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Publié le 1 décembre 2009 par Soulier Avocats

Cadres/non cadres : la décision de la Cour de Cassation fait des émules et expose les entreprises à des risques fort couteux

Nous avions évoqué dans notre Newsletter de Juillet-août 2009 l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de Cassation en date du 1er juillet 2009 (n°07-42675) et nous nous inquiétions alors des possibles dérives du principe général d’égalité de traitement entre les salariés.

Selon cet arrêt, « la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ».

Cet arrêt visait une disposition d’un accord d’entreprise accordant une durée de congés payés plus longue aux cadres, dont il a été reconnu le bénéfice à un employé, faute de toute justification pertinente dans sa limitation aux cadres.

Nous nous étions interrogés sur le sort des très nombreuses dispositions des conventions collectives qui, dans la suite historique de la convention collective nationale des cadres du 14 mars 1947, fondement de la construction sociale française, attribuent des avantages spécifiques selon la catégorie professionnelle.

Si cette particularité franco-française de statut cadre ou non-cadre s’est petit à petit estompée dans ses conséquences notamment au regard des régimes de retraite obligatoire, le législateur a fait en sorte que les entreprises puissent les absorber en termes de coûts comme en termes de gestion de ses personnels en alignant de manière très progressive les régimes en place.

La Cour de Cassation, en remettant en cause cette distinction de statut au regard des avantages accordés aux salariés, a ébranlé ce socle sans se préoccuper des conséquences pour les entreprises qui se trouvent aujourd’hui exposées à des risques financiers importants et sont dans une grave insécurité juridique alors qu’elles ne font que respecter strictement les dispositions conventionnelles, dûment négociées par les partenaires sociaux.

Les craintes que nous avions se confirment malheureusement, la lecture de l’arrêt de la Cour d’Appel de Montpellier du 4 novembre 2009 nous laissant présager le pire pour les mois à venir.

1. Arrêt de la 4e chambre sociale de la Cour d’appel de Montpellier du 4 novembre 2009:

Une salariée licenciée pour motif économique conteste le bien-fondé de son licenciement. Dans ce contexte, elle réclame notamment un complément d’indemnité de licenciement et d’indemnité de préavis au motif qu’il lui a été fait application des dispositions conventionnelles applicables aux employés. L’intéressée demande purement et simplement l’alignement de son statut non-cadre, qu’elle ne conteste pas, sur celui des cadres pour lesquels la convention collective prévoit, très classiquement, un préavis de trois mois et une indemnité de licenciement plus élevée. Pour justifier ses prétentions, la salariée met en avant la rupture du principe d’égalité … Il fallait s’y attendre !

La Cour d’Appel reprend l’argumentaire de la Cour de Cassation et motive précisément sa position :

« La seule différence de catégories professionnelles ne peut en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives et pertinentes. (…) Or, force est effectivement de constater qu’il ne résulte nullement des dispositions de la convention collective considérée que les partenaires sociaux qui l’ont négociée, aient justifié objectivement de la différence qui est faite d’une catégorie à l’autre dans l’octroi des avantages consentis en cas de licenciement d’un salarié. Par ailleurs, la circonstance, invoquée de manière générale par l’employeur, que les cadres occuperaient des postes plus qualifiés, avec plus de responsabilités, ne justifie en elle-même, de manière objective, ni une durée plus longue de délai-congé, ni un calcul plus avantageux de l’indemnité de licenciement. Le fait que le salarié cadre mettrait plus de temps à retrouver un emploi ou l’employeur à lui trouver un successeur constitue une appréciation purement subjective qui ne repose sur aucune donnée précise résultant du marché de l’emploi. Est également dépourvu de pertinence le moyen encore avancé par l’employeur selon lequel, dès lors que l’indemnité de licenciement viserait à indemniser une perte de salaire, la différence se justifierait par le fait que le cadre qui n’a plus d’emploi a un préjudice plus important ».

En conclusion, aucune raison objective et pertinente ne justifie la différence de traitement pratiquée tant en termes de durée de préavis que de mode de calcul de l’indemnité de licenciement entre cadres et non-cadres.

