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Publié le 28 février 2017 par Soulier Avocats

Procédure collective, salariés licenciés et mise en jeu de la responsabilité délictuelle de la société mère étrangère

Les sociétés-mères étrangères, dont la filiale française fait l’objet d’une procédure collective (liquidation ou redressement judiciaire), ne sont pas à l’abri de la mise en jeu de leur responsabilité délictuelle par les salariés de leur filiale française ayant fait l’objet d’un licenciement. Ce type d’action en responsabilité extra-contractuelle dans un contexte de procédure collective a le vent en poupe.
Les Conseils de Prud’hommes sont ainsi susceptibles de condamner la société-mère au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par le salarié du fait d’une faute commise par la mère dans la gestion de sa filiale. Toutefois, un arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation du 10 janvier 2017 nous rappelle que dans un contexte de procédure d’insolvabilité internationale, le juge français n’est pas toujours le juge compétent pour statuer sur ce type d’action.

L’ouverture d’une procédure collective au sein d’un groupe peut comporter certains risques pour d’autres sociétés du groupe et au premier chef pour la société-mère.

Le salarié licencié par la filiale d’un groupe dans le cadre d’une procédure collective (redressement ou liquidation judiciaire) peut tenter de réclamer judiciairement des sommes (salaires et/ou indemnités) directement auprès de la société-mère.

Classiquement, les salariés vont invoquer le co-emploi afin de justifier la mise en cause de la société-mère. La situation de co-emploi, aux termes d’une jurisprudence bien établie, est caractérisée (i) s’il existe entre une société-mère et les salariés de la filiale un lien de subordination juridique ou (ii) s’il existe entre les deux sociétés une confusion d’intérêt, d’activité et de direction. Un co-employeur a toutes les obligations et responsabilités d’un employeur. Une société-mère reconnue co-employeur peut ainsi par exemple se voir condamnée à verser solidairement des salaires dues par sa filiale aux salariés ou des dommages et intérêts au titre d’un préjudice subi du fait de leur licenciement, voire même à devoir réintégrer les salariés dont le licenciement serait considéré comme nul ou encore devoir financer le Plan de sauvegarde de l’emploi au sein de sa filiale.

Cependant, les conditions du co-emploi sont strictement définies par la jurisprudence et la réunion de ces conditions n’est pas toujours aisée à démontrer.

C’est la raison pour laquelle, un autre mode de mise en cause de la société-mère s’est développée, à savoir une action en responsabilité civile délictuelle de la part de salariés licenciés, sur le fondement de l’article 1240 (ancien article 1382) du code civil, contre la société dominante du groupe considérée comme fautive du fait d’une mauvaise gestion de sa filiale et donc responsable du préjudice résultant de leur licenciement.

La responsabilité délictuelle de la société dominante du groupe peut également l’amener à devoir rembourser l’AGS des sommes que celle-ci a avancées.

Encore faut-il démontrer (i) la faute ou la légèreté blâmable de la société-mère (ii) qui aurait été à l’origine du dommage, à savoir la disparition des emplois des salariés. A titre d’exemple, une telle responsabilité a pu être retenue dans le cas où[1] :

  • la société-mère avait imposé à la filiale des décisions dommageables qui avaient aggravé la situation économique difficile de celle-ci, ne répondant à aucune utilité pour elle, et n’étaient profitables qu’à son actionnaire unique ; et
  • les décisions de la société-mère avaient concouru à la déconfiture de sa filiale, engendrant la disparition des emplois.

Des « décisions dommageables » de la société-mère ont par exemple été caractérisées dans les cas suivants :

  • la conclusion par la société-mère d’un contrat de transfert à son profit des marques appartenant à la filiale sans aucun apport direct en trésorerie, participant à l’aggravation de la situation, ce qui a justifié quelques mois plus tard l’ouverture de la procédure collective ;
  • la conclusion d’un contrat de prestation de services avec une société détenue indirectement par l’actionnaire unique pour une mission d’accompagnement de la direction générale et qui constituait manifestement une dépense disproportionnée et injustifiée à un moment où la société avait un besoin urgent et important de trésorerie ;
  • la conclusion d’un contrat d’intervention avec une société appartenant indirectement à la société-mère consistant en la mise en place d’une équipe de réduction des coûts, contrat qui s’est avéré disproportionné dans son montant et sans utilité ;
  • des facturations établies aux autres sociétés sœurs du groupe pour des services rendus, qui n’ont été que très partiellement acquittées par les sociétés clientes, ce qui avait été à l’origine de la défaillance de la filiale ;
  • une filiale ayant financé le groupe pour des montants hors de proportion avec ses moyens financiers.

