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Publié le 1 février 2009 par Soulier Avocats

Cadre – Cadre dirigeant – Mandataire social : des notions à ne pas confondre sous peine de contentieux très onéreux

Parmi les innovations apportées par les lois dites Aubry du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000, figure  celle qui a introduit dans le Code du travail une définition légale de trois catégories de cadres. Visant la durée du travail applicable à chaque catégorie, on pouvait espérer que ce nouveau cadre législatif permettrait de diminuer les risques sociaux en la matière. Ce n’est cependant pas le cas. A ces définitions, doivent s’ajouter celles données par la Convention Collective Nationale de retraite et de prévoyance du 14 mars 1947, sans oublier les classifications établies par les conventions collectives. Par ailleurs, les intitulés des postes ont évolué notamment du fait de l’internationalisation des affaires, ce qui entraîne parfois des difficultés d’interprétation du statut applicable à la personne concernée. Ainsi, ne compte-t-on plus les « directeurs généraux », alors que cette appellation est usuellement entendue, en France, dans le sens donné par le droit des sociétés et donc en tant que mandataire social. Si l’on rajoute à ces éléments de fréquentes anomalies dans la gestion informatique des salaires, un possible cumul mandat social/contrat de travail, la fréquente confusion entre le « salarié » au sens du droit de la sécurité sociale et le « salarié » au sens droit du travail, on peut aboutir à une confusion totale du statut applicable à la personne concernée, ce qui ouvre la porte à des contestations et/ou revendications pouvant représenter des risques sociaux très importants.

Nous présenterons donc ci-après une synthèse des diverses catégories de cadres et de certaines conséquences qui s’attachent à ce statut (1) puis nous examinerons les conditions et les risques attachés au cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social (2).

1. Les Cadres

a) Les trois catégories légales de cadres, au sens du droit du travail :

La loi du 19 janvier 2000 a intégré dans le Code du travail des dispositions spécifiques aux cadres en matière de durée du travail. Le Code du travail contient donc à ce jour trois articles qui, en premier lieu, précisent le régime applicable au regard de cette durée du travail et en second lieu, définissent chacune desdites catégories.

Les dispositions étant inscrites au Code du travail, les définitions et les dispositions conséquentes visent donc bien exclusivement des salariés au sens du Code du travail et non les mandataires sociaux.

Les cadres dirigeants

L’article L.3111-2 dispose :

« Les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions des titres II et III. [Les titres II et III visent respectivement  « Durée du travail, répartition et aménagement des horaires » ainsi que « Repos et jours fériés. »] Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. »

Une récente décision de la Cour de Cassation (Cass.soc.,13 janvier 2009, n°06-46.208), confirmant une jurisprudence constante, rappelle qu’en la matière, le juge doit vérifier les conditions réelles d’emploi du cadre concerné et qu’il ne saurait être lié par les stipulations de l’accord collectif applicable. La Cour de Cassation rappelle que les critères énoncés à l’article L.3111-2 sont bien cumulatifs. En raison du cumul de ces critères, le nombre de cadres pouvant être qualifiés de « cadres dirigeants » est nécessairement limité et dépend notamment de la structure de l’entreprise, de son effectif et de son organisation.

Le cadre dirigeant peut cependant être en partie concerné par la durée du travail, et plus précisément par certaines dispositions conventionnelles en la matière. Ainsi, dans un arrêt du 12 novembre 2008 (Cass.soc.,n°07-41.694) la Cour de Cassation a-t-elle considéré qu’un cadre dirigeant devait bénéficier des dispositions conventionnelles allouant une contrepartie financière pour astreintes, dès lors que la convention n’excluait aucune catégorie de personnel. Dans une autre affaire, elle a débouté un cadre dirigeant pour une revendication identique de compensation financière d’astreintes, car au cas d’espèce, aucune disposition conventionnelle n’était applicable ce qui interdisait au cadre dirigeant de revendiquer l’application des dispositions légales dont son statut l’exclut.

Les entreprises doivent donc s’assurer de la portée des dispositions conventionnelles qui leur sont applicables en termes de durée du travail, y compris pour ces cadres dirigeants.

Les cadres dits autonomes

L’article L.3121-38 dispose :

« La durée de travail des salariés ayant la qualité de cadre au sens de la convention collective de branche ou au sens du premier alinéa de l’article 4 de la convention nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés peut être fixée par des conventions individuelles de forfait.

Ces conventions individuelles de forfait peuvent être établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. »

En termes de durée du travail, il n’y a donc pas de régime légal unique prédéfini pour ces cadres. C’est donc à l’entreprise de choisir la durée applicable ainsi que ses modalités d’application. De ce fait, si un cadre a un contrat de travail portant la mention d’une durée du travail de 35 heures par semaines, le simple fait qu’il soit cadre et perçoive un certain niveau de rémunération, ne sauraient exclure la stricte application des règles applicables aux salariés dont l’horaire est fixé à 35 heures. Ce cadre devra donc bénéficier (ou, cas le plus fréquent, il en fera la réclamation lors de son départ de l’entreprise) des majorations pour heures supplémentaires, des jours de « R.T.T. » (Réduction du Temps de Travail) et de toutes les majorations que pourrait prévoir la convention collective (travail du dimanche, des jours fériés par exemple).

