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Publié le 1 mai 2013 par Soulier Avocats

La France, nouvel apprenti de la flexisécurite ou l’avènement des accords de maintien de l’emploi

Dans le contexte de morosité économique ambiante en ce mois de mai 2013, alors que la France est officiellement entrée en récession, les dirigeants des entreprises françaises peuvent au moins souffler sur un point : la Loi de sécurisation de l’emploi, qui réforme en profondeur le droit du travail français, a été définitivement adoptée le 14 mai.

Cette Loi entérine notamment la pièce maîtresse de la flexibilité tant réclamée par le Medef[1] : les accords de maintien de l’emploi. L’objectif de cette nouvelle catégorie d’accords d’entreprise est de permettre aux entreprises qui font face à de graves difficultés économiques conjoncturelles, d’aménager temporairement l’équilibre global temps de travail-salaire-emploi. 

Dans notre e-newsletter de mars 2013, nous avions annoncé la publication prochaine de cette Loi et présenté un pan essentiel relatif au nouvel encadrement de la procédure des grands licenciements collectifs. Toutefois, la Loi étant au stade du projet, nous nous interrogions sur les velléités du législateur à trahir l’esprit de « fléxisécurité » qui animait les partenaires sociaux à l’origine de cette Loi[2]. La Loi de sécurisation de l’emploi vient d’être définitivement adoptée par le Parlement le 14 mai dernier et, sauf censure du Conseil Constitutionnel (qui a été saisi le 15 mai par 60 parlementaires), elle entrera en vigueur dans les semaines à venir. 

Le texte satisfait globalement sur le principe le patronat français et la majorité des acteurs, même si beaucoup craignent malgré tout que la mise en place en pratique des dispositifs instaurés fasse ressortir de nombreuses questions, source d’insécurité juridique : or pas de sécurisation de l’emploi possible sans un droit du travail sécurisé !

Laurence Parisot, actuelle présidente du Medef, ne cache en tous cas pas sa satisfaction : ce vote est pour elle « un événement dans l’histoire économique et sociale de notre pays » parce que « cette loi installe enfin la flexisécurité du marché du travail » et « qu’elle offre des outils qui vont immédiatement permettre aux entreprises de faire face aux adaptations« . « Aboutissement d’un processus dont les partenaires sociaux ont été le cœur et le moteur« , elle « témoigne ainsi, contrairement aux poncifs maintes fois répétés, de leur capacité réformatrice« . « C’est l’avènement d’une culture du compromis, d’une méthode où la réforme est portée par les partenaires sociaux après des décennies d’une philosophie de l’antagonisme social« . 

La France, à l’instar de sa voisine l’Allemagne, aurait-elle donc enfin intégré la culture du compromis dans les relations sociales? 

Une chose est sûre : cette Loi, fruit d’une transposition fidèle d’un accord interprofessionnel conclu entre les partenaires sociaux, qui accorde plus de flexibilité aux entreprises (en instituant un nouveau cadre pour la mise en place des plans de sauvegarde de l’emploi, en encadrant et en simplifiant l’information-consultation des représentants du personnel, en mettant en place des outils de flexibilité pour les entreprises en cas de difficultés économiques comme l’accord pour le maintien de l’emploi ou le dispositif d’activité partielle…) tout en créant de nouveaux droits aux salariés (création de nouvelles obligations en matière d’information des salariés, généralisation de la couverture santé pour tous les salariés…), constitue un profond bouleversement du Code du travail français. 

L’une des mesures phare de la Loi est la création d’une nouvelle catégorie d’accords d’entreprise : les accords de maintien de l’emploi. 

Le Loi prévoit qu’en cas de «graves difficultés économiques conjoncturelles», les entreprises pourront « imposer » à l’ensemble des salariés, pendant une durée de deux ans au maximum, une baisse momentanée des salaires (qui ne pourra en tout état de cause pas être à un niveau inférieur à 1,2 smic) et un aménagement de la durée du travail (baisse ou hausse), de ses modalités d’organisation et de répartition. Les salariés sont a priori libres d’accepter ou de refuser mais en cas de refus, ils s’exposent à un licenciement pour motif économique. 

L’accord fixera le délai et les modalités de l’acceptation ou du refus par le salarié de l’application de l’accord à son contrat de travail. Si l’accord ne prévoit rien, la procédure de notification de la modification du contrat de travail pour motif économique inscrite à l’article L. 1222-6 du Code du travail s’appliquera. Des mesures d’accompagnement/d’aide au reclassement devront être déterminées pour les salariés qui auront refusé l’application de l’accord. 

Ainsi, l’accord de maintien de l’emploi s’appliquera aux salariés qui l’acceptent. En cas d’acceptation, les clauses de leur contrat de travail contraires à l’accord seront suspendues. 

En revanche, en cas de refus, l’intéressé pourra être licencié pour motif économique. L’une des originalités de ce dispositif est que le licenciement sera prononcé selon les modalités d’un licenciement individuel pour motif économique, sans considération du nombre de salariés concernés. Il n’y aura donc notamment pas à faire application des critères d’ordre comme c’est le cas dans le cadre des licenciements prononcés suite à un refus de modification du contrat de travail en application de l’article L. 1222-6 du Code du travail ou même de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi quand bien même plus de 9 salariés dans une entreprise d’au moins 50 salariés auraient refusé l’accord et seraient licenciés etc.. 

Par ailleurs, l’autre intérêt essentiel de ce dispositif est qu’aux termes de la Loi, le licenciement « repose sur un motif économique », c’est-à-dire que le licenciement aura nécessairement une cause réelle et sérieuse attestée par l’accord collectif, ce qui préservera l’employeur de tout litige relatif à la contestation du bien-fondé économique du licenciement. 

