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Publié le 1 septembre 2011 par Laure Marolleau

Calcul des amendes et circonstances atténuantes

Dans un arrêt du 15 septembre 2011, le Tribunal de première instance de l’Union européenne a rejeté le recours de la société Lucite International Ltd et sa filiale Lucite International UK Ltd en refusant de retenir des circonstances comme atténuantes[1]. Ces sociétés contestaient le montant de l’amende qui leur avait été infligée par la Commission européenne dans sa décision du 31 mai 2006 pour leur participation au cartel des Méthacrylates.

En l’occurrence, le groupe Lucite avait racheté au groupe ICI l’unité commerciale ICI Acrylics qui était responsable de la production et de la vente des produits en cause et qui avait participé concrètement à l’infraction. Le transfert de l’unité commerciale avait eu lieu au cours de l’infraction.

Compte tenu du fait que la propriété de l’unité commerciale participant concrètement au cartel avait été transférée au cours de l’infraction, l’acquéreur a tenté d’expliquer qu’il avait en réalité « hérité » d’une entente secrète à laquelle participait l’entité acquise depuis plusieurs années et qu’il avait adopté après l’acquisition une stratégie commerciale faisant obstacle à la poursuite de l’entente. Cette situation particulière aurait dû selon lui jouer un rôle dans le calcul de l’amende.

Pour rappel, la méthode de calcul de la Commission consiste à fixer un montant de base selon la gravité et la durée de l’infraction, et à y appliquer ensuite des augmentations ou diminutions au gré de circonstances aggravantes ou atténuantes.

Plus précisément, selon les requérantes 1/ l’absence de participation des actionnaires, de la direction et du personnel nouvellement recruté (les employés de Lucite impliqués dans l’entente auraient tous été des cadres moyens d’ICI) et 2/ le rôle de sa stratégie commerciale dans le démantèlement de l’entente auraient du être pris en compte par la Commission au premier stade ou, à défaut, au second.

Montant de base

Conformément aux lignes directrices de la Commission, le montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction. Cet élément « gravité » est évalué à partir de trois critères : la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné.

Selon les requérantes, la Commission aurait du prendre en considération à ce stade les deux circonstances précitées pour différencier le comportement de Lucite.

En réalité, cette première partie de l’argumentation ne soulève pas de difficultés particulières. Il suffit au Tribunal de recadrer la lecture ainsi faite des lignes directrices à partir de l’objectif assigné à chaque étape du calcul de l’amende. Au stade de la fixation du montant de base, la Commission apprécie les effets résultant de l’ensemble de l’infraction et non les effets résultant du comportement effectif de l’entreprise. L’idée est d’évaluer objectivement la gravité de l’infraction et non celle du comportement propre à chaque participant. L’étape suivante, qui consiste à augmenter ou à réduire ce montant de base, a précisément vocation à l’individualiser en fonction des caractéristiques du comportement personnel de l’entreprise concernée.

Puisqu’en l’espèce, les facteurs identifiés par les requérantes avaient trait aux caractéristiques de comportement propre des requérantes, c’est au stade de l’éventuelle application de circonstances atténuantes qu’ils devaient être appréciés.

Circonstances atténuantes  

A défaut d’avoir un impact sur le montant de base, les requérantes espéraient en effet que l’absence d’implication des actionnaires, de la direction et du personnel nouvellement recruté dans l’entente, et la stratégie commerciale adoptée suite au rachat de l’unité commerciale concernée, puissent être considérées comme des circonstances atténuantes.