Nous rappelons en effet que pour être valable une convention de forfait, qu’elle soit sur une base hebdomadaire (par exemple 37 heures par semaine), mensuelle (par exemple 169 heures par mois) ou annuelle ( par exemple 1.700 heures par an ou 215 jours par an) doit impérativement être acceptée par le salarié, ce qui impose un écrit dûment signé, et doit être précise : on ne saurait prévoir que toutes les heures supplémentaires effectuées par le salarié sont par avance rémunérées dans le salaire brut alloué. Pour que le salarié et les administrations sociales puissent vérifier que la rémunération forfaitaire allouée est bien au moins égale au salaire minimum qui lui est applicable, majorations pour heures supplémentaires incluses, il est indispensable que le nombre d’heures pour lequel le salarié est rémunéré soit précisément défini.

Au-delà du forfait convenu, il devra percevoir des heures supplémentaires : ainsi, un salarié ayant une convention de forfait sur la base de 37 heures par semaine devra être rémunéré au taux majoré dès lors qu’il fait une 38ème heure de travail dans la semaine.

Nous rajouterons que la convention de forfait doit faire l’objet d’une mention expresse sur le bulletin de salaire.

Or on constate trop souvent aujourd’hui que nombre de cadres de cette catégorie ont des contrats de travail et des bulletins de salaires établis sur la base de la durée légale du travail de 35 heures, alors que les entreprises pourraient négocier leur engagement ou un avenant sur une base forfaitaire beaucoup plus réaliste.

Il est vrai que tous les cadres ne peuvent bénéficier des forfaits annuels en heures ou en jours, dont l’accès reste soumis à la condition d’un accord collectif définissant les catégories de salariés susceptibles d’être concernés.

L’entreprise doit donc impérativement s’assurer que toutes les conditions prévues par l’accord collectif instaurant le forfait, sont parfaitement remplies. Ainsi, un grand nombre de conventions collectives prévoient que les salariés sous forfait jours ont un entretien annuel souvent destiné à faire le point sur leur charge de travail au regard du volume du forfait conclu.

La loi du 20 août 2008 en a fait une obligation légale. Les entreprises se doivent donc d’être très vigilantes sur ce point et de respecter strictement les dispositions ci-après telles qu’inscrites à l’article L.3121-46 :

Un entretien annuel individuel est organisé par l’employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.

Il est évident que si les conditions légales et conventionnelles n’étaient pas remplies, le salarié concerné pourrait demander le rejet de ce forfait et obtenir le paiement des heures effectuées en sus de la durée légale, ce qui peut représenter des sommes particulièrement élevées !

Ainsi un cadre qui effectuerait 45 heures par semaine par exemple, serait en droit de réclamer pas moins de 2.600 heures sur la période de 5 ans correspondant à la durée de la prescription ! Ces 2.600 heures devant être réglées aux taux majorés de 25% pour les 8 premières par semaines et à 50% pour les suivantes.

L’entreprise s’expose d’autre part au risque d’être condamnée pénalement pour travail dissimulé, l’article L.8221-5 du Code du travail disposant que: « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur : (…) de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre premier de la troisième partie. »

Les infractions en ce domaine exposent l’employeur à une peine de 3 ans d’emprisonnement et à une amende pouvant aller jusqu’à 45.000 euros pour une personne physique et 225.000 euros pour une personne morale.

Le salarié pourrait quant à lui réclamer du fait de ce délit, en cas de rupture du contrat de travail, une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaire (article L.8223-1).

Les autres cadres

L’article L.3121-39 dispose :

« Les salariés ayant la qualité de cadre dont la nature des fonctions les conduit à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés, sont soumis aux dispositions du présent titre relatives à la durée du travail ainsi qu’à celles des titres III à V relatives au repos, aux congés et au compte épargne temps. »

b) Les cadres au sens du premier alinéa de l’article 4 de la convention nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 :

La convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 a défini, pour la mise en œuvre des régimes de retraite et de prévoyance trois catégories distinctes de salariés.

  • La catégorie relevant de l’article 4 de ladite convention : elle regroupe les ingénieurs et les cadres au sens strict, c’est-à-dire ceux définis comme tels par les conventions collectives. Outre ces ingénieurs et cadres, la convention intègre dans l’ «article 4» : les dirigeants de société relevant du régime général de sécurité sociale des salariés (P.D.G. ou gérants minoritaires par exemple), ainsi que certaines professions spécifiques (médecins salariés par exemple).
  • La catégorie relevant de l’article 4 bis de la convention : il s’agit des employés, techniciens et agents de maîtrise qui sont assimilés aux cadres. Ils doivent avoir un certain niveau hiérarchique pour entrer dans cette catégorie.
  • La catégorie de l’article 36 de la convention : il s’agit de salariés ayant un certain niveau hiérarchique et qui peuvent bénéficier de la convention du 14 mars 1947 par extension. Ils sont souvent également appelés assimilés cadres mais ne doivent pas être confondus avec ceux qui relève de la catégorie « 4 bis ».

