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Publié le 1 juin 2009 par André Soulier

Pénalisation du harcèlement moral : quand le subjectivisme devient présomption, comment garantir la défense de l’employeur ?

1. La reconnaissance du « harcèlement moral »

1. L’enquête réalisée par la fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail montre que la violence au travail touche dans l’union européenne 3 millions de travailleurs par le harcèlement sexuel, 6 millions de travailleurs par la violence physique et 12 millions par l’intimidation et la violence psychologique. En France, en 2000, une enquête IPSOS mettait en évidence que 3 salariés sur 10 s’estimaient victimes de harcèlement moral au travail !

Longtemps ignoré et tu, le harcèlement moral au travail est devenu, dans les années 1999-2000, aux dires des organisations syndicales, un fléau social dénoncé avec force et vigueur notamment lors du défilé du 1er mai 2000, contraignant le législateur à intervenir. C’est ainsi qu’au mois de janvier 2002, le législateur s’est attaché à définir ce qu’est le harcèlement moral au travail.

2. Le harcèlement moral se définit aujourd’hui dans le code du Travail comme des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits du salarié et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel .

Face à l’ampleur du phénomène, relayé par les médias, et à son impact social, le législateur ne s’est pas contenté d’introduire la notion de harcèlement moral dans le code du Travail. Le législateur a ainsi institué une obligation pour l’employeur de protection de la santé mentale du salarié à tous les niveaux et quel que soit le secteur ou la taille de l’organisation. Cette obligation est venue enrichir les principes généraux de prévention et les règlements intérieurs des sociétés puisque désormais ceux-ci doivent rappeler les dispositions relatives au harcèlement moral.

3. Davantage, la santé mentale du salarié a été érigée au rang des questions d’ordre public, toute atteinte par des agissements répétés étant désormais également réprimée pénalement.

Cette répression va bien au delà de la répression symbolique puisque c’est le cadre délictuel qui a été choisi et que la peine maximale a été fixée à un an d’emprisonnement et/ou 15.000 Euros d’amende.

Un cadre légal pénal en marge des droits de la défense

Si les contours du cadre juridique social du harcèlement moral ont depuis 2002 déjà largement été fixés par la jurisprudence ces sept dernières années, tel n’est pas le cas, de l’aspect pénal, bien que le premier jugement correctionnel ait été rendu le 25 octobre 2002.

Aussi, est-il encore difficile de poser des certitudes quant à la défense de l’employeur ou du salarié poursuivi pour des faits de harcèlement moral.

1. Naturellement, les grands principes du droit de la défense pénale doivent s’appliquer comme l’a rappelé le Conseil Constitutionnel dans sa décision du Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 au visa des dispositions des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

Ainsi, s’agissant du harcèlement moral comme de toute autre infraction, une peine ne peut être infligée qu’à la condition que soient respectés le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, ainsi que la présomption d’innocence.

2. Au regard de ces principes et de la rédaction du texte réprimant pénalement les agissements constitutifs de harcèlement moral, un constat s’impose : l’incrimination pénale d’infraction pénale souffre, à l’évidence, d’une rédaction trop inspirée des dispositions sociales et inadéquates au regard de l’application des principes gouvernant la défense pénale.

En effet, en vertu des dispositions de l’article 222-33-2 (créé par Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 – art. 170 JORF 18 janvier 2002) du Code Pénal :

« Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende. »

3. Ce défaut de clarté et de précision a d’ailleurs justifié la saisine du Conseil Constitutionnel, lequel via sa décision du 12 janvier 2002 précitée, précise ladite incrimination.

Deux certitudes s’imposent s’agissant de cette incrimination :

  • Les  » droits  » du salarié auxquels les agissements incriminés sont susceptibles de porter atteinte, visent les droits de la personne au travail, tels qu’ils sont énoncés à l’article L 1121-1 du code du travail (ancien article L. 120-2), c’est-à-dire le droit des personnes, les libertés individuelles et collectives.
  • L’aménagement de la charge de la preuve en faveur des victimes, impliquant qu’il appartient à la personne mise en cause de démontrer qu’elle n’a commis aucun acte de harcèlement moral n’est pas applicable en matière pénale et ne saurait nuire à la présomption d’innocence.

