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Publié le 28 avril 2023 par Soulier Avocats

Eclairage sur quelques spécificités des cessions de fonds de commerce électronique

A l’ère du numérique, les cessions de sites internet, en particulier de sites marchands, se sont multipliées.

La question de la nature juridique de ce type de cession s’est bien sûr posée. A cet égard, l’existence d’un fonds de commerce électronique ne fait aujourd’hui plus débat, et partant, l’applicabilité à ces cessions du formalisme relatif aux cession de fonds de commerce « classiques ».

Il convient néanmoins d’aborder avec prudence certains spécificités relatives aux cessions de fonds de commerce électroniques, notamment quant aux éléments cédés et en matière de protection des données personnelles.

Pour rappel, en droit français, le fonds de commerce est composé de divers éléments traditionnellement divisés en éléments incorporels (clientèle, droit au bail, nom commercial, droits de propriété industrielle, etc.) et en éléments corporels (marchandises et matériels), à l’exclusion des immeubles. L’élément le plus important est la clientèle, sans laquelle le fonds de commerce n’existe pas[1].

La clientèle ne peut constituer un fonds de commerce que si elle est réelle et certaine[2] et si elle est générée par une activité indépendante[3].

En l’absence de dispositions législatives spécifiques, la doctrine s’est clairement positionnée pour la reconnaissance de l’existence d’un fonds de commerce électronique[4].

S’il existe pour le moment peu de jurisprudence sur ce thème spécifique, il convient néanmoins de relever que la jurisprudence a d’ores et déjà pu consacrer, dans certaines décisions, l’existence d’un fonds de commerce électronique[5].

En pratique, il ne fait aucun doute que les sociétés dont l’activité commerciale s’exerce exclusivement via un site internet (absence de points de vente dans le monde physique) disposent bien d’une clientèle réelle et certaine générée par une activité indépendante, celle du site marchand. Dans ces cas, la cession du site internet n’est pas une simple cession d’actif. Elle entraîne, de facto, cession de son fonds de commerce.

Si cet article n’a pas vocation à détailler le formalisme applicable aux cessions de fonds de commerce en France, la nature particulière du fonds de commerce électronique induit quelques spécificités qui méritent d’être mises en lumière.

1. Spécificités des cessions de fonds de commerce électroniques quant aux éléments cédés

1.1      Nom de domaine

Véritable carte d’identité de l’exploitant du site marchand, le nom de domaine représente un atout économique important et valorisé. Il permet en effet d’assurer l’identification du cybermarchand sur internet. Pour cette raison, la cession du nom de domaine, en même temps que le fonds de commerce, est primordiale.

En pratique, l’attribution des noms de domaine est assurée par l’AFNIC (Association française pour le nommage internet en coopération) par l’intermédiaire des bureaux d’enregistrement qui agissent comme intermédiaire entre le demandeur ou le titulaire et l’AFNIC.

Le titulaire du nom de domaine est celui qui apparaît dans le ‘WHOIS’ (https://who.is/), la base de données permettant de connaître les informations relatives au titulaire d’un nom de domaine.

Aussi, en cas de transfert du nom de domaine à l’occasion de la cession du fonds de commerce, il convient de prévoir l’obligation pour le cédant de demander à l’AFNIC de changer le titulaire du nom de domaine. A noter que cette demande de transmission s’effectue nécessairement par l’intermédiaire d’un bureau d’enregistrement.

1.2      Contrat d’hébergement

En cas de cession d’un fonds de commerce, les contrats ne sont transférés à l’acquéreur que si les parties en conviennent ou si la loi l’impose[6].

Aussi, et dans l’hypothèse où le site internet est hébergé via une location d’espace auprès d’un hébergeur, il conviendra d’analyser ledit contrat, notamment les clauses relatives à sa durée, sa résiliation, son incessibilité et éventuellement celles relatives à la cession par le client de son fonds. Il est, en effet, fréquent qu’une clause du contrat d’hébergement prévoie que le client ne pourra céder, transférer les droits et obligations résultant du contrat d’hébergement sous quelque forme que ce soit sans l’accord écrit de l’hébergeur.

1.3      Droits de propriété intellectuelle

L’existence d’un site internet pose bien sûr la question des droits de propriété intellectuelle s’appliquant aux éléments du site internet.

Il est donc primordial que le cédant soit en mesure de confirmer à l’acquéreur dans l’acte de cession qu’il dispose de la titularité des droits sur les créations utilisées par le site marchand et que leur transfert est possible.

En outre, lors de la vente, il convient de respecter les dispositions protégeant le droit d’auteur prévues par les articles L. 131-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. En particulier, le transfert de droits d’auteurs est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination[7].

Le non-respect de certaines de ces dispositions peut entraîner la nullité de l’acte de vente.

