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Publié le 31 mars 2016 par Soulier Avocats

Santé et sécurité des salariés : les nouveaux contours du principe de responsabilité de l’employeur

Obligation de sécurité de résultat vous avez dit ? Voici une obligation bien lourde à la charge de l’employeur vis-à-vis de ses salariés, consacrée par les fameux arrêts dits « amiante » de 2002, qui lui ont conféré un caractère absolu.

Depuis lors, l’invocation du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat dans le cadre des contentieux prud’homaux est devenu un grand classique, en particulier pour appuyer une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur au motif d’une organisation ou ambiance de travail jugée trop stressante, trop oppressante ou anxiogène.

Nous souhaitions attirer l’attention de nos lecteurs sur les derniers développements jurisprudentiels depuis 2015 : en effet, si la Cour de Cassation n’abaisse pas son niveau d’exigence dans son appréciation du respect par les employeurs de leur obligation, elle semble malgré tout offrir une porte de sortie à ceux d’entre eux qui entreprennent des démarches positives de prévention en matière de santé et de sécurité au sein de leur entreprise.

Obligation de sécurité de résultat vous avez dit ? Voici une obligation bien lourde à la charge de l’employeur vis-à-vis de ses salariés, consacrée par les fameux arrêts dits « amiante »[1] qui lui ont conféré un caractère absolu.

Cette construction jurisprudentielle s’appuie sur les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail, le premier fixant des mesures générales de prévention et le deuxième listant 9 principes généraux de prévention, et a abouti au principe de responsabilité sans faute de l’employeur. Peu importe que l’entreprise ait pris des mesures de prévention ou même des mesures pour faire cesser une atteinte à la santé et/ou à la sécurité des salariés, la seule survenance d’un dommage suffisait à engager sa responsabilité[2].

Depuis lors, l’invocation du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat dans le cadre des contentieux prud’homaux est devenu un grand classique, en particulier pour appuyer une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur au motif d’une organisation ou ambiance de travail jugée trop stressante, trop oppressante ou anxiogène.

C’est ainsi que la Chambre sociale de la Cour de Cassation par un arrêt du 6 octobre 2010[3], avait condamné une entreprise pour manquement à son obligation de sécurité du seul fait du sentiment d’insécurité ressenti par un agent d’accueil dans une gare routière. La responsabilité de l’entreprise avait été reconnue alors même que cette dernière avait pris de nombreuses mesures durant les deux années précédant la saisine du Conseil de prud’hommes, pour faire face à l’insécurité existant au sein de la gare routière. En l’espèce, la salariée n’avait même pas subi de dommage mais la Cour avait considéré que le seul fait de l’exposition de la salariée au risque ayant généré chez elle un sentiment de stress, constituait un manquement de l’entreprise à son obligation de sécurité…

Voilà de quoi décourager toute velléité à mettre en place des mesures de prévention et de protection de la santé et la sécurité des salariés, si l’entreprise se sait responsable en tout état de cause !

Depuis lors, la Cour de Cassation semble revenir un peu en arrière comme le laissent notamment penser trois arrêts rendus par la Chambre sociale en 2015… à tel point que la Doctrine a pu se demander si la fameuse obligation de sécurité de résultat n’était pas en train de se transformer en obligation de sécurité « de moyen renforcée ». Cela changerait considérablement la donne sachant que s’agissant d’une obligation de moyens, celle-ci est appréciée au regard des capacités de l’entreprise. Pour s’exonérer de sa responsabilité, l’entreprise devrait donc simplement apporter la preuve qu’elle a mis tous les moyens en œuvre pour tenter de préserver la sécurité de ses salariés, à l’image du raisonnement applicable en matière d’obligation de reclassement en cas de licenciement économique ou en cas d’inaptitude.

Aussi, les arrêts rendus par la Chambre sociale en 2015 annoncent-ils un virage progressif de la Cour de Cassation vers une position assouplie et plus d’indulgence en faveur des entreprises?

Pas si sûr et notamment au vu du dernier arrêt rendu par la Chambre sociale le 10 février 2016[4] qui prône haut et fort le principe de responsabilité absolue de l’employeur en cas de manquement à son obligation de sécurité « de résultat »…

Il semblerait plutôt que la Cour de Cassation souhaite s’orienter vers une appréhension plus pragmatique du respect par l’employeur de son obligation de sécurité mais sans pour autant renoncer à son niveau d’exigence.

 

Les nuances favorables apportées par la jurisprudence de 2015

En 2015, trois arrêts sont venus nuancer l’engagement systématique de la responsabilité de l’employeur par les tribunaux.

