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Publié le 30 janvier 2019 par Soulier Avocats

Publication de la Directive ECN+ visant à renforcer la politique européenne de concurrence

Depuis l’entrée en vigueur le 1er mai 2014 du Règlement 1/2003[1], les Autorités Nationales de Concurrence (ANC) des 27 Etats membres de l’Union Européenne et la Commission Européenne, forment le « réseau européen de concurrence » visant à garantir l’application des articles 101 et 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE)[2].

15 ans après l’entrée en vigueur de ce Règlement, il est apparu nécessaire de le prolonger aux fins d’uniformiser les statuts des ANC dans le but d’homogénéiser l’application du droit européen de la concurrence. Le 18 décembre 2018 a ainsi été publiée la Directive 2019/1[3] visant à doter les ANC des Etats membres des moyens de mettre œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.

1. Les constats réalisés

  • L’implication nationale des ANC dans la lutte contre la concurrence déloyale

L’application des articles 101 et 102 du TFUE est notamment réalisée par le réseau européen de la concurrence. De manière générale, la Commission Européenne intervient lorsque des pratiques ou accords anticoncurrentiels affectent la concurrence dans au moins trois Etats membres tandis que les ANC interviennent localement, lorsque la concurrence est affectée sur leur territoire.

L’importance des ANC dans la lutte contre la concurrence déloyale n’est plus à démontrer : « Elles [les ANC] connaissent très bien la façon dont les marchés fonctionnent dans leur État membre. Cette connaissance des marchés est précieuse pour la mise en œuvre des règles de concurrence. L’action au niveau national favorise un soutien en faveur de la mise en œuvre des règles de concurrence de la part de la société dans son ensemble. [4]»

  • L’ANC en France

En France, l’ANC a rendu en 2017[5] pas moins de 605 décisions et avis dont 307 avis concernant les professions réglementées, 236 décisions de contrôle des concentrations, 49 décisions contentieuses (pratiques anticoncurrentielles) et 13 avis. Le montant total des sanctions prononcées s’est élevé à hauteur de 497.803.200 euros.

Dans son rapport annuel de 2018, l’ANC française mentionnait, au titre des grandes perspectives à venir, le projet de Directive ENC+ en reconnaissant la nécessité de « lancer un vaste exercice de « remise à niveau » des pouvoirs des différentes autorités de concurrences nationales ».

  • Les difficultés des ANC

L’uniformisation des statuts des ANC de chaque Etat membre est apparue une nécessité aux fins d’homogénéiser l’application du droit européen de la concurrence puisque, selon les pouvoirs respectifs des ANC, cette application a pu être limitée voire restreinte.

En effet, « Les droits nationaux empêchent de nombreuses ANC de disposer des garanties d’indépendance, des ressources et des pouvoirs de coercition et de fixation d’amendes qui leur sont nécessaires pour mettre en œuvre efficacement les règles de l’Union Européenne », en conséquence « l’issue des procédures engagées contre les entreprises qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles [peut] s’avérer très différente selon l’Etat membre dans lequel elles exercent leurs activités »[6].

Le manque d’indépendance, de ressources et des pouvoirs confiés aux ANC entraînent « des occasions manquées d’éliminer les barrières à l’entrée sur le marché et de créer, partout dans l’Union, des marchés concurrentiels, plus équitables sur lesquels les entreprises peuvent se livrer concurrence sur la base de leurs métiers »[7].

  • L’adoption de la Directive ECN+

Fort de ce constat, un consensus européen s’est assez rapidement formé en vue de faire évoluer le statut des ANC.

En mai 2017, était adoptée la proposition de Directive visant à doter les autorités de concurrence des Etats membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur. Moins d’une année après, la Directive dite « ECN+ » a été adoptée le 11 décembre 2018 et a été publiée au Journal Officiel de l’Union Européenne le 14 janvier 2019.

Elle entrera en vigueur le 20ème jour de sa publication et devra être transposée, en droit interne, au plus tard le 4 février 2021.

2. Les principales avancées apportées par la Directive « ECN+ »

Les Etats membre ont désormais l’obligation de s’assurer que les ANC disposent des moyens nécessaires pour leur permettre de mettre en œuvre le droit européen de la concurrence.

Ainsi, les Etats membres doivent s’assurer que les ANC « disposent des garanties d’indépendance, des ressources et des pouvoirs de coercitions et de fixation d’amendes nécessaires à l’application effective des articles 101 et 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne »[8].

