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Publié le 28 décembre 2022 par Soulier Avocats

La conformité à la Constitution des clauses d’exclusion dans les statuts des sociétés par actions simplifiées consacrée par le Conseil constitutionnel

Aux termes du premier alinéa de l’article L. 227-16 du Code de commerce, « dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions. »

Le deuxième alinéa de l’article L. 227-19 du Code de commerce dispose, dans sa version applicable depuis le 21 juillet 2019[1], que les clauses d’exclusion visées à l’article L. 227-18 « ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts ».

Ces dispositions font l’objet de nombreux débats doctrinaux, tant au regard de leur articulation avec l’article 1836 alinéa 2 du Code civil (aux termes duquel « en aucun cas, les engagements d’un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci ») que de leur conformité avec le droit de propriété garanti par la Constitution[2].

Par une décision récente du 9 décembre 2022[3], le Conseil constitutionnel a tranché la question de la conformité à la Constitution.

Dans cette affaire, les statuts d’une société par actions simplifiée stipulaient que la qualité d’associé était réservée aux personnes ayant la qualité de salarié et/ou de mandataire social de la société et qu’en cas de perte, par l’associé, de cette qualité, le président de la société devait convoquer l’assemblée générale extraordinaire des associés afin qu’elle se prononce sur l’exclusion de l’associé.

Par application des statuts, l’assemblée générale des associés a exclu un salarié démissionnaire.

Ce dernier a assigné la société devant le tribunal de commerce en nullité de l’assemblée générale ayant décidé la cession forcée de ses actions.

Par un mémoire complémentaire, le salarié démissionnaire a posé quatre questions prioritaires de constitutionnalité des articles L. 227-16, alinéa 1 et L. 227-17, alinéa 2, du Code de commerce au regard des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 garantissant le droit de propriété.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 12 octobre 2022[4], a constaté que les dispositions litigieuses étaient applicables au litige, n’avaient pas déjà été déclarées conformes à la Constitution et présentaient un caractère sérieux et a donc transmis ces questions au Conseil constitutionnel.

Dans sa décision du 9 décembre 2022, le Conseil constitutionnel a reconnu la conformité de ces dispositions tant à l’article 2 qu’à l’article 17 de la Déclaration de 1789.

Aux termes de l’article 17 de la Déclaration de 1789, « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Selon le Conseil constitutionnel, les dispositions litigieuses du Code de commerce « ont pour seul objet de permettre à une société par actions simplifiée d’exclure un associé en application d’une clause statutaire. S’il en résulte qu’un associé peut être contraint de céder ses actions, elles n’entraînent donc pas une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789. ».

L’application de l’article 17 étant rejetée, il n’y avait lieu ni de démontrer la justification de l’atteinte par une nécessité publique ni l’existence d’une juste et préalable indemnité. 

Par suite, la constitutionnalité des dispositions litigieuses ne pouvait s’apprécier, selon le Conseil constitutionnel, qu’au regard de l’article 2 de la Déclaration de 1789 définissant le droit de propriété comme l’un des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme.

Le Conseil constitutionnel s’est donc borné à vérifier classiquement l’existence d’un motif d’intérêt général justifiant l’atteinte portée au droit de propriété et sa proportionnalité à l’objectif poursuivi. 

Sur l’existence d’un motif d’intérêt général

Jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la loi « Soilihi » du 19 juillet 2019[5], les clauses d’exclusion retrouvées dans les statuts de sociétés par actions simplifiée ne pouvaient être adoptées ou modifiées qu’à l’unanimité des associés.

Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, le 21 juillet 2019, l’article L. 227-19 du Code de commerce laisse le soin aux statuts de définir la majorité requise pour adopter ou modifier de telles clauses.

Dès lors qu’une clause d’exclusion ne doit plus nécessairement être adoptée ou modifiée à l’unanimité, le requérant soutenait dans son mémoire complémentaire qu’un associé peut être tenu de céder ses actions en application d’une clause statutaire d’exclusion à laquelle il n’aurait pas consenti, de sorte qu’une atteinte injustifiée serait portée à son droit de propriété.

Dans sa décision du 9 décembre 2022, le Conseil constitutionnel n’a pas souscrit à l’interprétation du requérant.