Sur le terrain du contentieux collectif, les arrêts Fnac[5] et Areva[6] ont ouvert la voie vers une appréciation plus concrète et moins absolue de l’obligation de sécurité de résultat.

En effet, l’enjeu de ces arrêts était de déterminer si des plans de réorganisation étaient susceptibles, comme le revendiquaient les syndicats demandeurs, de générer des risques psycho-sociaux pour les salariés concernés.

Dans ces deux affaires, la Cour de Cassation a jugé que les éléments de preuves apportés aux débats ne permettaient pas d’établir un quelconque manquement de l’employeur à ses obligations en matière de santé et de sécurité des travailleurs de l’entreprise.

L’obligation de sécurité de résultat est alors satisfaite quand l’entreprise démontre qu’elle a mis en œuvre toutes les mesures visant à prévenir les risques. En d’autres termes, le résultat est ici obtenu par la prévention suffisante du risque.

Sur le terrain du contentieux individuel, un arrêt Air France[7] en date du 25 novembre 2015 est venu apporter une petite bouffée d’air supplémentaire aux employeurs en leur offrant une porte de sortie.

En l’espèce, un pilote d’Air France, ayant été témoin des attentats du 11 septembre 2011, considérait que son employeur n’avait pas prévu un suivi psychologique suffisant suite à cet événement. Après avoir repris ses fonctions normalement sans faire état d’un mal-être particulier, il avait été pris d’une crise de panique quelques années plus tard en avril 2006, alors qu’il partait rejoindre son bord pour un vol. Suite à cela, un arrêt de travail lui avait été délivré, arrêt qui avait perduré jusqu’à son licenciement en 2011. Il avait saisi le Conseil de prud’hommes afin d’obtenir des dommages et intérêts pour manquement de son employeur à son obligation de sécurité de résultat.

La Cour a estimé : « Mais attendu que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. »

Et après avoir constaté que l’employeur avait bien pris en compte les évènements du 11 septembre 2001 en assurant un suivi médical de l’équipage exposé jusqu’en 2005, que le salarié avait été déclaré apte, que de fait il avait exercé sans difficulté ses fonctions jusqu’au mois d’avril 2006, la Cour a considéré que la Cour d’appel avait à juste titre « pu déduire l’absence de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat, [et] légalement justifié sa décision ».

Cet attendu révèle un changement manifeste dans l’approche de l’obligation de sécurité, puisque l’on accepte enfin de prendre en considération les mesures de prévention/de sécurité prises par l’entreprise pour prévenir le dommage. Il ne suffit donc plus que le risque se matérialise pour que l’employeur soit automatiquement considéré comme responsable. L’employeur n’est plus cantonné à la démonstration d’un cas de force majeure.

La Cour de Cassation a ainsi fait preuve de pragmatisme et fournit un outil de défense aux entreprises: il n’y aura manquement à l’obligation de sécurité que si cette dernière n’a pas accompli toutes les mesures prévues aux articles L.4121-1[8]  et surtout L.4121-2[9].

L’accomplissement de toutes les diligences exigées par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail semble donc être désormais l’indicateur permettant au juge du fond d’apprécier l’existence ou non d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat.

Mais attention : l’arrêt de la Cour de Cassation du 10 février dernier a malgré tout rappelé que le pragmatisme dans l’appréciation de la responsabilité de l’employeur ne signifie pas pour autant abaissement du niveau d’exigence et de sévérité pour les entreprises qui ne jouent pas le jeu…

 

Un contrôle malgré tout exigeant du respect par l’employeur de son obligation positive d’assurer la sécurité et de préserver la santé des salariés

Si l’employeur a des obligations en matière de sécurité, le salarié en a aussi. Ainsi, aux termes de l’article L. 4122-1 du Code du travail, « il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ».

Aux termes de l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de Cassation du 10 février 2016[10], il est question de savoir si le principe de responsabilité de l’employeur peut être atténué par la prise de risque exercée par le salarié lui-même.

En l’espèce, une salariée occupait un poste de consultante à Marseille n’engendrant que des déplacements ponctuels sur l’ensemble du territoire national. A partir de janvier 2008, suite à un appel d’offre remporté par son entreprise, la salariée a vu son temps de travail partagé entre Marseille et l’Ile-de-France et ce pour une durée de deux ans (sans avenant au contrat de travail). En juin 2008, soit six mois plus tard, la salariée a alerté ses deux supérieurs des conséquences de ces nombreux trajets et du rythme de travail soutenu sur sa vie personnelle et sa santé. A compter de juillet 2009, les arrêts maladies se sont succédés jusqu’à ce qu’elle soit déclarée inapte à tout poste de travail comportant des déplacements répétés à l’échelon national, et licenciée.  

