance économique

L’article 1143 du Code civil dispose désormais qu’« il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son contractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».

La dépendance économique du cocontractant ne doit donc pas s’analyser au regard de sa seule personne, mais en considération de ses relations avec son cocontractant. La notion d’abus de dépendance économique n’a ainsi pas été réduite à la seule violence économique.

Cette disposition est « interprétative » et s’applique de manière rétroactive à tout contrat conclu à compter du 1er octobre 2016.

  • Exclusion de la réticence dolosive portant sur l’estimation de la valeur de la prestation

L’article 1137 alinéa 2 du Code civil dispose que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ». La loi n° 2018-287 ajoute un troisième alinéa à cet article selon lequel « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».

Si une telle modification semble cohérente avec l’article 1112-1 du Code civil au sens duquel le devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation, elle semble en revanche en conflit avec les termes de l’article 1139 du Code civil selon lequel « l’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ».

Aux termes de cette nouvelle loi, tout contractant qui négocierait de mauvaise foi et dissimulerait l’estimation de la valeur de la prestation – alors même qu’il aurait pleinement conscience que ce silence provoquera une erreur déterminante du consentement de son cocontractant – n’encourra pas la nullité du contrat. Cette disposition s’appliquera aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2018.

Dès lors, il peut sembler qu’exclure la réticence dolosive portant sur l’estimation de la valeur de la prestation de la notion de dol, revient en définitive à adopter une définition particulièrement étroite de la notion de dol.

  • Résolution d’un contrat de prestation de services en cas d’abus dans la fixation du prix

A l’instar de la possibilité prévue pour les contrats-cadres à l’article 1164 du Code civil selon lequel « en cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat », le législateur a modifié l’article 1165 du Code civil applicable aux contrats de prestation de services.

Désormais, en cas d’abus dans la fixation d’un prix, outre des dommages et intérêts, le débiteur peut « le cas échéant [demander] la résolution du contrat ». Une telle modification s’applique de manière rétroactive à tout contrat conclu à compter du 1er octobre 2016, en ce inclus aux contrats de prestation de services à exécution successive.

  1. Dispositions relatives à l’exécution du Contrat
  • La bonne foi du débiteur conditionne l’exception à l’exécution forcée pour disproportion manifeste

Selon l’article 1221 du Code civil, « le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature, sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ».

Désormais, seul « le débiteur de bonne foi » pourra invoquer cette disposition à l’encontre de son créancier. Il doit être ici souligné que cette disposition est applicable rétroactivement aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016.

Si cette modification apparait superflue au regard de l’article 1104 du Code civil selon lequel « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public », elle pose cependant la question de la définition de la mauvaise foi du débiteur. En l’absence de définition, il appartiendra à la jurisprudence de définir le champ d’application de cet article.

  • L’extension des exceptions au principe du paiement en France des obligations de sommes d’argent en euros

Alors que l’ordonnance du 10 février 2016 prévoyait que le paiement en devises étrangères était possible lorsqu’il « procède d’un contrat international ou d’un jugement étranger », le nouvel article 1343-3 du Code civil dispose désormais que « le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’une opération à caractère international ou d’un jugement étranger. Les parties peuvent convenir que le paiement aura lieu en devise s’il intervient entre professionnels, lorsque l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis pour l’opération concernée ». Cette exception s’appliquera aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2018.

Par cette nouvelle modification, le champ d’application de cette exception est étendu à toute « opération à caractère internationale », consacrant ainsi la pratique et se conformant à la jurisprudence antérieure selon laquelle le paiement en devise était possible dès lors que le paiement était « international ».