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Publié le 30 mai 2023 par Claire Filliatre

Validation par le Tribunal judiciaire de Paris le 17 mai 2023 de deux nouvelles CJIP

Deux nouvelles conventions judiciaires d’intérêt public (ci-après « CJIP ») ont été publiées sur le site du ministère de la justice suite à leur validation par le tribunal judiciaire de Paris le 17 mai dernier.

Ces deux CJIP concernent des personnes morales auxquelles il était reproché d’avoir commis des faits pouvant recevoir la qualification pénale de trafic d’influence pour la première CJIP et d’avoir participé à des irrégularités dans la commande publique en ce qui concerne la seconde CJIP.

La première concerne la société GUY DAUPHIN ENVIRONNEMENT, filiale du Groupe DERICHEBOUG, à qui il était reproché des faits de trafic d’influence pour obtenir la délivrance d’une autorisation d’installation d’un centre d’enfouissement de résidus de broyage automobile dans le département de l’Orne.

La seconde concerne les sociétés BOUYGUES BATIMENT SUD EST et LINKCITY SUD EST à qui il est reproché d’avoir méconnu les règles de la commande publique relatives notamment à l’égalité des candidats dans la commande publique dans le cadre de trois opérations de construction conclues avec le Centre hospitalier Annecy Genevois.

Nous détaillerons les mesures négociées dans le cadre de ces deux CJIP après avoir rappelé la définition d’une CJIP.

1. Qu’est-ce que la CJIP ?

Inspirée des pratiques anglo-saxonnes, la convention judiciaire d’intérêt public est un mécanisme procédural introduit par la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite loi « Sapin II » et codifiée à l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale[1] permettant aux personnes morales de négocier directement avec le parquet des mesures alternatives aux poursuites et échapper ainsi à une condamnation pénale. Cette mesure était initialement proposée uniquement pour des faits de corruption et trafic d’influence.

La loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a étendu son champ d’application aux faits de fraude fiscale.

La loi n°2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a ajouté les faits de blanchiment ainsi que les délits prévus par le code de l’environnement et codifié à l’article 41-1-3 du Code de procédure pénale[2].

Cette convention conclue entre la personne morale et le procureur de la République peut imposer une ou plusieurs des obligations suivantes à l’entreprise poursuivie :

  • Verser une amende d’intérêt public au Trésor public dans la limite de 30% du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements,
  • Se soumettre pour une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de l’Agence française anticorruption ou des services compétents du ministère chargé de l’environnement, à un programme de mise en conformité,
  • Réparer le préjudice causé à la victime.

Afin de parvenir à la conclusion d’une CJIP, il est demandé à la personne morale de montrer sa volonté de coopérer de bonne foi, ce qui se traduit notamment par la révélation spontanée des faits délictueux au parquet ou encore par la manifestation de la vérité au moyen d’une enquête interne portant sur les faits reprochés.

Après conclusion de la CJIP, le procureur de la République saisit par requête le président du tribunal judiciaire aux fins de validation. Le président du tribunal judiciaire valide ou non la CJIP lors d’une audience publique. En cas de validation, la personne morale dispose d’un délai de rétractation de dix jours. Si la personne morale ne se rétracte pas, les obligations prévues dans la CJIP sont mises à exécution.

En cas de refus de validation, de rétractation par la personne morale ou en cas d’inexécution de ses obligations prévues dans la CJIP, le procureur de la République met en mouvement l’action publique et la personne morale engage sa responsabilité pénale.

Conformément à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale[3], le parquet conserve toute possibilité d’engager des poursuites pénales contre les personnes physiques, notamment les dirigeants de la personne morale, auteurs ou complices des infractions retenues dans la CJIP.

Conformément à la circulaire du 2 juin 2020, le parquet national financier (« PNF ») est désigné comme l’autorité judiciaire chef de file en matière de corruption internationale et a vocation à connaître des dossiers les plus complexes de fraude fiscale et de blanchiment de ce délit.

Des lignes directrices sur la mise en œuvre de la CJIP ont été publiées le 16 janvier dernier par le PNF[4].

Il y est notamment rappelé l’intérêt pour les personnes morales de conclure une CJIP en permettant notamment l’extinction de l’action publique sans générer les effets d’une condamnation judiciaire sur son activité économique. Les entreprises en lien avec le secteur public peuvent ainsi continuer à candidater pour des marchés publics.

Il y est également explicité la manière de fixer l’amende d’intérêt public.

2. Sur la CJIP conclue entre le PNF et la société GUY DAUPHIN ENVIRONNEMENT

Dans cette affaire, il était reproché à la société GUY DAUPHIN ENVIRONNEMENT (ci-après « GBE ») d’avoir sollicité entre 2007 et 2013, le concours et le soutien du président du conseil général de l’Orne et de son directeur de cabinet afin d’orienter les décisions des pouvoirs publics concernant l’implantation d’un centre d’enfouissement de résidus de broyage automobile sur le site de Nonant le Pin.

Ce projet de construction avait en effet suscité de nombreuses inquiétudes de la part des riverains et des éleveurs en raison d’un fort risque de pollution résultant des lixiviats issus des résidus de broyage pouvant polluer une nappe phréatique située à proximité et de porter ainsi atteinte aux haras utilisant l’eau provenant de cette nappe.