En effet, des circonstances touchant au comportement individuel d’une société peuvent être de nature à réduire le montant de base de l’amende, ainsi que le révèle la liste non exhaustive des lignes directrices :

  • « rôle exclusivement passif ou suiviste dans la réalisation de l’infraction,
  • non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles,
  • cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission (notamment vérifications),
  • existence d’un doute raisonnable de l’entreprise sur le caractère infractionnel du comportement restrictif,
  • infractions commises par négligence et non de propos délibéré,
  • collaboration effective de l’entreprise à la procédure, en dehors du champ d’application de la communication du 18 juillet 1996 concernant la non-imposition ou la réduction du montant des amendes
  • autres. »

En ce qui concerne la circonstance tenant à la qualité des personnes participantes, les requérantes faisaient valoir qu’il ne s’agissait que de « cadres moyens employés antérieurement par ICI ». Elle n’est pas suivie en cela par le Tribunal, puisque le droit n’a jamais exigé une action ou une connaissance de l’infraction par les actionnaires ou dirigeants. Il suffit que la personne en question soit autorisée à agir au nom et pour le compte de l’entreprise.

En ce qui concerne la circonstance concernant la stratégie commerciale adoptée suite à l’acquisition, elle fait l’objet d’une analyse approfondie du Tribunal. Elle peut en effet être identifiée comme un cas de « non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles ». Cet argument peut être efficace si, comme le prévoit la jurisprudence, l’entreprise « s’est effectivement soustraite à (l’) application (des accords infractionnels) en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché ou, à tout le moins, qu’elle a clairement et de manière considérable enfreint les obligations visant à mettre en œuvre cette entente, au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci ».

Le problème est qu’en l’espèce la Commission n’a pas fourni dans la décision attaquée de réponse précise à cet argument. Comme le souligne le Tribunal, « le libellé de la décision attaquée ne permet pas de comprendre, avec certitude, pour quels motifs l’argumentation des requérantes n’a pas été retenue au titre des circonstances atténuantes ». On remarque qu’une nouvelle fois les lacunes dans la motivation de la Commission sont stigmatisées par le juge, cette fois-ci lorsqu’elle doit expliquer les raisons pour lesquelles elle décide de ne pas prendre en compte une circonstance de nature à être atténuante[2].

Cependant, tout en reconnaissant que c’est à juste titre que les requérantes ont dénoncé l’omission de la part de la Commission d’apporter des précisions sur ce point, le Tribunal considère qu’une telle omission ne saurait justifier à elle seule l’annulation de la décision attaquée ou la réduction de l’amende.

Le Tribunal trouve alors l’occasion d’exercer son pouvoir de pleine juridiction et de substituer son appréciation à celle (partiellement absente) de la Commission.

Ce travail d’appréciation l’amène alors à rejeter l’hypothèse d’une circonstance atténuante, aux motifs notamment que :

  • la stratégie commerciale ne couvrait que les prix. L’entente consistant non seulement à s’accorder sur les prix mais aussi à échanger des informations, la stratégie ne couvrait pas tout son champ.
  •  la stratégie ne s’est pas accompagnée d’un renoncement complet de Lucite à mettre en œuvre les hausses de prix programmées.
  •  la stratégie ne couvrait pas non plus les trois produits concernés par l’entente.

En conclusion, les requérantes n’ont pas réussi à démontrer qu’elles avaient adopté un comportement concurrentiel.

Elles ne devaient donc pas bénéficier d’une réduction d’amende pour l’une ou l’autre de ces circonstances.

La demande de réduction de l’amende est donc rejetée, la Commission n’ayant pas commis d’erreur d’appréciation des circonstances d’atténuantes et le Tribunal n’ayant pas dans le cadre de l’exercice de sa pleine juridiction à modifier l’amende qui leur a été infligée.

 


[1] TPIUE, 15 septembre 2011, Lucite International Ltd et Lucite International UK Ltd c/ Commission européenne, aff. T-216/06.

[2] Dans son arrêt Air Liquide du 16 juin 2011, le Tribunal avait sanctionné l’insuffisance de motivation de la Commission lorsqu’elle rejette les éléments de preuve apportée par une société mère pour renverser la présomption d’exercice d’une influence déterminante sur sa filiale détenue à 100%. Cf. notre article intitulé «Renversement de la présomption de responsabilité d’une société mère » publié dans notre e-newsletter de Juillet-Août 2011.