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Publié le 24 juin 2022 par Soulier Avocats

A vos marques (automobiles), prêts, partez !

CITROEN peut compter sur ses chevrons, protégés en tant que marque figurative et dont la Cour d’appel de Paris fin 2021 et l’EUIPO en avril 2022 ont confirmé la distinctivité, pour faire barrage au nouveau concurrent POLESTAR. Basé en Suède et préparateur de la maison VOLVO, ce dernier n’a pu pénétrer le marché français des constructeurs automobiles.

Déchiffrage d’une bataille judiciaire en deux étapes et des signes distinctifs dont peuvent jouer les constructeurs pour protéger leur position et les investissements y attachés.

La presse et divers forums internet avaient dénoncé le rattachement visuel du logo POLESTAR à celui de CITROEN en des termes éloquents : « l’esquisse de l’étoile du nord qui ressemble par un hasard malheureux aux anciens chevrons de Citroën qu’un plaisantin aurait séparés et retournés » (Challenges) ou encore « les Cons ! (sic) ils ont recyclé le chevron de Citroën » (forum du site internet Autoplus).

Le premier volant judiciaire a opposé les parties devant le Tribunal judiciaire puis devant la Cour d’appel de Paris, qui a statué par arrêt confirmatif du 14 décembre 2021.

La faible ressemblance d’ensemble entre les signes en cause avait alors conduit les juges à écarter la contrefaçon invoquée, la Cour d’appel ayant en la matière confirmé le revirement de la Cour de cassation qui considère que la demande d’enregistrement d’un signe à titre de marque ne constitue pas un acte de contrefaçon.

Pourtant, il ne s’agissait pas en l’espèce d’un dépôt de marque isolé, POLESTAR ayant largement annoncé son projet de commercialisation en ligne de voitures, ce à partir du site Internet Polestar.com courant 2020, ainsi que le développement d’un réseau de concessions dont le financement était en cours de négociation.

C’est en tout cas sur le terrain de l’atteinte à la marque de renommée que CITROEN a pu se défendre avec succès :

« compte tenu de la renommée exceptionnelle des marques Citroën à double chevrons en cause et de leur forte distinctivité acquise par l’usage intensif soutenu par des investissements publicitaires extrêmement importants, et du fait que les signes en conflit sont utilisés pour désigner les mêmes produits à savoir les véhicules automobile, l’usage par les sociétés Polestar des signes incriminés entraîne une atteinte au caractère distinctif par dilution et brouillage desdites marques exploitées dans le secteur automobile dont le nombre de constructeurs est relativement restreint ».

S’agissant des produits visés et donc du public pertinent, si POLESTAR avait argué d’un segment différent, la Cour a pris en compte la commercialisation par CITROEN de véhicules hybrides et de la vocation du groupe à entrer sur le nouveau marché des voitures électriques.

Concernant les signes en cause, les juges ont procédé à leur comparaison selon la méthode consacrée, seule une appréhension visuelle et conceptuelle étant ici pertinente.

Et dans la lignée de la jurisprudence communautaire[1], la Cour a pu considérer que même en présence d’une faible similitude entre les signes et donc sans le risque de confusion en découlant, le public concerné faisait néanmoins le lien entre les marques en cause.

Pour ce faire, l’appréciation des juges se fonde sur plusieurs facteurs, dont un fort niveau de renommée de la marque antérieure, ici qualifiée d’« exceptionnellement élevée » et « fortement accrue par l’usage intensif qui en a été fait de sorte que le caractère distinctif des marques antérieures est élevé ».

En pratique, trois types d’atteintes à une marque de renommée sont sanctionnées selon la jurisprudence de la CJUE, à savoir, le préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure, le préjudice porté à la renommée de cette marque et enfin, le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque[2].

En l’espèce, l’atteinte à la renommée du logo de CITROEN est acquise, la Cour retenant l’atteinte au caractère distinctif de la marque par « dilution et brouillage ».

Le second volet de ce contentieux judiciaire a été l’action introduite cette fois par POLESTAR devant l’Office européen de la Propriété intellectuelle (EUIPO), aux fins d’annulation de la marque figurative litigieuse. Cette démarche audacieuse et risquée n’aura pas eu l’effet escompté et même, au contraire, a plutôt conforté le caractère distinctif dudit signe.

Par une décision assez brève, l’EUIPO a d’abord rappelé son indépendance juridique par rapport aux juridictions nationales et européennes, Cour d’Appel de Paris incluse (par l’arrêt susvisé). Puis elle a jugé que les chevrons de CITROEN étaient intrinsèquement distinctifs sans qu’il soit même nécessaire de statuer sur une acquisition de distinctivité par l’usage.

S’agissant du public pertinent, l’EUIPO a considéré qu’il était composé à la fois du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, mais aussi d’un public au niveau d’attention plus élevé pour certains services visés dans l’enregistrement de la marque CITROËN, notamment pour les services financiers de la classe 36.

