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Publié le 1 septembre 2006 par Christian Gabolde

Evolution du rôle du Commissaire du Gouvernement

Il n’y a pas si longtemps que, devant un Tribunal Administratif, le Commissaire du Gouvernement pouvait s’en remettre à la sagesse des juges et, s’il prononçait des conclusions, faire éclater une bombe sur la tête des avocats et des parties en soulevant d’office une fin de non recevoir ou un moyen inédit sans qu’il soit permis de lui répliquer.

Par ailleurs, il assistait au délibéré et il y prenait part.

A cette époque, la Cour Administrative d’Appel n’existait pas et, devant le Conseil d’Etat, si les mécanismes étaient similaires, il faut reconnaître que les conclusions des commissaires du gouvernement étaient considérées comme des monuments du droit administratif, destinées à orienter la jurisprudence et nul ne songeait à protester contre la manière dont elles étaient prononcées.

Une série ininterrompue de réformes ont totalement modifié ce paysage.

Tout a commencé en 1957 par un arrêt du Conseil d’Etat interdisant au Commissaire du Gouvernement de se dispenser de conclure. Il est vrai que c’était devant un conseil de contentieux administratif des territoires d’Outre-Mer (C.E. 10 juillet 1957 Gervaise, Rec. p. 466).

Puis, il lui a été imposé de fournir des conclusions motivées (C.E. 13 juin 1975 Andrassé Rec. p.357) ce qui a été explicité par la loi du 6 janvier 1986 (art. 18) qui précise qu’il doit exposer en toute indépendance son opinion sur les circonstances de fait et les règles de droit applicables.

Il doit donc motiver ses conclusions. Cette formule a été reprise par l’article L.7 du Code de Justice Administrative.

Par ailleurs, d’autres réformes ont fait obligation au Tribunal Administratif d’avertir les parties avant tout jugement des moyens qui étaient susceptibles d’être soulevés d’office.

Cette exigence a été introduite par décret du 30 juillet 1963 (art. 54) et interdit par conséquent au Commissaire du Gouvernement de soulever dans ses conclusions une irrecevabilité ou un moyen dont les parties n’auraient pas pu débattre préalablement.

Enfin, un tournant décisif est intervenu en 2001 par l’intermédiaire de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (C.E.D.H. 7 juin 2001 – arrêt Kress/La France) qui a condamné la République Française en considérant comme inéquitable le caractère non contradictoire du rôle du Commissaire du Gouvernement devant la justice administrative.

A partir de cet arrêt, un débat s’est institué pour déterminer les réformes à apporter afin d’appliquer cette jurisprudence.

Les uns invoquaient l’originalité traditionnelle de l’institution du Commissaire du Gouvernement datant de Napoléon 1er, lequel n’est ni une partie au litige car il ne représente pas l’administration ni un magistrat assimilable au Procureur du Tribunal judiciaire. Son rôle est d’éclairer le débat par le rappel de la loi, des principes et de la jurisprudence mais il n’impose ni ne décide quelque solution que ce soit. Celle-ci ne peut résulter que du délibéré des magistrats.

C’est sur ce dernier point que le débat s’est focalisé. La participation du Commissaire du Gouvernement au délibéré est apparue comme une anomalie condamnable, ne serait-ce qu’au titre de la « théorie de l’apparence » car, selon celle-ci, les justiciables pourraient croire – en réalité par erreur – que  le Commissaire influencerait la solution au cours du délibéré.

Un rafistolage – qu’il soit permis d’excuser ce mot trivial – est alors intervenu en 2005 – 2006 dans la rédaction de la partie règlementaire du Code de Justice Administrative pour tenter de concilier la tradition et le caractère contradictoire de la procédure dans le sens souhaité par la Cour de Strasbourg.

Ces réformes, qualifiées de désordonnées, insuffisantes et vaines pour certains, doivent être expliquées.

Pour cela, il faut distinguer deux aspects complémentaires de ces réformes mais distincts et parfois confondus : il s’agit, d’une part, de la communication préalable des conclusions du Commissaire du Gouvernement qui ne résulte d’aucun texte et, d’autre part, de la présence du Commissaire du Gouvernement au délibéré, ce qui a fait l’objet de textes récents.

1. Communication préalable de conclusions 

Les conclusions du Commissaire du Gouvernement qui n’engagent que lui-même et qui sont sa propriété ne sont pas connues avant la séance.

Etant prononcées oralement, elles ne sont pas assujetties à une communication écrite ni même à demeurer au dossier.

Elles ne donnent donc pas l’occasion d’un débat contradictoire.

Le Code de Justice Administrative est muet sur la question.

Une réponse du Ministre de la Justice à Monsieur CHARASSE, sénateur, du 7 juillet 2005 (J.O. Sénat Q, p. 1836) a indiqué que pour suivre la jurisprudence Kress, il était permis à un avocat de demander au Commissaire du Gouvernement avant la séance, de lui indiquer « le sens général de ses conclusions » et d’y répliquer le cas échéant par une note en délibéré (laquelle est prévue par l’article R.731-3 du CJA).