2.        Volet règlementaire en matière de protection des données personnelles

Au-delà de ces spécificités liées à la nature de certains éléments incorporels compris dans l’assiette du fonds de commerce électronique, une attention toute particulière devra être portée au volet règlementaire en matière de protection des données personnelles.

En effet, et de manière quasi-systématique, la cession d’un fonds de commerce va entraîner le transfert d’un fichier client susceptible de contenir des données personnelles – notamment l’identité (nom et prénom), l’adresse email, le numéro de téléphone ou encore l’adresse postale des personnes enregistrées dans la base de données. Dans ce contexte, sa transmission ne peut se faire que sous réserve de respecter le Règlement Général sur la Protection des Données (« RGPD »)[8], tant en matière de licéité du fichier client cédé que d’information post-cession.

2.1      Licéité du fichier client cédé

2.1.1    Le fichier client ne doit contenir que les données des clients actifs 

Pour rappel, les données des clients utilisées à des fins de prospection commerciale peuvent être conservées pendant la relation commerciale, puis, sauf exception, pour une durée de 3 ans à compter de la fin de cette relation commerciale (par exemple, à compter d’un achat sur le site marchand ou du dernier contact émanant du client), conformément aux recommandations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (« CNIL »), le régulateur en matière de données personnelles.

2.1.2    Seules les données des clients qui ne se sont pas opposés à la transmission de leurs données ou qui y ont consenti peuvent être vendues

Les données des clients qui se sont opposés à leur transmission à des fins de prospection par voie postale ou téléphonique et ceux qui n’ont pas consenti à la transmission des données à des fins de prospection par voie électronique devront être supprimées du fichier avant que celui-ci ne soit transmis à l’acquéreur.  

Les conditions de transmission et de remise des données entre le vendeur et l’acquéreur devront, en outre, s’effectuer de façon à garantir la sécurité et la confidentialité des données.

2.2      Obligations post-cession à la charge de l’acquéreur

2.2.1    L’acquéreur doit effectuer une information claire des personnes

L’acquéreur devra respecter certaines règles afin de s’assurer que l’utilisation du fichier client est conforme à la règlementation en vigueur.

Tout d’abord, il devra informer les personnes, dès que possible (notamment lors du premier contact avec la personne concernée) et, au plus tard, dans un délai d’un mois à compter de la cession sauf si les personnes ont déjà reçu les informations nécessaires[9]. Cette information devra notamment comporter la source des données, c’est-à-dire le nom de la société à l’origine de la vente du fichier client.

2.2.2    L’acquéreur doit vérifier l’existence d’un consentement à la prospection électronique

Si l’acquéreur souhaite utiliser les données des clients à des fins de prospection commerciale par voie électronique une fois la cession réalisée, il doit démontrer qu’il dispose de leur consentement éclairé.

Deux situations peuvent ici être distinguées :

Cas n° 1 : Le vendeur a déjà recueilli le consentement de ses clients pour les opérations de prospection de l’acquéreur.

Lorsque, au moment de la collecte des données, l’identité de l’acquéreur figurait déjà dans la liste des sociétés auxquelles les données seraient transmises à des fins de prospection par voie électronique (parce que l’acquéreur était un partenaire commercial du vendeur), ce dernier pourra démarcher directement les personnes ayant consenti à la transmission de leurs données à ces fins.

Cas n° 2 : Le vendeur n’a pas recueilli le consentement de ses clients pour les opérations de prospection de l’acquéreur.

Lorsque le vendeur n’a pas recueilli le consentement pour l’acquéreur, ce dernier doit garantir la conformité de ses opérations de prospection par voie électronique, en recueillant lui-même, préalablement à toute prospection commerciale électronique, le consentement des personnes concernées.


[1] Cass. ass. plén. 24-4-1970

[2] Cass. com. 13-3-1962

[3] Cass. civ. 22-10-1974 n° 73-12.372

[4] Voir notamment : T. Verbiest, Le fonds de commerce électronique : vers une reconnaissance juridique ? : Comm. com. électr. 2008, étude 10. ; Guillaume Desgens-Pasanau, Fasc. 1080 : NOTION DE FONDS DE COMMERCE ET INTERNET, JurisClasseur Entreprise individuelle ; Suzel Castagné, Fasc. 1932 : FONDS DE COMMERCE. – Fonds de commerce électronique. – Cession, JurisClasseur Entreprise individuelle.

JurisClasseur Entreprise individuelle

[5] V. par exemple, CA Paris, 28 janv. 2005

[6] La loi impose notamment la transmission à l’acquéreur des contrats suivants, même si le contrat de cession ne le prévoit pas : le droit au bail soumis au statut des baux commerciaux, les contrats de travail en cours et les contrats d’assurance.

[7] CPI, art. L. 131-3

[8] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données)

[9] Article « Vente de fichiers clients : la CNIL rappelle les règles » : https://www.cnil.fr/fr/vente-de-fichiers-clients-la-cnil-rappelle-les-regles