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Publié le 29 juin 2018 par Soulier Avocats

Examen de la future Loi transposant la Directive sur le secret des affaires

Deux ans après l’adoption de la Directive « secret des affaires »[1], la proposition de Loi approuvée par la Commission paritaire mixte le 24 mars 2018, a été définitivement adoptée par le Parlement le 21 juin 2018.

Seront exposés succinctement les trois chapitres de la proposition de Loi sur le secret des affaires portant respectivement sur : l’objet et les conditions de la protection, les actions en prévention, en cessation ou en réparation d’une atteinte au secret des affaires et enfin sur les mesures générales de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles ou commerciales.

Le droit français ne définissant ni le secret des affaires, ne prévoyant ni un régime de réparation civile adéquate, ni d’infraction pénale adaptée, la transposition de la Directive « secret des affaires » était attendue.

On notera que les désaccords et débats entre l’Assemblée nationale et le Sénat ont permis de préciser certaines dispositions de la Directive.

En revanche, la Directive avait laissé aux Etats membres[2] le choix d’une pénalisation du secret des affaires. Malgré le souhait du Sénat d’introduire le délit d’espionnage économique, la Commission paritaire mixte a écarté ce délit pénal. Seul le droit commun avec des infractions comme l’abus de confiance[3], le vol[4] ou encore la soustraction de données[5] permettra de sanctionner pénalement une atteinte au secret des affaires.

Ci-après l’analyse chapitres par chapitres de la proposition de Loi sur le secret des affaires. 

 

  • Chapitre 1er : l’objet et les conditions de la protection 

 

Section 1 : de l’information protégée

Le futur article L. 151-1 du Code de commerce définira le secret des affaires de la manière suivante :

«  Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;

2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »

Cette définition est sensiblement identique à celle prévue à l’article 1 de la Directive[6].

Concernant le 2° de cet article, le Sénat avait défendu l’idée que la notion de « valeur économique » permettrait une appréhension plus large que celle de « valeur commerciale ». Mais, en raison des difficultés à évaluer et appliquer cette notion, la Commission paritaire mixte a rejeté cette proposition et a repris celle de « valeur commerciale ».  

 

Section 2 : de la détention légitime et de l’obtention licite d’un secret des affaires 

Le futur article L. 151-2 A du Code de commerce définira le détenteur légitime d’un secret des affaires comme étant « celui qui en a le contrôle de façon licite. »

Le détenteur licite d’information sera défini différemment puisque le futur article L. 151-2 du Code de commerce disposera : 

« Constituent des modes d’obtention licite d’un secret des affaires :

1° Une découverte ou une création indépendante ;

2° L’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l’information, sauf stipulation contractuelle interdisant ou limitant l’obtention du secret. »

Ainsi, le critère de distinction entre détenteur légitime et licite sera celui du contrôle, ou non, du secret des affaires.

 

Section 3 : de l’obtention, de l’utilisation et de la divulgation illicite 

Les futurs articles L. 151-3, L. 151-4 et L.151-5 du Code de commerce reprendront essentiellement les dispositions de la Directive[7] en distinguant l’obtention illicite de secrets de l’utilisation et de la divulgation illicite de secrets.

Ainsi, l’obtention illicite (futur article L. 151-3 du Code de commerce) visera les hypothèses suivantes : 

« 1° D’un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d’une appropriation ou d’une copie non autorisée de ces éléments ;

2° De tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale. »

L’utilisation et la divulgation illicite d’un secret des affaires le sera lorsqu’elle sera faite « sans le consentement de son détenteur légitime » ou en violation d’une obligation de confidentialité (futur article L. 151-4 du Code de commerce).

Enfin, l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires sera également considérée comme illicite si la personne recevant un secret des affaires « savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret avait été obtenu, directement ou indirectement, d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite au sens du premier alinéa de l’article L. 151-4. » (article L. 151-5 du Code de commerce).

 

Section 4 : des exceptions à la protection du secret des affaires

La Directive sur le secret des affaires avait fait l’objet de critiques importantes car s’opposant à d’autres libertés fondamentales telles que la liberté d’expression ou de la presse.

La proposition de Loi de la Commission paritaire mixte, en reprenant les propositions du Sénat, étend les hypothèses où le secret des affaires ne pourra, en tout état de cause, être opposé.

Ainsi, sera relevé le futur article L. 151-7 du Code de commerce selon lequel le secret des affaires ne pourra être opposé :

-Pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le droit de la presse et à la liberté d’information (article L 151-7 1°) ;

-Pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte (article L 151-7 2°);

-Pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national (article L. 151-7 3°).

 

Le secret des affaires ne pourra également pas être opposable lorsque :

-L’obtention du secret des affaires est intervenue dans le cadre de l’exercice du droit à l’information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants (article L. 151-8 1°) ;

La divulgation du secret des affaires par des salariés à leurs représentants est intervenue dans le cadre de l’exercice légitime par ces derniers de leurs fonctions, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice (article L. 151-8 2°) ;

 –L’information ainsi obtenue ou divulguée demeure protégée au titre du secret des affaires à l’égard des personnes autres que les salariés ou leurs représentants qui en ont eu connaissance (article L. 151-8 3°).