Cette réponse n’a pas de valeur réglementaire et ne fait que confirmer une pratique existante puisque la délivrance de la copie des conclusions prononcées donne lieu à une redevance au profit du Trésor Public (décret du 14 novembre 1994 mod. 10 novembre 2005).

Néanmoins, le Conseil d’Etat vient implicitement de la valider (C.E. 5 mai 2006 Sté Mullerhof) par un arrêt qui pose plus de questions qu’il n’en résout.

En effet, il a seulement exigé en se référant à cette pratique et au nom du respect du contradictoire, que si le Commissaire du Gouvernement envisage de modifier au dernier moment ce qu’il a indiqué à un Avocat, il devait en informer celui-ci.

Cette procédure informelle et cet arrêt posent plusieurs questions :

  • Comment savoir ce qui a été dit exactement tant en demande qu’en réponse ?
  • Le Commissaire du Gouvernement peut-il refuser de dévoiler le sens de ses conclusions ?
  • Si le Commissaire est contacté par une des parties à la veille de la séance, et qu’il communique le sens de ses conclusions, va-t-il en faire autant vis-à-vis de l’adversaire qui n’a rien demandé ?
  • S’il change d’avis en séance sous l’influence des débats, faut-il qu’il provoque avant de conclure un renvoi de l’affaire afin d’informer les parties du changement d’orientation de ses conclusions.

Il y a sans doute beaucoup d’autres questions liées à la possibilité de répliquer en usant de la note en délibéré qui ne peut être déposée qu’après l’audition du Commissaire.

2. Présence du Commissaire du Gouvernement au délibéré

C’était le point sensible car la Cour de Strasbourg a « enfoncé le clou » selon l’expression des Juges français non majoritaires exprimée dans un nouvel arrêt du 12 avril 2006.

Alors que le Gouvernement français avait pris un décret dès le 19 décembre 2005 pour énoncer que le Commissaire du Gouvernement assiste au délibéré mais n’y prend pas part, ce qui sauvegardait le vieux principe, la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné solennellement la France le 12 avril 2006 (arrêt Martinié – AJDA 2006 – p. 986) en précisant que la seule présence du Commissaire du Gouvernement qu’elle soit active ou seulement passive ou silencieuse, au délibéré laisse supposer qu’il a pu influencer cette décision (application de la théorie de l’apparence).

Le Gouvernement Français s’est donc incliné et un décret du 1er août 2006 a modifié le système établi quelques mois plus tôt en déclassant les articles R.731-1 et suivants du CJA déjà modifiés en juin 2005.

En l’état actuel des textes, il faut distinguer :

  • devant le Tribunal Administratif et la Cour Administrative d’Appel, le Commissaire du Gouvernement ne peut plus assister au délibéré (art. R.732-2).
  • au Conseil d’Etat, il assiste en principe au délibéré mais il n’y prend pas part. Rien n’est changé avec ce qui était édicté auparavant (art. R.733-3).

Mais si une des parties s’y oppose à l’avance et par écrit, il doit s’abstenir de venir assister au délibéré. Il n’a pas le choix (même article).

La différence s’explique par le fait que cette procédure est faite pour les Avocats aux Conseils bien qu’elle puisse s’appliquer dans des affaires dispensées de leur ministère et qu’en ce cas, elle peut être utilisée par les requérants eux-mêmes. Il y a là un risque d’usage abusif de la part de certains plaideurs.

Il apparaît utile, par ailleurs, au développement de la jurisprudence élaborée au Conseil d’Etat grâce à la remarquable science juridique des Commissaires du Gouvernement que ceux-ci puissent être informés par les échanges intervenus au cours du délibéré des évolutions à envisager.

On sait en effet que souvent les Commissaires du Gouvernement du Conseil d’Etat sont les orienteurs de la jurisprudence administrative.

Il est cependant probable que ceci ne satisfera pas les partisans inconditionnels de l’absence du Commissaire du Gouvernement au délibéré. Il faut dire que celui-ci est bien mal dénommé et que ce vieux titre – confondu avec celui des véritables représentants du pouvoir tant au Parlement que dans les Tribunaux Militaires et dans les Commissions d’Expropriation par exemple – doit être sacrifié si on veut conserver une fonction indispensable à la justice administrative.

Puisque son rôle est de se référer à la loi et aux principes, pourquoi ne pas le dénommer conseiller-référendaire ?

 


* Christian Gabolde est ancien Président des Tribunaux Administratifs de Caen et de Lyon et Conseiller d’Etat Honoraire. A l’issue de sa carrière de magistrat, il a rejoint le Cabinet Soulier en qualité d’avocat puis de consultant. Auteur de nombreuses publications, chroniques et notes de jurisprudence, Christian Gabolde a rédigé deux ouvrages de référence, La procédure des Tribunaux Administratifs et des Cours Administratives d’Appel, Editions Dalloz, et Les installations classées pour la défense de l’Environnement, Editions Jurisclasseur Administratif. Il est également l’un des rédacteurs de l’Encyclopédie Pratique du Contentieux Administratif, éditions Dalloz.