POLESTAR avait soulevé le caractère basique du logo litigieux, mais l’Office a retenu un design spécifique, condition suffisante, sans avoir besoin, comme l’avait fait la Cour d’appel de Paris, de justifier d’une distinctivité par l’usage qu’avait fait CITROEN du signe ni des lourds investissements y afférents.

A défaut de marque annulée, la condamnation de POLESTAR et surtout l’interdiction de l’usage de son logo en France gardent toute leur force. En l’état, en se rendant sur le site Internet de POLESTAR depuis la France, l’internaute peut lire que « l’accès au site Polestar n’est pas accessible au public français en raison de restrictions territoriales d’usage des marques françaises n°016898173 et n°01689532 ».[3] Mais pour combien de temps ? Qu’en sera-t-il en effet à l’issue de la période de six mois pour laquelle ladite interdiction avait été prononcée ?

Ces décisions donnent en tout cas une certaine vigueur à la protection des signes des constructeurs automobiles, au-delà des marques ombrelles que sont leurs dénominations.

Les juges ont même une vision extensive de la protection du logo automobile. C’est ainsi que VOLVO a pu s’opposer à la reprise du « V » de sa marque.[4]

L’EUIPO a en effet jugé que du fait de l’utilisation d’une police de caractères presque identique pour cette lettre (qui est l’élément dominant de la marque concurrente contestée), de la reprise des mêmes couleurs au sein des signes et de la même structure circulaire, « le public pertinent établira certainement un lien entre les signes en conflit, surtout si l’on tient compte de la grande réputation de la marque antérieure et du fait que les produits en conflits sont également identiques ».

L’Office explicite cette notion de lien en ces termes :

« Il existe une résonance suffisante entre les signes en conflit, de sorte que les leitmotivs véhiculés par les droits antérieurs auprès des consommateurs les amèneront, à tout le moins, à être plus favorablement disposés à acheter les produits de la défenderesse. En d’autres termes, il existe un risque de parasitisme par lequel l’image des droits antérieurs qui jouissent d’une immense réputation et qui projettent des valeurs telles que la sécurité, la fiabilité et la qualité sera transférée aux produits couverts par la marque demandée, de sorte que la commercialisation de ces produits sera facilitée par cette association avec les marques antérieures réputées. »

Et au-delà du logo, les constructeurs protègent également à titre de marque les modèles des véhicules qu’ils commercialisent, qu’il s’agisse d’un nom, comme d’un numéro.

PORSCHE avait de ce fait été en conflit avec PEUGEOT dans les années 60, concernant le nom attribué à la relève de la 356. PEUGEOT aurait apposé son veto sur le prototype du modèle 901 au bénéfice du 911, lié au fait que la firme aurait déposé depuis 1929, et le lancement de son modèle 201, tous les numéros reprenant un 0 central.

En matière de nom, les constructeurs ont une liberté assez grande, y compris d’utiliser des prénoms de naissance, comme « Mégane », « Clio » ou « Logan ». Rappelons à cet égard que RENAULT avait gagné son procès engagé lors du lancement de la « Zoé », par des parents dont RENAULT était le nom patronymique et « Zoé » le prénom de leur fille, qu’ils souhaitaient voir échapper aux moqueries, mais en vain[5].

Et pour aller plus loin, les constructeurs peuvent non seulement protéger la dénomination de leurs véhicules, leur physionomie (par le droit d’auteur et les dessins et modèles), toute innovation technique qu’ils contiennent par le brevet, mais aussi le design et le contenu de leur site Internet par le droit d’auteur et les noms de domaine y associés, et pas que… En effet, la communication inclut également des slogans qui peuvent être déposés à titre de marque (comme « Das Auto » pour VOLKSWAGEN), y compris sous une forme sonore voire multimedia (RENAULT par exemple l’a déjà fait ou HYUNDAI pour un jingle). Enfin, ils peuvent encore protéger leurs espaces physiques de vente, par le biais du droit d’auteur comme de la marque figurative.

Les constructeurs disposent ainsi d’un panel de droits large pour se protéger d’une nouvelle concurrence, qu’il s’agisse de droits de propriété intellectuelle ou industrielle ou bien d’agir sur le fondement du droit commun de la concurrence déloyale ou parasitaire. Notons à cet égard que l’atteinte à la renommée de la marque antérieure se rapproche en fait sensiblement du parasitisme, dont elle reprend le mécanisme (tirer indument profit de la notoriété du concurrent ou de l’opérateur tiers en se mettant dans son sillage sans bourse délier).


[1] CJUE, 27 novembre 2008, Intel (C-252/07)

[2] Comme démontré par l’EUIPO dans la décision VOLVO/V-WHEELS rendue le 3 mars 2021, (R0776/2018-4)

[3] https://www.polestar.com/fr-be/

[4] EUIPO, Décision VOLVO/V-WHEELS du 3 mars 2021, (R0776/2018-4)

[5] TGI Paris, référé, 10 novembre 2010, n° 10/59262