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Publié le 25 janvier 2023 par André Soulier

« Quand les avocats font l’histoire de l’Antiquité à nos jours »

Emmanuel Pierrat, Avocat au Barreau de Paris, auteur prolifique, a publié cet automne dernier un ouvrage érudit montrant à travers les siècles le rôle, quelquefois révolutionnaire ou réformiste d’avocats de grand talent, embrassant souvent à la fin des fins une carrière politique au plus haut niveau.

On y découvrira en 336 pages parues chez Albin Michel les avocats les plus célèbres, leurs fièvres, leurs harangues et les changements sociétaux et culturels que leur voix a provoqué dans nos sociétés « modernes ».

C’est le cas de notre associé fondateur, André Soulier, actuellement le Doyen du Barreau de Lyon, qui occupe six pages de l’ouvrage de 269 à 275, sous le titre significatif saluant une réforme enfantée par un des acquittements obtenus dans sa carrière : « quand l’avocat précède la loi ».

Le passage concernant André Soulier est intégralement reproduit ci-dessous.

Quand l’avocat précède la loi

Les ténors du barreau ont souvent Mille et une vies[1], publique forcément, politique – souvent, judiciaire bien sûr, à l’instar d’André Soulier. Comme c’est le cas pour nombre de nos confrères propulsés sous les projecteurs. A la suite de procès médiatiques, son nom est notamment associé à deux affaires célèbres : la plus récente est le procès du cardinal Philippe Barbarin, accusé de ne pas avoir dénoncé à la justice les agressions sexuelles du prêtre Bernard Preynat sur de jeunes scouts, L’archevêque de Lyon, d’abord frappé d’une peine de 6 mois de prison avec sursis, sera relaxé par la Cour d’Appel en 2020.

Mais il y a eu aussi, cinquante ans plus tôt, l’histoire de Jean-Marie Deveaux[2], commis boucher victime d’une erreur judiciaire en 1963 et condamné à 20 ans de prison pour le meurtre d’un enfant qu’il n’a pas commis.

Le combat mené par André Soulier au palais de justice pour défendre Jean-Marie Deveaux est à l’origine de la loi du 17 juillet 1970 sur l’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires. « Mon rôle dans cette affaire ne devait pas se terminer avec la libération de Jean-Marie Deveaux » écrit André Soulier[3]. J’avais déjà usé trois ministres de la Justice du général de Gaulle [..] il m’en fallait un quatrième… Ce fut René Pleven […]. Georges Pompidou était Président de la République et Jacques Chaban-Damas, Premier ministre […]. Le jeune avocat que j’étais encore était choqué que des innocents ayant subi des mois, voire des années de détention, soient remis sur le pavé sans un sou vaillant après un non-lieu, une relaxe ou un acquittement. […] Jean-Marie Deveaux avait passé huit ans de sa jeunesse en prison. […] Aussi bien devais-je convaincre le gouvernement de déposer un texte permettant d’indemniser toute personne ayant subi une détention avant d’être relaxée, acquittée ou bénéficiaire d’un non-lieu. […] René Pleven fit voter la création d’une commission d’indemnisation siégeant à Paris sous l’autorité du Président Monguillan, futur premier président de la Cour de cassation. C’est ainsi que j’eus  ’honneur de présenter lla première requête en indemnisation en vertu de la nouvelle loi. ».

D’ascendance modeste et le revendiquant – « parce que rien n’a jamais été une revanche[4] [..] ce n’est pas une revanche que mon père n’ait pas été multimillionnaire […]. Il conduisait un camion de charbon, il a été petit commerçant, il a eu des difficultés, il est devenu chauffeur de taxi. C’était un merveilleux chauffeur de taxi. De Niro n’était pas meilleur que lui dans Taxi Driver ».

André Soulier, franc-maçon, membre de la loge Union et liberté du Grand Orient, dit que, en dépit des nombreuses fonctions politiques qu’il a occupées, il a toujours été « d’abord avocat »[5]. L’un n’empêchant pas l’autre, il est pourtant considéré comme étant un homme de réseaux et de partis – proche de Pierre Mendès France et de François Mitterrand[6] et, dans la région de Lyon, de Francisque Collomb et de Raymond Barre. Il a connu, rapporte le magazine Lyon Capitale[7] qui a fait cet étonnant calcul, 12 maires de Lyon (« fonction qu’il sera proche d’exercer »), 8 papes (il travailla pour le Vatican et organisa le concert de Jean-Michel Jarre lors de la venue de Jean-Paul Il), 20 Coupes du monde de football (« il présida la commission d’éthique et de discipline de la Ligue nationale » et plaida pour plusieurs clubs : FC Metz, Paris-Saint-Germain, Olympique lyonnais…).