Un arrêt fort intéressant a été très récemment rendu par la chambre sociale de la Cour de Cassation concernant une action en réparation des préjudices subis du fait d’un licenciement dans un contexte international de liquidation judiciaire[2].

Dans cette affaire, un salarié avait été engagé par la filiale française d’une société anglaise, elle-même membre d’un groupe international. A la suite de la procédure d’insolvabilité ouverte par la Haute Cour de Justice anglaise à l’encontre de la société-mère anglaise, les administrateurs anglais ont demandé l’ouverture d’une procédure secondaire aux juridictions françaises. Le Tribunal de commerce de Versailles a alors placé la filiale française en liquidation judiciaire, arrêtant par la suite un plan de cession partiel autorisant, notamment, des licenciements.

Un salarié licencié de cette filiale française a saisi la juridiction prud’homale pour contester cette mesure et rechercher la responsabilité notamment de la société anglaise pour ses fautes de gestion, à l’origine – selon ce salarié – de la situation.

La question qui s’est posée était de savoir si le juge prud’homal français était bien compétent pour se prononcer sur les demandes d’un salarié d’une société française en liquidation judiciaire s’ajoutant à la contestation de son licenciement et formulées dans un cadre extra-contractuel à l’encontre de la société-mère placée en procédure de faillite au Royaume-Uni.

Pour retenir la compétence internationale des juridictions françaises et se déclarer compétente pour connaître du litige, la Cour d’appel s’était fondée sur le Règlement du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000 relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Selon les juges du fond, l’article 5 de ce Règlement 44/2001 emportait cette compétence. En effet, le paragraphe 3 de celui-ci prévoit bien qu’« une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre » notamment « en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». Le salarié invoquant ici la responsabilité extra-contractuelle de la société anglaise, résultant pour lui du rôle de cette dernière dans la perte de son emploi, mais ne disposant d’un contrat de travail qu’avec la filiale française, le raisonnement semblait en effet cohérent, le fait dommageable – la perte de l’emploi – s’étant bien produit en France.

La compétence prud’homale pour cette action en responsabilité extra-contractuelle découlait quant à elle de l’article 6 du Règlement susvisé, prévoyant la possibilité d’attraire la personne domiciliée dans un autre État membre, et lorsqu’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

La Cour d’appel a, à ce sujet, relevé que les demandes du salarié tant à l’égard de la filiale française que de la société anglaise concernaient la rupture de son contrat de travail : il y avait bien lieu de les traiter ensemble devant la même juridiction du travail. Pour se déclarer compétente, la Cour d’appel avait cru pouvoir se fonder sur le fait que l’action en responsabilité extra-contractuelle dirigée contre la société anglaise n’impactait pas le fonctionnement de la procédure d’insolvabilité ouverte à son encontre, et constituait une action en responsabilité de droit commun, dépourvue de lien avec cette procédure anglaise.

Cette argumentation n’a pas été retenue par la Cour de Cassation. Cette dernière censure l’arrêt de la Cour d’appel : c’est bien au regard du Règlement du Conseil 1346/2000/CE du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité que la compétence judiciaire devait être déterminée dès lors que l’action en responsabilité est introduite dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité. Or, la procédure principale d’insolvabilité à l’encontre des filiales de la société anglaise, dont la filiale française, avait été ouverte par la Haute Cour de Justice anglaise en application du Règlement 1346/2000/CE précité. En conséquence, les juridictions françaises étaient incompétentes.

Ainsi, la Cour de Cassation juge que l’action en responsabilité délictuelle pour réparation du préjudice subi du fait des décisions qui ont contribué au licenciement en raison des restructurations opérées dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, est indissociable de celle-ci.

L’on notera que cet arrêt est rendu dans le contexte spécifique d’une procédure d’insolvabilité internationale. Bien évidemment, la question de la compétence du juge prud’homal français ne se poserait pas dans un contexte de procédure collective de droit français.

Pour autant, lorsque l’on a pratiqué la traditionnelle sévérité du juge du travail français vis-à-vis des groupes internationaux, l’on ne peut que se rassurer du fait que certaines actions échappent à sa compétence et tout particulièrement lorsque la société-mère étrangère fait elle-même l’objet d’une procédure d’insolvabilité.

Dans un autre registre, l’on peut s’interroger sur la manière dont ce type de problématique franco-anglaise sera traitée à l’avenir une fois que le Royaume-Uni sera sorti de l’Union Européenne et que les Règlements communautaires ne lui seront a priori plus opposables….

[1] Par exemple : Cass. Soc., 8 juillet 2014, trois arrêts, n°13-15.470 ; CA Amiens, 28 juin 2016, n°16/02344

[2] Cour de cassation, Chambre sociale, 10 Janvier 2017 – n° 15-12.284