Il a en effet retenu qu’ « en permettant à une société par actions simplifiée de contraindre un associé à céder ses actions, le législateur a entendu garantir la cohésion de son actionnariat et assurer ainsi la poursuite de son activité. »

Il a entériné son argumentaire en se fondant sur les travaux préparatoires de la loi « Soilihi » du 19 juillet 2019, rappelant en effet qu’ « en prévoyant que l’adoption ou la modification d’une clause d’exclusion puisse être décidée sans recueillir l’unanimité des associés, [le législateur] a également entendu éviter les situations de blocage pouvant résulter de l’opposition de l’associé concerné à une telle clause ». 

Le motif d’intérêt général tiré de la nécessaire « poursuite de l’activité de l’entreprise », sur lequel est fondée la décision du 9 décembre 2022, n’est pas un concept nouveau dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

C’est en effet sur ce même fondement qu’il avait retenu, par décision du 5 août 2015[6], que l’article L. 631-19-2 du Code de commerce qui permet d’obliger des actionnaires majoritaires à céder tout ou partie de leur participation au profit de personnes qui se sont engagées à exécuter le projet de plan de redressement de l’entreprise, répondait aux exigences de proportionnalité et était donc conforme à la Constitution.

De même avait-il, par décision du 7 octobre 2015[7], retenu que le mécanisme de cession forcée des titres du dirigeant associé prévue par l’article L. 631-19-1 du Code de commerce ne portait pas une atteinte manifestement disproportionnée au droit de propriété des associés et actionnaires.

Sur le caractère proportionné de l’atteinte au droit de propriété

Afin d’exclure le caractère disproportionné de l’atteinte au droit de propriété, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur trois arguments.

Dans un premier temps, il a rappelé la jurisprudence constante de la Cour de cassation aux termes de laquelle la décision d’exclure un associé ne peut être prise qu’à la suite d’une procédure prévue par les statuts, doit reposer sur un motif, stipulé par ces statuts, conforme à l’intérêt social et à l’ordre public, et ne doit pas être abusive[8].

Dans un deuxième temps, il a exposé que « l’exclusion de l’associé donne lieu au rachat de ses actions à un prix de cession fixé, selon l’article L. 227-18 du code de commerce, en application de modalités prévues par les statuts de la société, ou, à défaut, soit par un accord entre les parties, soit par un expert désigné dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du code civil. »

Dans un troisième temps, il a précisé que « la décision d’exclusion peut être contestée par l’associé devant le juge, auquel il revient alors de s’assurer de la réalité et de la gravité du motif retenu. L’associé peut également contester le prix de cession de ses actions. »

En conclusion, la décision du Conseil constitutionnel du 9 décembre 2022 était bienvenue dès lors qu’elle a permis de clore le débat lié à la constitutionnalité des clauses d’exclusion dans les statuts d’une société par actions simplifiée. Toutefois, il n’en reste pas moins nécessaire d’accorder une attention particulière à la mise en œuvre de telles clauses, qui demeurent pour rappel contestables sur le fondement de la jurisprudence de la Cour de cassation.


[1] Date d’entrée en vigueur de la loi n°2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés (dite « loi Soilihi »)

[2] Voir, notamment :

L. Godon, SAS : les incidences de la loi du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés : Rev. sociétés 2019, p. 723.

R. Mortier et alii, Simplification du droit des sociétés – La loi Mohamed Soilihi article par article (2e partie) : Dr. sociétés 2019, étude 14.

A. Couret, Les clauses d’exclusion dans les SAS : sortir d’un débat en voie d’enlisement : D. 2019, p. 2188.

D. Martin et M. Carosso, L’exclusion d’un associé d’une SAS après la loi de simplification du droit des sociétés, JCP E 2020, 1091.

[3] Décision n° 2022-1029 QPC du 9 décembre 2022

[4] Cass. Com, 12 octobre 2022, n° 22-40.013

[5] Loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés

[6] Décision n°2015-715 DC du 5 août 2015

[7] Décision n°2015-486 QPC du 7 octobre 2015

[8] Cass. com., 13 juill. 2010, n° 09-16.156 et Cass. com., 20 mars 2012, n° 11-10.855