Le cadre légal pénal précisé par la jurisprudence

1. Si les précisions apportées par le Conseil Constitutionnel étaient opportunes, la nébuleuse créée par la généralité des termes employés et le lien de causalité potentiel posé entre les agissements répétés et l’atteinte portée aux droits du salarié ou encore à sa santé physique ou mentale, constitutifs de la matérialité de l’infraction, demeure toujours.

C’est donc à travers la jurisprudence qu’il faut tenter de caractériser la matérialité de l’infraction de harcèlement moral.

L’infraction pénale de harcèlement moral implique dans sa matérialité trois éléments.

2. D’une part, l’infraction n’existe pas sans agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail :

La jurisprudence retient comme « agissements » une multitude d’actes dont la perception est si subjective que le risque de répression pénale parait indéterminable.

Ainsi, il est possible de citer :

  • Un coup de parapheur sur la tête qualifié de violence physique,
  • La lecture du courrier électronique qualifié d’intrusion dans la vie privée,
  • L’appréciation « Nul » pour un travail rendu par le salarié qualifié d’insultes,
  • Les ordres contradictoires,
  • La fixation des heures de « débriefing » en fin de journée entraînant des dépassements d’horaires fréquents,
  • L’obligation imposée au salarié de travailler avec la porte de son bureau ouvert,
  • Les reproches acerbes devant témoins,…

Au regard de la subjectivité des « agissements », de la nécessité d’apprécier ceux-ci in concreto, la Chambre sociale de la Cour de Cassation avait, dans un arrêt de principe (27 octobre 2004), considéré que l’appréciation des éléments produits pour établir l’existence d’un harcèlement relevait de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Or, il convient de souligner que la Chambre sociale de la Cour de Cassation a opéré un revirement de jurisprudence par quatre arrêts en date du 24 septembre 2008, exerçant désormais un contrôle de qualification.

Ce contrôle de qualification était manifestement nécessaire puisqu’il convient de rappeler que ne sont susceptibles d’être qualifiés de harcèlement moral que les actes qui entraînent des restrictions aux droits des personnes et/ou à leur liberté individuelle ou collective non justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

Ainsi, la Cour de Cassation s’attache à vérifier que les juges du fond n’ont pas omis de vérifier que les actes reprochés n’étaient pas justifiés par des circonstances démontrées afférentes à la nature de la tâche, ou le but recherché.

La Cour de Cassation a d’ailleurs été au-delà de la loi, puisqu’elle a exonéré de responsabilité un employeur jugeant que les faits reprochés se justifiaient pas la situation économique de l’entreprise et la nécessité de sa réorganisation.

Par ailleurs, le Conseil Constitutionnel a consacré, dans sa décision précitée, l’identité matérielle des agissements réprimés au plan pénal avec ceux sanctionnés au plan social. Aussi, les décisions rendues par ces chambres sociales constituent-elle des jurisprudences pertinentes, même lorsque l’incrimination pénale est en cause.

2. D’autre part, l’infraction exige que le salarié rapporte la preuve d’une atteinte à ses droits et à sa dignité, d’une altération de sa santé physique ou mentale ou d’un avenir professionnel compromis. Cette preuve n’est, en France au grand regret des employeurs, pas difficile à établir  quand bien même elle ne serait que fictive… En témoigne, d’ailleurs le résultat de la récente enquête de la Sécurité Sociale récemment communiqué : 11% des congés maladie contrôlés en 2008 sont abusifs, soit 1 cas sur 10 ! Il semble donc qu’il faille considérer cette preuve comme inéluctable dès lors qu’aucun salarié ne se risquera à une action pénale sans au moins le certificat médical adéquat et le congé maladie qu’il n’aura pas manqué de se faire prescrire.

3. Enfin, l’infraction nécessite un lien de causalité entre les agissements répétés et l’atteinte portée au salarié. Toutefois, une nouvelle ambigüité du texte résidait dans le terme choisi par le législateur pour qualifier ce lien de causalité :

« Des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ».