Cette conclusion ne peut que faire frémir les entreprises, et plus particulièrement celles qui ont dû gérer ou gèrent encore les licenciements économiques imposés par la crise qu’elles traversent.

Un certain nombre de salariés non-cadres ont toute latitude pour obtenir des compléments d’indemnité de préavis et d’indemnité de licenciement plus que substantiels. Un voire deux mois de préavis pourront être ainsi très aisément obtenus par tout employé non-cadre qui pourra par ailleurs, selon la convention collective, doubler voire tripler l’indemnité de licenciement qui lui avait été allouée !

Quelques exemples significatifs :

Convention collective de la Métallurgie :

Pour un salarié non-cadre ayant 10 ans d’ancienneté, âgé de 51 ans, le préavis conventionnel est de 2 mois et l’indemnité conventionnelle de licenciement égale à 2 mois de salaire. Il pourrait réclamer :

  • 4 mois de préavis (préavis de 6 mois pour les cadres de plus de 50 ans) ;
  • 1.84 mois au titre d’un complément d’indemnité de licenciement ;

soit un total de 5.84 mois.

Conventions Collectives des Industries Chimiques et du Bâtiment:

Sur les mêmes bases, un ouvrier appartenant à ces secteurs d’activité pourrait obtenir 1 mois de préavis supplémentaire et 1 mois de complément d’indemnité de licenciement.

Dès lors, on ne peut qu’attendre une envolée des contentieux en la matière.

2. Les probables prochaines conséquences :

Dès lors que les arguments présentés pour justifier l’octroi de congés supplémentaires, une durée de préavis plus longue et une indemnité de licenciement plus élevée n’ont pas été considérés pertinents par les tribunaux, comment pourrait-on espérer qu’une différence de traitement puisse l’être au regard de la santé du salarié ? Sur quelle base justifier une prise en charge du salaire plus longue en cas de maladie ? Un capital décès cinq fois plus élevé pour les cadres pourrait-il être objectivement justifié ?

Dès lors, outre les préavis et les indemnités de licenciements, il semble que les entreprises sont aujourd’hui exposées aux risques les plus coûteux au regard des garanties prévoyance.

Les ayants droit d’un salarié décédé des suites de maladie pourraient ainsi réclamer à l’entreprise plusieurs années de salaire en vue d’obtenir l’égalité de traitement au regard des garanties offertes par les contrats d’assurance souscrits par l’entreprise dans des conditions inégalitaires selon les catégories professionnelles.

3. Quelle attitude les entreprises peuvent-elles adopter face à ces nouveaux risques ?

Il est probable que l’arrêt de la Cour d’Appel de Montpellier fera l’objet d’un pourvoi et que la Cour de Cassation aura une nouvelle occasion de se prononcer sur ce sujet, cette fois sur la base de dispositions issues de conventions collectives nationales.

Dans l’attente, la situation des entreprises est à tout le moins fort inconfortable car elles gèrent quotidiennement les conséquences sociales de la distinction opérée dans notre culture sociale française entre les cadres et les non-cadres.

Dès lors, comment peuvent-elles aujourd’hui se protéger ?

Notre sentiment est que la distinction entre ces deux catégories professionnelles a effectivement vocation à disparaître, particulièrement eu égard à certains avantages liés à une situation personnelle objective : maladie, invalidité, décès. Beaucoup d’entreprises ont déjà emprunté cette voie et ont un régime de prévoyance et/ou de mutuelle unique, toutes catégories professionnelles confondues. Cette démarche nous semble aujourd’hui prioritaire pour les entreprises qui ont des contrats très différents selon ces catégories. Les risques financiers encourus sont en effet particulièrement élevés : plusieurs années de salaires pour un capital décès, ou des années voire des dizaines d’années de rente invalidité.

Au regard des autres distinctions conventionnelles, et plus particulièrement les durées de préavis et les indemnités de départ, il nous reste à attendre la position de la Cour de la Cassation puis les négociations des partenaires sociaux qui se devront d’adapter les accords collectifs de branche aux nouvelles exigences jurisprudentielles. Dans l’attente, provisionner le risque nous semble nécessaire.