Entre temps, la salariée avait saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour modification unilatérale de son contrat de travail et manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat.

En défense, l’entreprise a fait valoir que le poste de consultante occupé par la salariée impliquait, par nature, de fréquents déplacements dans toute la France (cela étant par ailleurs attesté par la fiche de poste selon la société). Les déplacements entrant pleinement dans les missions de la salariée, l’entreprise considérait qu’elle était fondée à imposer des mobilités temporaires sans qu’elles constituent une modification du contrat de travail.

La Cour d’appel a fait droit à la demande de la salariée en prononçant la résiliation judiciaire de son contrat pour exécution déloyale de celui-ci et manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat mais a limité le montant des dommages et intérêts estimant qu’il convenait de tenir compte de « la propre attitude de la salariée laquelle avait elle-même concouru à son dommage en acceptant un risque qu’elle dénonçait en même temps, s’il correspondait à une augmentation de salaire ».

La Cour de Cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel en ce qu’il limite le montant des dommages-intérêts accordés à la salariée. Sous le visa de l’article L. 4122-1 du Code du travail qui met à la charge des salariés des obligations en matière de sécurité et de santé, la Cour de Cassation affirme que « les obligations des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail n’affectent pas le principe de responsabilité de l’employeur ».

Autrement dit, l’employeur ne peut tenter de s’exonérer en partie des conséquences liées à un manquement à son obligation de sécurité de résultat en invoquant le comportement du salarié.

En l’espèce, il semblerait que l’employeur n’avait pas pris de mesures pour préserver la santé de la salariée en dépit de nombreuses alertes lancées par elle et de la dégradation manifeste de son état de santé.

En ce sens, cet arrêt n’est pas à strictement parler un retour en arrière par rapport à la précédente jurisprudence de 2015 puisque qu’il est bien acquis que pour s’exonérer de sa responsabilité l’employeur doit pouvoir démontrer les diligences prises en faveur de la santé/sécurité du salarié concerné.

En revanche, cet arrêt rappelle que le niveau d’exigence imposé par la Cour de Cassation reste très élevé. Peut-importe que la salariée ait accepté la situation « de risque » ou en tous cas se montre prête à l’accepter moyennant rémunération. Dès lors que l’entreprise n’a pas pris toutes les mesures pour écarter le risque dénoncé par le salarié, le principe de responsabilité de l’employeur demeure.

En conclusion, le message que souhaite faire passer la Cour de Cassation aux entreprises, au fil de ses derniers arrêts rendus, semble être le suivant : toute exposition d’un salarié à un risque dans le domaine de la santé et la sécurité engendrera la mise en jeu de la responsabilité de l’employeur quel que soit la part de responsabilité du salarié dans la prise de risque, sauf à ce l’employeur démontre qu’il a pris toutes les mesures exigées par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail.

La question se pose d’ailleurs de savoir si les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail constituent une liste exhaustive des mesures que l’entreprise doit mettre en œuvre pour que son action soit considérée comme suffisante.

En tous les cas, ce recadrage est bienvenu car il devrait permettre d’atténuer le sentiment très prégnant des employeurs que « quoi que l’on fasse en matière de sécurité, l’on sera condamné.. » et donc à l’inverse, les encourager à mettre en place des mesures de prévention, ne serait-ce que pour être en capacité de prouver leurs diligences en cas de contentieux !

Du côté des salariés, on peut espérer que ce subtil recadrage freinera la tendance à l’invocation systématique devant le Conseil de prud’hommes du manquement à l’obligation de sécurité, qui finit par la vider de son sens.

 

[1] Cass. Soc. 11 avril 2002, n°00-16.535P

[2] Cass. Soc., 21 juin 2006, n°05-43914 ; Cass. Soc., 3 février 2010, n°08-44019

[3] Cass. Soc. 6 octobre 2010, n° 08-45609

[4] Cass. Soc. 10 février 2016 ; n°14-24.350

[5] Cass. Soc., 5 mars 2015, n°13-26.321

[6] Cass. Soc., 22 octobre 2015, n°14-20.173

[7] Cass. Soc., 25 novembre 2015, n°14-24.444

[8] « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

  1. Des actions de prévention des risques professionnels ;
  2. Des actions d’information et de formation ;
  3. La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »

[9] « L’employeur met en œuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

  1. Eviter les risques ;
  2. Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
  3. Combattre les risques à la source ;
  4. Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
  5. Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
  6. Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
  7. Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu’il est défini à l’article L. 1152-1 ;
  8. Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
  9. Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »

[10] Cass. Soc. 10 février 2016 ; n°14-24.350