Un accord de maintien de l’emploi pourra être mis en place, qu’il y ait ou non au sein de l’entreprise, des délégués syndicaux ou même des représentants élus du personnel. Par principe, pour être valide, cet accord devra être signé par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli au moins 50% des suffrages au premier tour des dernières élections des titulaires du comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel, ou à défaut, des délégués du personnel. 

Cependant, en l’absence de délégués syndicaux, l’accord pourra être conclu par des représentants élus du personnel expressément mandatés par une organisation représentative dans la branche ou au niveau national interprofessionnel ou, à défaut, par des salariés également mandatés. L’accord ainsi signé par un élu ou un salarié mandaté devra être approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés. Toutes les entreprises sont donc potentiellement concernées. 

Le préalable à la conclusion d’un tel accord est l’existence de « graves difficultés économiques conjoncturelles». La Loi prévoit que le diagnostic relatif à cette situation économique difficile sera analysé avec les syndicats représentatifs et qu’un expert-comptable pourra même être mandaté par le comité d’entreprise pour accompagner les organisations syndicales dans cette analyse : on pressent déjà que la négociation sur ce préalable nécessaire, qui plus est sujet à interprétation, risque de ne pas être aisée et de prendre du temps. 

L’objectif attendu de ce mécanisme d’ajustement négocié temps de travail-salaire-emploi est de permettre de préserver l’emploi tout en garantissant la survie des entreprises, par l’amélioration des coûts de production. Ces accords offriraient ainsi « la possibilité à une entreprise dont les coûts de production s’avèrent trop élevés lorsque la demande est déprimée, d’une part de réduire son activité pour baisser les coûts d’exploitation afin de pallier les pertes de recettes, d’autre part, de couvrir ses besoins de trésorerie liés à l’augmentation du stock »[3]

En outre, ces accords doivent permettre de préserver des compétences et des savoirs faire au sein des entreprises et d’éviter ainsi un des aspects négatifs du recours au licenciement, qui prive l’entreprise des compétences nécessaires à son redémarrage en cas d’amélioration de la situation économique. 

Si ces accords constituent indéniablement de véritables outils de flexibilité pour les entreprises et peuvent être perçus par certains comme un « cadeau » faits aux entreprises, ce « cadeau » consenti ne l’est pour autant pas sans contreparties contraignantes.

En premier lieu, comme la dénomination de ces accords « de maintien de l’emploi » l’indique, l’entreprise devra s’engager à ne procéder à aucune rupture pour motif économique des contrats de travail des salariés qui ont accepté d’appliquer l’accord, pendant toute la durée de ce dernier.  

L’entreprise devra également s’engager au sein de l’accord, sur les conséquences d’une amélioration de la situation économique sur la situation des salariés, à l’issue de la période d’application de l’accord, en particulier sur la répartition des bénéfices des efforts consentis par les salariés. 

Il est également intéressant de noter que l’accord devra prévoir les conditions dans lesquelles les dirigeants salariés et les mandataires sociaux et actionnaires (dans le respect des compétences des organes de surveillance) fourniront, pendant la durée d’application de l’accord, des efforts proportionnés à ceux demandés aux salariés. En pratique, on voit toutefois difficilement comment une telle mesure pourra être mise en place surtout pour les actionnaires (exclusion de distribution de dividendes pendant la durée de l’accord ?). 

Enfin, il est spécifiquement prévu que l’accord devra inclure une clause pénale prévoyant le versement de dommages-intérêts aux salariés lésés en cas de non-respect par l’employeur de ses engagements. Le non-respect de ses engagements par l’employeur pourra aussi entraîner la suspension en référé de l’accord par le président du Tribunal de Grande Instance.  

Le tableau est donc loin d’être idyllique pour les entreprises : une partie du patronat français s’inquiète en outre sur les coûts additionnels que les dispositifs mis en place risquent d’engendrer. 

Par ailleurs, d’autres mesures de la Loi de sécurisation de l’emploi ne sont pas de nature à réjouir les dirigeants d’entreprises ou investisseurs étrangers comme par exemple celle qui prévoit l’obligation de recherche d’un repreneur en cas de fermeture d’un site. 

Un projet de loi déposé le 30 avril dernier, qui compléterait la mesure d’ores et déjà prévue par la Loi, prévoit d’imposer aux dirigeants d’entreprise d’au moins 1000 salariés envisageant la fermeture d’un site d’au moins 50 salariés de rechercher dans un délai de trois mois, un repreneur, sous peine d’une pénalité pouvant s’élever jusqu’à 20 smic mensuels par emploi supprimé. Une telle mesure si elle était adoptée, viendrait saper tout le travail réalisé par les partenaires sociaux visant à réduire les délais, simplifier et sécuriser les procédures de licenciement collectif[4]

En conclusion : la France fait certes ses premiers pas en matière de flexisécurité mais la flexibilité offerte aux entreprises reste néanmoins particulièrement encadrée, bref il s’agit bien d’une flexisécurité « à la française ». 

 


[1] Le Mouvement des entreprises de France (Medef) est la plus puissante organisation patronale en France, représentant des dirigeants des entreprises françaises.

[2] La Loi de sécurisation de l’emploi est en effet une transposition de l’accord national interprofessionnel pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés, signé entre les partenaires sociaux le 11 janvier 2013, qui avait pour objectif de constituer la fameuse « flexisécurité » à la française.

[3] D’après l’Etude d’Impact sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi du 5 mars 2013

[4] Cf. notre e-newsletter de mars 2013 à cet égard.