De député européen à vice-président du Conseil régional de Rhône-Alpes, en passant par les fonctions de maire de Villié-Morgon des 1970 et d’adjoint à la mairie de Lyon, sans parler de ses divers postes de conseiller, Soulier a « pleinement vécu » ses vies multiples sans en négliger aucune. Il est par exemple au côté de Joannès Ambre[8] dans la défense du fameux « gang des Lyonnais » : « Je dois beaucoup à Joannès Ambre qui me détourna du barreau d’Évreux, où me voulait Pierre Mendès France, pour celui de Lyon et m’invita à rejoindre son cabinet en qualité de collaborateur[9]  », explique-t-il. Mais, ironie du sort, quand en 1975 Christophe Mérieux, fils d’Alain Mérieux (président de L’institut pharmaceutique BioMérieux), est enlevé, à l’âge de 9 ans, et qu’une rançon de 20 millions de francs est exigée – à l’époque la plus forte rançon jamais demandée –, André Soulier est l’avocat de la famille.

Si Louis Guillaud[10], dit Loulou la Carpe, précisément Membre du gang des Lyonnais, est condamné pour cela à 20 ans de prison en 1981, le mystère autour de cet enlèvement n’est pas élucidé, en particulier à propos des complices. Car « la Carpe » restera définitivement muette à la suite du suicide de « Loulou » en 2008. Lors du procès lié à la catastrophe industrielle de la raffinerie de Feyzin (Rhône), qui entraîne en 1966 la mort de 18 personnes et cause plus de 80 blessés, il représente la partie civile.

En 1970, dans l’affaire de l’incendie de la discothèque le « 5-7 » à Saint-Laurent-du-Pont, en Isère, où 146 personnes trouvent la mort, il assure la défense des intérêts de 52 parties civiles. Le football tenant une place importante dans « son amour pour le sport », André Soulier sera entre autres l’avocat de Michel Platini dans l’affaire de la caisse noire de I’AS Saint-Étienne[11], qui crée une onde de choc en 1982, des sommes considérables ayant alimenté illégalement ladite caisse afin de « conserver » les meilleurs joueurs du club : Michel Platini, Patrick Battiston, Jacques Zimako, Bernard Lacombe et Christian Lopez[12]. Dans le drame de Furiani en 1992, déjà évoqué lors des pages consacrées à l’avocat des victimes Paul Lombard, Soulier défend le président de la Fédération française de football. Et dans le dossier de l’accident d’avion A320 du mont Sainte-Odile, où 87 passagers perdent la vie, il représente les familles des victimes pour l’obtention d’indemnités décentes.

André Soulier peut aussi se targuer d’avoir été, au cours des années 1980, conseiller de Lech Walesa pour les questions afférentes à l’édition de ses ouvrages. Il raconte[13] comment, lors de son déplacement à Gdańsk en 1988, il dormira « dans le lit occupé l’année précédente par un ami beaujolais déjà célèbre, Bernard Pivot, venu interviewer Lech Walesa pour son émission spéciale « Apostrophes » à la suite de la sortie de son livre [14] en France ».

André Soulier, dans sa perception et sa présentation de « l’exercice solitaire » de la défense, la confirme dans son indispensable temporalité : « Défendre, ce n’est pas se réfugier dans le confort moral et la facilité, comme ce n’est pas devenir le complice d’un assassin. Dira-t-on que le prêtre qui donne l’absolution efface ainsi la faute ? Acceptera-t-on désormais que le meurtrier blessé ne reçoive pas le secours d’un médecin ? La robe noire que nous portons n’est pas seulement un symbole : elle représente le pathétique de l’existence avec ses chagrins et ses malheurs […]. Le pénitent ne peut demeurer seul. Face à la société muette ou vociférante, il devra être accompagné par un homme seul : son avocat[15]  ».


[1] André Soulier, Mes mille et une vies, avant-propos de Robert Badinter, Le Cherche Midi, 2021.