Alors que la préfecture avait refusé l’autorisation d’installer ce centre en raison des risques écologiques, la société GDE avait attaqué la décision et obtenu du tribunal administratif de Caen, l’autorisation d’exploitation. Dans sa décision, le Tribunal demandait au préfet de fixer par arrêté les prescriptions techniques nécessaires.

A la suite de cette décision, la Ministre de l’écologie, sur demande du président du Conseil général de l’Orne, enjoignait au Préfet de prendre l’arrêté de prescriptions nécessaires à l’installation du centre.

L’exploitation ouvrait en 2013 mais était immédiatement bloquée par un collectif de riverains.

Plusieurs recours administratifs étaient introduits aboutissant au prononcé d’un arrêt rendu par la Cour administrative de Nantes annulant le jugement du tribunal administratif de Caen.

Le parquet était saisi d’une plainte émanant d’associations de protection de l’environnement mettant en cause le président du Conseil général de l’Orne et son directeur de cabinet pour des faits d’atteinte à la probité publique.

Suite à l’enquête pénale, il était mis en évidence que la société GDE avait sollicité le concours et le soutien du président du Conseil général de l’Orne et de son directeur de cabinet afin d’orienter les décisions des pouvoirs publics.

Il est intéressant de relever dans cette décision la manière dont est caractérisé le trafic d’influence.

Il était ainsi découvert que la société GDE avait :

  •  convié régulièrement le président du Conseil général de l’Orne et son directeur de cabinet à déjeuner, à dîner et les avait invités à profiter d’un survol en hélicoptère du Mont-Blanc,
  • envisagé la nomination du président du Conseil général de l’Orne au conseil de surveillance de la société GDE,
  •  envisagé de financer à hauteur de 10.000 euros l’édition d’un livre à paraître sous la plume du président de Conseil général de l’Orne.

Aux termes de l’accord négocié, la société GDE acceptait l’exécution des obligations suivantes :

  • Une amende d’intérêt public de 1.230.000 euros,
  • Un programme de mise en conformité sur trois ans sous le contrôle de l’Agence française anticorruption dont la dépense sera supportée à hauteur de 1.337.000 euros par la société GDE.

Conformément à ce qui est prévu dans les lignes directrices du PNF, l’amende d’intérêt public a été fixée en tenant compte à la fois « des avantages tirés des manquements » évalués à une somme nulle puisque le centre d’enfouissement n’a jamais été exploité ainsi que de l’amende punitive fixée à la somme de 1.230.000 euros.

3. Sur la CJIP conclue entre le PNF et les sociétés BOUYGUES BATIMENT SUD EST et LINKCITY SUD EST

Dans cette seconde affaire étaient mises en cause la société BOUYGUES BATIMENT SUD EST et l’une de ses filiales la société LINKCITY SUD EST.

Il leur était reproché d’avoir bénéficié des irrégularités commises par le Centre hospitalier Annecy Genevois dans trois opérations relevant de la commande publique et de marchés publics pour lesquels elles avaient été titulaires.

Ainsi, dans un premier marché de conception réalisation pour la construction d’un bâtiment pour lequel BOUYGUES BATIMENT SUD EST avait candidaté comme mandataire d’un groupement, il était établi que :

  • Le groupement mené par BOUYGUES avait été classé en première position par le jury sans que celui-ci ne tienne compte de l’ensemble des critères de sélection en retenant principalement les considérations architecturales alors que celles-ci ne devaient compter que pour 15% dans la note finale,
  • L’architecte du groupement avait reçu une information privilégiée.

Pour un second marché de construction d’un bassin de rétention, il était établi que le marché avait été passé sans aucune publicité ni mise en concurrence alors qu’aucune urgence ne justifiait que la procédure relative à la passation de marchés publics ne soit pas respectée.

Sur la troisième opération de cession d’un tènement immobilier, il était établi que le Centre hospitalier n’avait pas respecté les critères de sélection et que le nom de l’assistant maître d’ouvrage choisi avait été proposé par le directeur commercial de BOUYGUES BATIMENT SUD EST.

Surtout, il était établi entre 2015 et 2018 que des membres du Centre hospitalier avaient reçu de la part des sociétés BOUYGUES BATIMENT SUD EST et LINKCITY :

  • Plusieurs invitations dans des restaurants parfois organisées durant les appels d’offre,
  • Des places de concert pour le festival « piano à Lyon » durant la saison 2016-2017.

Aux termes de l’accord, les sociétés ont accepté l’exécution des obligations suivantes :

  • Une amende d’intérêt public de 7.964.000 euros,
  • Un programme de mise en conformité sur trois ans sous le contrôle de l’agence française anticorruption à hauteur de 1.337.000 euros.

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042779529/2023-05-23

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043979263/2023-05-23

[3] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042779529/2023-05-23

[4] https://www.tribunal-de-paris.justice.fr/sites/default/files/2023-01/Lignes%20directrices%20sur%20la%20mise%20en%20oeuvre%20de%20la%20convention%20judiciaire%20d%27int%C3%A9r%C3%AAt%20public%20PNF%20version%20sign%C3%A9e.pdf