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Publié le 27 décembre 2022 par Marion Fleuret

Prestation compensatoire versus droits fondamentaux

Dans un arrêt du 30 novembre 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation a fait prévaloir le principe de la prestation compensatoire sur celui du droit de propriété, usant d’une argumentation mesurée.

L’article 270 du code civil pose le principe de la prestation compensatoire dans les termes suivants :

« Le divorce met fin au devoir de secours entre époux.

L’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d’un capital dont le montant est fixé par le juge.

Toutefois, le juge peut refuser d’accorder une telle prestation si l’équité le commande, soit en considération des critères prévus à l’article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture. »

L’article 271 du Code civil quant à lui en précise les contours en énumérant des critères d’appréciation dont la liste n’est pas exhaustive, et dispose que :

« La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.

A cet effet, le juge prend en considération notamment :

  • la durée du mariage ;
  • l’âge et l’état de santé des époux ;
  • leur qualification et leur situation professionnelles ;
  • les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
  • le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
  • leurs droits existants et prévisibles ;
  • leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa. »

Dans le cas de l’espèce, une épouse a été condamnée à verser à son époux une prestation compensatoire en capital d’un montant de 50 000 euros.

Cette dernière a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt en usant d’une argumentation basée sur les droits fondamentaux, en tentant de remettre en question le principe même de la prestation compensatoire, tel qu’il est consacré par le Code civil.

En effet, la demanderesse a tenté d’échapper au paiement d’une prestation compensatoire en sollicitant l’application de l’article 1 § 1 du premier Protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales relatif à la protection de la propriété, lequel prévoit que :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour règlementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Dans son arrêt du 30 novembre 2022[1], la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’épouse en indiquant que :

« Il en résulte que ces dispositions ménagent un juste équilibre entre le but poursuivi et la protection des biens du débiteur sur lequel elles ne font pas peser, par elles-mêmes, une charge spéciale et exorbitante.»

Dans la rédaction de son arrêt, la Cour de cassation a fait preuve de prudence puisqu’elle n’a pas occulté la condamnation de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 10 juillet 2014[2].

Dans cette affaire, la France avait été condamnée pour atteinte à cet article 1er du Protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Le cas d’espèce était quelque peu différent, puisqu’il avait été jugé que le paiement de la prestation compensatoire à laquelle avait été condamné l’époux se réaliserait par la cession forcée de l’un de ses biens, et ce alors qu’il disposait par ailleurs des liquidités suffisantes lui permettant de la verser en capital.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme avait donc considéré « qu’il y a eu rupture du juste équilibre devant régner entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. En l’espèce, le requérant a « supporté une charge spéciale et exorbitante », que seule aurait pu rendre légitime la possibilité de proposer de s’acquitter de sa dette par un autre moyen mis à sa disposition par la loi, à savoir par le versement d’une somme d’argent ou le transfert de ses droits de propriété sur un ou plusieurs autres biens. »

Dans son arrêt du 30 novembre 2022, la Cour de cassation reprend les termes de l’arrêt du 10 juillet 2014 rendu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme mais ne considère pas que le principe même de la prestation compensatoire porterait atteinte au droit de propriété.


[1] Civile 1ère, 30 novembre 2022, pourvoi n°21-12.128

[2] CEDH, 5ème section, 10 juillet 2014, n°4944 / 11 – Milhau contre France