[2] En juillet 1961, une fillette âgée de 7 ans, Dominique Bessard, est retrouvée morte, poignardée à plusieurs reprises et égorgée, dans la cave d’un HLM en banlieue lyonnaise. Son père tient une boucherie au pied de l’immeuble, et la petite fille a été vue devant la boutique avant de disparaitre, Jean-Marie Deveaux, 19 ans, y est apprenti. La police s’y intéresse mais l’écarte dans un premier temps comme suspect. C’est alors que Deveaux, qui se pense victime d’une rumeur lui attribuant le crime, tente de faire croire à une agression sur sa personne à l’endroit même où la petite a été trouvée morte.

Cette histoire se retourne contre lui : s’il a menti en l’occurrence, il ment sans doute aussi pour le meurtre de Dominique Bessard.

Par peur panique des piqûres, il refuse de se soumettre au sérum de vérité et fait des aveux. Et pour ne rien arranger, il change d’avis plusieurs fois.

Lors de la reconstitution, les réponses à fournir lui sont suggérées par les enquêteurs, ces derniers n’accordant aucune attention à la piste d’un rôdeur pourtant signalé par de nombreux témoignages, avec à la clé un autre meurtre commis de la même façon, survenu alors que Deveaux est en détention. De vices de procédure en affaire bâclée, la condamnation tombe : 20 ans de prison. Deux hommes se battront bec et ongles pour dénoncer cette injustice flagrante : le père Boyer, un visiteur de prison jésuite, et André Soulier, qui ne cessera de contester la façon dont s’est tenu le procès et d’en réclamer la révision, qu’il obtiendra après des années de lutte. En septembre 1969, Jean-Marie Deveaux est acquitté (le véritable assassin n’a, à ce jour, pas été identifié).

Pour Ies 8 ans passés à tort derrière les barreaux, il touchera 125 000 francs d’indemnisation en 1972, qu’il utilisera en partie pour offrir une voiture au père Boyer.

[3] A. Soulier, Mes milles et une vies, op. cit.

[4] Le Miroir de Lyon, le 4 février 2021.

[5] En interview pour le magazine Lyon Capitale du 1er février 2021, il déclare : « Ce qui a envahi ma vie c’est le barreau, la lutte contre l’injustice, le fait de se retrouver seul avec quelqu’un qui va peut-être mourir alors même qu’il a commis un forfait ou a été entraîné dans des aventures improbables ou était tout simplement innocent. Je suis d’abord avocat. J’ai siégé dans nombre d’assemblées mais à la fin c’était toujours la défense qui se levait, pas l’homme politique. »

[6] « J’ai été le protégé de Pierre Mendès France. J’ai été vingt ans le compagnon de François Mitterrand. Je suis parti quatre ans avant qu’il soit président de la République », dit Soulier en interview au Miroir de Lyon le 4 février 2021.

[7] Le 1er février 2021.

[8] Pour Joannès Ambre et l’affaire du « gang des Lyonnais », se reporter au chapitre 7 ainsi qu’à la note n° 1 p. 217.

[9] Lyon People, le 25 mars 2021

[10] Dans son livre Mes mille et une vies, André Soulier raconte qu’au moment du procès Guillaud, sa femme et lui-même ont reçu des menaces de mort ayant donné lieu à l’interpellation d’un individu défendu par Joannès Ambre, lequel s’étonne devant les caméras de télévision de « la mise en cause injustifiée de son client ». « Mon sang ne fit qu’un tour, se souvient Soulier. Je portai à son cabinet quelques lignes où je regrettais que la parole d’un voyou pèse plus lourd que celles de mon épouse et de moi-même. Il s’en excusa […]. J’ai été longtemps chagrin de cet incident. »

[11] Le président du club Roger Rocher sera quant à lui condamné à 3 ans de prison (dont 32 mois avec sursis) et 800 000 francs d’amende, puis bénéficiera d’une grâce présidentielle par François Mitterrand en 1991.

[12] Ils seront condamnés à 4 mois de prison avec sursis assortis d’amendes variables (300 000 francs pour Platini).

[13] Dans son livre Mes mille et une vies, op. cit.

[14] Lech Walesa, Un chemin d’espoir, Fayard, 1987.

[15] A. Soulier, Mes mille et une vies, op. cit.