La référence à ces catégories est essentiellement utilisée au regard des régimes de retraite (régimes complémentaires et supplémentaires) et de prévoyance en place au sein de l’entreprise car les contrats définissent les catégories de salariés visés par le contrat concerné en prenant souvent comme référence une ou plusieurs catégories définies ci-dessus.

Les risques associés à une erreur dans l’application des catégories peuvent être par exemple : la réclamation d’un salarié qui n’a pas été intégré dans la catégorie à laquelle il pouvait prétendre et n’aurait pas de ce fait bénéficié des garanties de retraite, de prévoyance ou de frais médicaux auxquelles il avait droit. Il y a également certains risques de redressement de la part de l’URSSAF si un contrat à adhésion obligatoire pour la catégorie, a exclu ne serait-ce qu’un seul salarié de la catégorie. En ce cas, c’est l’ensemble des cotisations patronales versées pour l’ensemble des salariés au titre du contrat en cause qui seront réintégrées dans l’assiette des cotisations sociales.

2. Cadre dirigeant ou dirigeant cadre : un choix ou un cumul

Selon les types de sociétés, il est possible de cumuler au sein d’une même entité juridique un contrat de travail et un mandat social.

a) Rappel des conditions du cumul :

Pour que le cumul soit admis, les conditions ci-après doivent être réunies :

  • Effectivité de l’emploi,
  • Distinction entre les fonctions techniques exercées au titre du contrat de travail, et le mandat social,
  • Lien de subordination entre le salarié et la société, ce qui impose, outre une rémunération,  une autorité et un contrôle par la société, au titre des fonctions techniques,
  • Absence de fraude à la loi : en ce sens, le contrat de travail ne doit pas avoir été conclu dans le seul but d’empêcher la révocabilité ad nutum du dirigeant.

b) Modalités pratiques de sécurisation du statut du dirigeant :

Nous recommandons de procéder à un examen attentif de chaque situation lors de la désignation d’un dirigeant afin d’être certain d’opter pour le statut correspondant le mieux à la situation et/ou aux objectifs de la société et du dirigeant.

Diverses options sont envisageables, pour lesquelles nous n’indiquons que les principales caractéristiques :

  • Un unique mandat social : dans la plupart des formes de sociétés, le dirigeant relève du régime général de sécurité sociale et cotise donc aux mêmes organismes sociaux qu’un cadre, à l’exception du régime chômage dont il est exclu. Il ne bénéficie ni du Code du travail, ni de la convention collective du fait de ce statut (pas de congés payés, pas de règle applicable en matière de durée du travail, pas de congés payés légaux, etc.). Il est révocable ad nutum sans préavis ni indemnité. Une indemnité de rupture peut cependant être négociée sous certaines conditions et il est possible de souscrire une assurance privée d’indemnisation des dirigeants en cas de révocation. Il a les pouvoirs les plus étendus vis-à-vis des tiers mais ces pouvoirs peuvent être limités par les associés. Sa rémunération est fixée par les associés ou le conseil d’administration.
  • Un unique contrat de travail de type cadre: il relève de l’ensemble des dispositions du Code du travail, sous réserve de la possible exclusion de la législation relative à la durée du travail. A ce titre, il bénéficie des mêmes droits que tous les autres salariés de sa catégorie au sein de l’entreprise, notamment en cas de rupture de ce contrat.
  • La suspension du contrat de travail existant pendant la durée du mandat social. En ce cas, le contrat de travail sera automatiquement réactivé dès la fin du mandat. Il est donc conseillé de prévoir, en cas de suspension, les modalités précises de cette reprise du contrat de travail, essentiellement au regard des droits à l’ancienneté et de la revalorisation de la rémunération.
  • Le cumul du contrat de travail et du mandat social : une des difficultés majeures de ce schéma intervient au moment de la rupture du lien. En effet si la révocation en tant que mandataire est relativement aisée et sans grand formalisme, il n’en est pas de même pour le contrat de travail. Il ne pourra donc y avoir rupture concomitante du contrat de travail et du mandat que si la rupture du contrat de travail est motivée par une raison liée exclusivement aux fonctions techniques exercées et en aucun cas au titre de l’exercice du mandat. Dans la pratique, une telle motivation distincte est difficile à établir et ce cumul ouvre la possibilité au dirigeant concerné de prétendre que la cause de son licenciement relève de son mandat afin d’obtenir réparation de son préjudice devant les tribunaux suite à un licenciement qu’il considèrera comme dépourvu de toute cause légitime.

Ce cumul nécessite donc d’être mis en place et suivi régulièrement et toute rupture doit être envisagée bien en amont et avec précaution.

Nous précisons que l’A.F.E.P.  (Association Française des Entreprises Privées) et le MEDEF (Mouvement des Entreprises de France), mettent en première place de leurs « Recommandations sur la rémunération des dirigeants mandataires sociaux de sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé » d’octobre 2008, la rupture du contrat de travail lorsqu’un dirigeant devient mandataire social. 

Notre Département Droit Social est à votre disposition pour vous apporter toute précision et tout développement en la matière.