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Publié le 7 novembre 2023 par Claire Filliatre

Durcissement par le Parlement européen du futur règlement relatif à « l’interdiction sur le marché de l’Union des produits issus du travail forcé »

Lundi 16 octobre dernier, les commissions du marché intérieur et du commerce international du Parlement européen ont pris position au sujet du futur règlement relatif à « l’interdiction sur le marché de l’Union des produits issus du travail forcé » (ci-après « le Règlement européen »).

Ce Règlement européen a été proposé par la Commission européenne le 14 septembre 2022 avec pour objectif de lutter contre le travail forcé et de promouvoir les normes relatives au devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.

A l’échelle mondiale, le recours au travail forcé reste répandu et toucherait, selon l’Organisation Internationale du Travail, environ 27,6 millions de personnes à travers le monde.

Selon cette même organisation, le travail forcé peut être défini comme « Tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ».

L’interdiction de commercialiser des produits issus du travail forcé englobera aussi bien les produits fabriqués au sein de l’Union Européenne (ci-après « UE ») que ceux importés.

Si l’interdiction du travail forcé est déjà abordée dans la proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, celle-ci ne prévoit pas de mesures spécifiques visant à empêcher leur mise sur le marché de l’UE.

Par ailleurs, il n’existe pas de législation de l’UE habilitant les autorités des Etats membres à retenir un produit, à le saisir ou à en ordonner le retrait de façon directe sur la base du constat que celui-ci a été fabriqué, en tout ou partie, moyennant le recours au travail forcé.

La proposition de Règlement[1] a pour objectif de renforcer la compétence des autorités dans le cadre des investigations menées sur les entreprises concernées.

En premier lieu, les autorités compétentes auront pour mission de mener une phase d’enquête préliminaire pour évaluer la probabilité de violation de produits issus du travail forcé par l’entreprise concernée.

En second lieu, les autorités compétentes devront pouvoir mener des enquêtes sur ces violations et, s’il est prouvé qu’une entreprise a utilisé le travail forcé, les importations et exportations de ces produits seront interdits et les marchandises déjà présentes sur le marché européen devront être données, recyclées ou détruites.

Le Parlement européen a durci la proposition de la Commission en inversant dans certaines situations la charge de la preuve sur l’entreprise concernée qui devra démontrer que les produits n’ont pas été réalisés en tout ou en partie par des travailleurs forcés. [2]

Les députés européens ont également souhaité que les biens retirés du marché ne soient à nouveau autorisés qu’après la démonstration faite par l’entreprise qu’elle a cessé d’utiliser le travail forcé dans ses opérations ou dans sa chaîne d’approvisionnement et a remédié à tous les cas concernés.

Il sera explicité dans le présent article les deux phases d’enquête telles que prévues dans la proposition initiale de Règlement émanant de la Commission et amendée par le Parlement. Il sera également rappelé les sanctions prévues par ce projet de texte.

Sur la phase d’enquête préliminaire

Afin de pouvoir identifier les risques de produits issus en partie du travail forcé, il est proposé aux autorités compétentes une méthodologie pour déceler ces risques. Lorsqu’il est avéré qu’un produit est issu du travail forcé, le projet de Règlement prévoit des délais encadrant les échanges entre les autorités compétentes et l’entreprise concernée désignée dans le Règlement par le terme plus large « d’opérateur économique ».

Le projet de Règlement propose ainsi en son article 4 que les autorités compétentes :

  • suivent une approche fondée sur les risques pour évaluer la probabilité que des opérateurs économiques aient violé l’interdiction des produits issus du travail forcé,
  • se concentrent dans leurs évaluations sur les opérateurs intervenant dans les étapes de la chaîne de valeur au plus près possible du point présentant un risque probable de travail forcé et tiennent compte de la taille et des ressources économiques des opérateurs, de la quantité de produits concernés ainsi que de l’ampleur du travail forcé présumé,
  • demandent aux opérateurs économiques quelles sont les mesures prises pour déceler, prévenir, réduire ou supprimer les risques de travail forcé dans leurs activités et leurs chaînes de valeur en ce qui concerne les produits soumis à évaluation. Les opérateurs économiques ont alors 15 jours ouvrables pour répondre à la demande des autorités. Dans un délai de 30 jours ouvrables à compter de la réception des informations demandées, les autorités concluent la phrase préliminaire de leur enquête,
  • tiennent compte dans leur appréciation des mesures prises par l’opérateur économique lorsque celui-ci démontre apporter la preuve d’exercer son devoir de vigilance sur la base des incidences décelées de travail forcé dans sa chaîne d’approvisionnement et prouve avoir mis en place des mesures appropriées pour supprimer le travail forcé dans le plus bref délai.

Si les autorités compétentes estiment qu’il n’existe pas de soupçon étayé de violation de produits issus du travail forcé, elles en informent l’opérateur économique et n’ouvrent pas d’enquête.

Dans le cas inverse, une seconde phase d’enquête s’ouvre.

Dans sa proposition, le Parlement renforce le rôle joué par la Commission en ajoutant que celle-ci peut également initier une phase d’enquête préliminaire et suivre la procédure aux côtés des autorités nationales compétentes.

Surtout, les députés ont modifié la proposition de la Commission afin de charger l’UE de dresser une liste des zones géographiques et des secteurs économiques à haut risque de recourir au travail forcé.

Sur l’enquête

En cas d’ouverture d’une enquête à la suite d’une suspicion étayée de l’import ou de la fabrication de produits issus du travail forcé, les autorités compétentes en informent dans les 3 jours ouvrables les opérateurs économiques concernés.

Les opérateurs économiques concernés peuvent alors communiquer toute information pertinente nécessaire à l’enquête comprenant les informations permettant d’identifier les produits visés par l’enquête, le fabricant ou le producteur.

Les autorités compétentes peuvent procéder à tous les contrôles et inspections nécessaires, y compris des enquêtes dans les pays tiers, à condition que les opérateurs économiques concernés donnent leur consentement et que le gouvernement de l’Etat membre ou du pays tiers concerné dans lequel les inspections doivent avoir lieu ait été officiellement informé et ne soulève aucune objection.

Le Parlement a renversé la charge de la preuve pour les biens produits dans des zones à haut risque en contraignant les opérateurs économiques concernés à prouver que les produits n’ont pas été réalisés en tout ou en partie grâce à l’utilisation du travail forcé.

Décision des autorités compétentes

A l’issue de l’enquête, les autorités compétentes pourront décider :

  • d’interdire de mettre les produits concernés sur le marché de l’UE et de les exporter,
  • de contraindre les opérateurs économiques de retirer du marché de l’UE les produits en cause qui ont déjà été mis sur le marché.

Si l’opérateur ne se conforme pas à ces différentes obligations, les autorités compétentes devront faire en sorte que les produits concernés ne puissent plus être sur le marché.  

Le Parlement a ajouté que si les produits concernés sont périssables, ils devront être donnés à des associations caritatives. S’ils ne sont pas périssables, ils devront être recyclés.

Le projet de règlement doit désormais être discuté avec le Conseil de l’Union Européenne avant son adoption définitive.

Au niveau international, les Etats-Unis ont déjà adopté une loi similaire en décembre 2021 interdisant notamment les importations de marchandises dont les composants ont été produits dans la province du Xinjiang où vit la minorité ouïghoure, réprimée par le régime chinois.


[1] La proposition de Règlement par la Commission européenne est consultable au lien suivant : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52022PC0453

[2] La proposition de Règlement amendé par le Parlement européen est consultable en anglais au lien suivant : https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20231016IPR07307/vers-une-interdiction-par-l-ue-des-produits-issus-du-travail-force