Au moins pour l’incrimination pénale et pour le respect des droits de la défense, il aurait été opportun que le législateur pose un lien de causalité effectif et démontré. Or, tel n’est pas le cas, puisqu’en choisissant de qualifier le lien de causalité de « susceptible », le législateur pose en réalité un lien de causalité potentiel. Ainsi, aux termes de la loi, il suffit que les agissements reprochés aient pu, ou puissent porter atteinte aux droits du salarié.

A ce titre, la position récemment adoptée par la Chambre sociale de la Cour de Cassation (30 avril 2009) très justement dans l’interprétation littérale de la loi, est désormais claire : il n’est pas nécessaire que le salarié prouve les effets du harcèlement sur la santé pour en démontrer l’existence.

Si une telle position devait également être adoptée par la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, ce qui est à craindre, elle serait conforme à la loi, mais inacceptable au regard de la présomption d’innocence devant gouverner la justice pénale.

4. La jurisprudence existante en matière pénale sur l’infraction dite de « harcèlement moral » demeure encore à ce jour, rare. Non qu’il faille en déduire que l’infraction créée en 2002 n’est pas connue ou usitée, mais les procédures d’enquête ou encore d’instructions sont souvent longues de sorte que la plupart des dossiers existants n’ont pas à ce jour encore eu le temps d’être jugés par les Cours d’Appel.

Cela est si vrai que le 28 avril 2009 – notre Cabinet assurant la défense du prévenu-  la Cour d’Appel de LYON a rendu son premier arrêt en la matière, l’un des premiers en France. Cet arrêt, tant par sa nouveauté que par sa qualité mérite d’être connu, d’autant que la Cour d’Appel de LYON a jugé que l’infraction pénale de harcèlement moral n’était pas constituée.

Dans ce cas d’espèce, la 4ème Chambre correctionnelle de la Cour d’Appel de LYON, réformant un jugement du Tribunal Correctionnel de LYON, ne s’est pas livrée à l’exercice périlleux de remettre en cause la réalité des agissements reprochés. Ceux-ci étaient pourtant invoqués quasi-uniquement grâce à des déclarations concordantes de salariés ayant également mis en cause l’intéressé, soit une subjectivité indéniable tant dans la perception des actes que dans le but poursuivi par ces déclarations.  La réalité des agissements répétés a donc été acceptée.

Par ailleurs, la Cour d’Appel de LYON a, dans l’examen de ce dossier, sans trahir le texte légal, mis en exergue les principes gouvernant le droit pénal français s’attachant à vérifier la réalité de l’infraction reprochée.

En effet, la Cour d’Appel de LYON a vérifié, d’une part s’il existait un lien de causalité entre l’altération des conditions de travail et les actes reprochés, d’autre part si les restrictions apportées aux droits des salariés excédaient les limites du pouvoir de direction  ou de l’exercice des fonctions et enfin a recherché si les agissements reprochés ne résultaient pas d’une autre cause que l’intention de nuire, exigée pour toute infraction pénale volontaire en droit français.

A  ces trois questions, la Cour d’Appel de LYON a répondu par la négative jugeant que l’infraction n’était pas constituée et a prononcé la relaxe.

En revanche, la Cour d’Appel de LYON a également recherché s’il résultait des agissements une atteinte aux droits du salarié ou autrement dit si les effets des agissements reprochés sur la vie du salarié étaient démontrés. Une telle vérification parait à l’évidence contraire à la position adoptée par la Chambre sociale de la Cour de Cassation le lendemain soit le 30 avril 2009. Pour autant, si au plan social, il est possible d’admettre que l’existence d’un harcèlement n’est pas subordonnée à la preuve des effets du harcèlement, en matière pénale, un tel raisonnement n’apparait nullement cohérent. Comment en effet réprimer une personne pour des actes dont les effets sur la victime ne sont pas indubitablement établis ?

Une telle répression se heurterait manifestement à la présomption d’innocence, qui reste et demeure la seule garantie absolue contre des lois pénales hâtivement rédigées plus soucieuses de la paix sociale que de la justice pénale.