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Publié le 1 janvier 2012 par Soulier Avocats

La notion de co-employeur ou la mise en jeu de la responsabilité du groupe

Le droit social français s’est initialement structuré sur la notion d’entreprise, entité juridique autonome. C’est à ce niveau que s’apprécient principalement les droits et devoirs de l’employeur et du salarié.

La jurisprudence a fait évoluer cette première approche et a abouti à la définition de l’Unité Economique et Sociale (UES) qui a vocation à être utilisée en termes de représentation du personnel et d’épargne salariale. Elle a également introduit la notion de groupe, notamment au regard des obligations de l’employeur lors de licenciements économiques.

Si la notion de co-employeur n’est pas une innovation, elle connait aujourd’hui un succès grandissant auprès des tribunaux. Nombre de cours d’appel l’ont utilisée ces dernières années aux fins de contrecarrer des fermetures d’entreprises et des plans de licenciement au sein de groupes et de mettre en jeu la responsabilité des maisons-mère. La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur ce thème en 2011.

Le risque est réel pour les groupes. La reconnaissance du co-emploi répond cependant à des critères assez précis. Nous verrons que ces critères amènent en toute logique (logique française bien sûr) à cette reconnaissance. Les groupes se doivent donc d’être particulièrement vigilants en la matière, les conséquences financières pouvant être lourdes.

Les critères du co-emploi

La qualité de co-employeur est reconnue dès lors que le juge constate une « confusion d’intérêts, d’activité et de direction » entre deux sociétés, généralement une maison-mère et sa filiale.

Il est certain que ce critère est inquiétant dès lors qu’il entraîne de fait une appréciation subjective de l’organisation économique au sein d’un groupe et ouvre donc la voie à des d’interprétations diverses. D’où une plus grande insécurité juridique. En pratique, les groupes sont bien souvent constitués de sociétés ayant des intérêts communs, et des activités et directions communes.

Cette communion ne doit cependant pas aboutir à la confusion de ces éléments. C’est de cette confusion que peut naître la reconnaissance du co-emploi.

Le juge étudiera au cas par cas si la filiale a, ou non, une autonomie. Il s’appuiera sur un faisceau d’indices afin de mesurer le degré de dépendance de la filiale. Ces indices seront :

  • L’identité des dirigeants,
  • La fixation unilatérale par la maison-mère de la stratégie et des prix, des choix économiques et sociaux,
  • La centralisation de la gestion sociale,
  • La détention exclusive ou quasi-exclusive du capital,
  • Le contrôle financier,
  • L’absence d’autonomie de la filiale dans la gestion opérationnelle et administrative,
  • L’activité économique sous la dépendance totale du groupe.

En résumé, le risque apparaît lorsqu’une entité économique autonome agit, dans les faits, comme un simple établissement dénué de tout pouvoir de décision et de gestion et est donc privée de toute autonomie réelle.

A ce jour, une simple domination économique ne saurait suffire à mettre en œuvre la notion de co-emploi.

A ce titre, un arrêt du 22 juin 2011 (Cass. Soc. N°09-69021) doit retenir l’attention. La Cour de cassation y admet le co-emploi pour une des sociétés mises en cause par les salariés, mais la refuse pour une autre société du même groupe.
En effet, si la première a démontré une immixtion directe dans la gestion de sa filiale à laquelle elle dictait précisément sa conduite, notamment dans la gestion du personnel, le co-emploi a été écarté pour la seconde société en l’absence de toute immixtion dans la gestion du personnel.

La Cour de cassation précise : « Mais attendu que la cour d’appel a constaté, par motifs propres et adoptés, que depuis que la société Novoceram en avait pris le contrôle, la société BSA avait perdu toute autonomie dans la gestion de ses activités, qu’elle était entièrement sous la dépendance de cette société, qui était devenue sa seule cliente et définissait le prix de ses produits, qu’elle partageait avec elle les produits, les matières, les services généraux, le matériel d’exploitation et les procédés de fabrication, que la gestion administrative, comptable, financière, commerciale, technique et juridique de la société BSA était assurée par la société Novoceram, laquelle gérait également son personnel, les cadres dirigeants de la société BSA n’étant que les exécutants de décisions prises par le dirigeant de la société Novoceram dans la gestion du personnel et dans les domaines industriel et technique ; qu’elle a pu en déduire qu’il existait entre ces sociétés une confusion d’intérêts, d’activités et de direction qui se manifestait par l’immixtion de la société Novoceram dans la gestion du personnel de la société BSA et qui suffisait à leur conférer la qualité de co-employeurs » .