 

  • Chapitre 2 : des actions en prévention, en cessation ou en réparation d’une atteinte au secret des affaires

Les futurs articles L. 152-1 et L.152-1-1 du Code de commerce indiqueront que toute atteinte au secret des affaires engagera « la responsabilité civile de son auteur », l’action se prescrivant par cinq ans «  à compter des faits qui en sont la cause. »

Comme indiqué ci-avant, la proposition de Loi n’évoque pas la responsabilité pénale.

 

Section 1 : des mesures pour prévenir et faire cesser une atteinte au secret des affaires

Les Juges pourront prendre « toute mesure proportionnée » afin de prévenir ou cesser toute atteinte à un secret des affaires.

Le futur article L. 152-2 du Code de commerce listera ainsi une série de mesure :

-« Interdire la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires (article L. 152-2 1°) ;

-Interdire les actes de production, d’offre, de mise sur le marché ou d’utilisation des produits résultant de manière significative de l’atteinte au secret des affaires ou l’importation, l’exportation ou le stockage de tels produits à ces fins(article L. 152-2 2°) ;

-Ordonner la destruction totale ou partielle de tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique contenant le secret des affaires concerné ou dont il peut être déduit ou, selon le cas, ordonner leur remise totale ou partielle au demandeur (article L. 152-2 3°). » 

« La juridiction peut également ordonner que les produits résultant de manière significative de l’atteinte au secret des affaires soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, modifiés afin de supprimer l’atteinte au secret des affaires, détruits ou, selon le cas, confisqués au profit de la partie lésée.

En outre, les Juges pourront accorder, à la demande de l’auteur de l’atteinte, le versement d’une indemnité à la partie lésée sous réserve que les conditions suivantes soient réunies :

-« Au moment de l’utilisation ou de la divulgation du secret des affaires, l’auteur de l’atteinte ne savait pas, ni ne pouvait savoir au regard des circonstances, que le secret des affaires avait été obtenu d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite (article L. 152-1 1°) ;

-L’exécution des mesures mentionnées aux I à III de l’article L. 152-2 causerait à cet auteur un dommage disproportionné (article L. 152-1 2°);

-Le versement d’une indemnité à la partie lésée paraît raisonnablement satisfaisant (article L. 152-1 3°).»

 

Section 2 : de la réparation d’une atteinte au secret des affaires

Le futur article L. 152-3 du Code de commerce prévoira la fixation de dommages et intérêts en fonction des préjudices économique, moral et en fonction des bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte.

 

Section 3 : des mesures de publicité

Le futur article L. 152-5 du Code de commerce indiquera la possibilité de publier toute décision de justice relative à « l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite du secret des affaires » tout en veillant à préserver le contenu du secret des affaires.

 

Section 4 : des sanctions en cas de procédure abusive ou dilatoire 

Le futur article L. 152-6 du Code de commerce indiquera :

« Toute personne physique ou morale qui agit de manière dilatoire ou abusive sur le fondement du présent chapitre peut être condamnée au paiement d’une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 20 % du montant de la demande de dommages et intérêts. En l’absence de demande de dommages et intérêts, le montant de l’amende civile ne peut excéder 60 000 €.

L’amende civile peut être prononcée sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts à la partie victime de la procédure dilatoire ou abusive. »

Cette mesure avait été supprimée par le Sénat aux motifs d’une part, qu’elle pourrait être jugée contraire aux principes d’égalité et de légalité des délits et des peines. D’autre part et de manière pragmatique, le Sénat avait constaté la rareté de l’application de l’article  32-1 du Code de procédure civile relatif à l’abus de droit d’agir en justice.

La Commission paritaire mixte a toutefois décidé de garder cette amende civile pour dissuader les actions judiciaires intempestives.

 

  • Chapitre 3 : des mesures générales de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles ou commerciales

Les articles L. 153-1 et suivants du Code de commerce aménageront certaines règles procédurales dans le but de conserver le secret des affaires. L’innovation essentielle portera sur la possibilité d’obtenir un « huit clos » procédural permettant de garder secrète les plaidoiries.

Ainsi, lors d’une instance civile ou commerciale, lorsqu’ « il est fait état ou est demandée la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires,  le juge peut, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense :

« 1° Prendre connaissance seul de cette pièce afin de décider, s’il l’estime nécessaire, de limiter sa communication ou sa production à certains de ses éléments, d’en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou d’en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ;

2° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;

3° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de la publication de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires. »

En outre, le futur article L. 153-2 du Code de commerce imposera une obligation de confidentialité à toute personne ayant eu accès lors d’une instance à toute pièce ou document couvert par le secret des affaires.

 

[1] Directive (UE) 2016/943 du Parlement Européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites.

[2] Article 1 de la Directive n°2016/943

[3] Article L. 314-1 du Code pénal

[4] Article L. 311-1 du Code pénal

[5] Article 323-3 du Code pénal

[6] Article 2 de la Directive 2016/943

[7] Article 4 de la Directive 2016/943