La seconde société du groupe mise en cause par les salariés a échappé à la qualification de co-employeur, la Cour de cassation constatant « que la société Gruppo concorde ne s’était pas substituée à l’employeur dans la conduite de la procédure d’information des représentants du personnel de la société BSA, qu’il n’y avait pas d’imbrication étroite entre ces deux sociétés, ni immixtion de la première dans la gestion de la seconde, ni confusion de leurs actifs ; qu’elle a pu en déduire qu’il n’était pas justifié d’une confusion d’intérêts, d’activités et de direction entre ces sociétés et qu’en conséquence la société Gruppo concorde ne pouvait être qualifiée de co-employeur et ne pouvait, en cette qualité, être attraite devant la juridiction saisie par les salariés d’une contestation de leur licenciement » .

Le critère prépondérant est donc bien l’absence d’autonomie décisionnelle.

Un arrêt du 18 janvier 2011 (Cass. Soc. N° 09-69199) mettait déjà en avant « la gestion commune du personnel des sociétés », le fait que la société-mère « dictait à la société MIC ses choix stratégiques » et « intervenait de manière constante dans les décisions concernant la gestion financière et sociale de la cessation d’activité (…) et le licenciement de son personnel ». « Elle assurait la direction opérationnelle et la gestion administrative de sa filiale qui ne disposait d’aucune autonomie ».

Les conséquences pour la société reconnue co-employeur

Un co-employeur a toutes les obligations et responsabilités d’un employeur.

La société reconnue co-employeur pourra donc se voir condamnée :

  • A payer les sommes dues par sa filiale aux salariés (rémunérations, indemnités de rupture, etc.),
  • A régler les dommages et intérêts alloués aux salariés au titre du préjudice subi du fait de leur licenciement,
  • A réintégrer les salariés dont le licenciement serait considéré comme nul,
  • A financer un Plan de Sauvegarde de l’Emploi au sein de sa filiale.

En l’état actuel de la jurisprudence, toutes les conséquences possibles de cette reconnaissance d’un co-emploi n’ont pas encore été tirées. Si les contentieux sont aujourd’hui axés sur les licenciements économiques, il est à craindre que le co-emploi ne soit mis en avant par les salariés aux fins de revendiquer l’ouverture d’autres droits (égalité de traitement entre les salariés des sociétés co-employeurs par exemple).

Eviter le risque du co-emploi

En l’état de la jurisprudence, il apparaît que le manque d’autonomie de la filiale met en danger la maison-mère.

Dès lors, celle-ci devra s’attacher à maintenir au sein de sa filiale de réels organes de décision, disposant des pouvoirs attachés au statut d’employeur. En conséquence, si le groupe pourra toujours donner des directives à la direction de la filiale, les dirigeants ne devront jamais ne devenir que de simples exécutants de décisions prises dans tous leurs aspects organisationnels par la maison-mère. Si la stratégie commerciale de la filiale sera légitimement en concordance avec celle du groupe, elle ne devra pas faire l’objet d’une mise en œuvre détaillée et directe par la maison-mère. De même pour la gestion administrative et financière. Quant à la gestion sociale, étudiée de très près par les juges, elle devra être pleinement exercée par la filiale : s’il est démontré que la maison-mère a décidé du nombre de salariés licenciés, voire de la liste nominative des personnels visés, il est à craindre que ce ne soit considéré comme une immixtion susceptible de faire surgir le co-emploi.

Au vu de ces évolutions jurisprudentielles, il est recommandé que les filiales soient dirigées par des représentants légaux et cadres dirigeants disposant de tous les moyens pour assurer une direction effective de la société. S’ils peuvent se voir assigner des objectifs à atteindre, des stratégies à suivre, des obligations à remplir, ils doivent rester autonomes au regard des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. A défaut, les juges iront systématiquement rechercher les vrais décideurs aux fins de mettre en jeu leurs responsabilités, notamment sociales.

Recruter ou désigner des dirigeants de filiales pour n’être que de simples exécutants ne disposant d’aucune autonomie, est susceptible de faire courir au groupe le risque de voir sa responsabilité engagée en tant que co-employeur des salariés de sa filiale.

Extension des conséquences à d’autres domaines du droit

Les groupes devront être d’autant plus vigilants que les tribunaux de commerce et les cours d’appel commencent à examiner eux aussi le degré d’autonomie d’une société dans le cadre de demandes d’ouverture de procédures collectives. Ainsi la Cour d’appel de Reims a constaté en mars 2011 que « cette société ne dispose pas de la moindre autonomie par rapport à sa maison-mère dont elle n’est en fait qu’une unité de production et que la demande d’ouverture d’une procédure collective constitue en fait un détournement de procédure permettant de s’exonérer des prescriptions du Code du travail ».

En un mot, pour les juges, les décideurs doivent être les payeurs.