  • L’indépendance et les ressources

 L’article 4 de la nouvelle Directive « ECN+ » oblige les Etats membres à garantir que les ANC « s’acquittent de leurs fonctions et exercent leurs pouvoirs en toute impartialité ».

A cette fin, les ANC doivent pouvoir « fixer leurs priorités afin de s’acquitter des tâches nécessaires à l’application des articles 101 et 102 du TFUE » et surtout elles doivent avoir la possibilité de « rejeter les plaintes au motif qu’elles ne les considèrent pas comme une priorité ». Les ANC auront donc ainsi une totale autonomie pour apprécier de l’opportunité des poursuites.

En matière de ressources, la Directive fait obligation à chaque Etat membre de veiller à ce que « les ANC disposent d’un nombre suffisant de membres du personnel qualifiés ainsi que des ressources financières, techniques et technologiques suffisantes » afin de s’acquitter de leurs missions[9].

Les ANC devront, au minimum, pouvoir mener des enquêtes et prendre des décisions relatives à l’application des articles 101 et 102 du TFUE et également pouvoir coopérer étroitement au sein du réseau européen de la concurrence. En outre et en fonction du droit national, les ANC devront avoir la possibilité de donner des avis sur la législation nationale de la concurrence.

La Directive prévoit également que, pour réaliser leurs fonctions, les ANC devront pouvoir dépenser le budget qui leur est alloué « en toute indépendance ».

  • Pouvoirs

Les pouvoirs des ANC se trouvent renforcés aux termes des articles 6 à 12 de la Directive.

La Directive met à la charge des Etats membres le devoir de s’assurer que les ANC « soient en mesure de procéder à toutes les inspections inopinées nécessaires des entreprises et associations en vue de l’application des articles 101 et 102 » du TFE.[10] La nouvelle Directive détaille également les pouvoirs minimums qui devront être accordés aux agents des ANC pour mener à bien leurs missions (accéder aux locaux, contrôler tous documents relatifs à l’activité de l’entreprise, prendre copie ou extrait de renseignements à cette fin, apposer des scellés, etc.).

De manière pragmatique et constatant que « les documents liés à l’activité de l’entreprise sont parfois conservés au domicile de directeurs, de gérants et d’autres membres du personnel d’entreprises ou d’associations d’entreprises »[11] la Directive autorise désormais les agents des ANC à procéder à des « visites inopinées » au domicile de ces personnes[12]. Sur ce point, les ANC devront toutefois obtenir préalablement une autorisation judiciaire.

Les pouvoirs des ANC sont renforcés puisqu’après avoir constaté une infraction, la Directive oblige les Etats membres à s’assurer que les ANC « puissent obliger par voie de décision les entreprises et associations d’entreprises à mettre fin à cette infraction. A cette fin, elles peuvent leur imposer toute mesure corrective de nature structurelle ou comportementale proportionnée à l’infraction commise et nécessaire pour faire cesser définitivement l’infraction[13]»

En outre et en cas d’urgence « justifié par le fait qu’un préjudice grave et irréparable risque d’être causé à la concurrence » les ANC pourront agir d’office, de leur propre initiative[14].  

Enfin, favorisant la résolution amiable des litiges, la Directive impose aux Etats membres de veiller à ce que les ANC puissent – sous conditions – accepter « les engagements offerts par les entreprises ou associations d’entreprises, lorsque ces engagements sont de nature à répondre aux préoccupations exprimées par les ANC[15]»

  • Amendes et astreintes

 Les Etats membres doivent veiller à ce que les ANC « puisent soit infliger par voie de décision dans leur propre procédure de mise en œuvre, soit requérir dans une procédure judiciaire autre que pénale que soient infligées des amendes effectives, proportionnées et dissuasives aux entreprises et associations d’entreprises »[16]. Les actions des ANC deviennent ainsi plus dissuasives.

La Directive impose un montant maximal de l’amende pouvant être prononcée par une ANC calculé en fonction des ressources de l’entreprise ou de chaque membre ayant participé à une infraction. L’amende, ne pourra, en effet, être « inférieure à 10% du chiffre d’affaires mondial total de l’entreprise réalisé au cours de l’exercice social précédent la décision ». Si l’infraction est réalisée par une association d’entreprise, le montant maximum de l’amende ne pourra pas être inférieur à 10% de la somme du chiffre d’affaires mondial total réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction de l’association[17].

Enfin, la « Directive ECN+ » harmonise les « programmes de clémence » qui visent à inciter les entreprises à divulguer leurs participations à des ententes, en leur offrant la possibilité, par exemple, de réduire le montant de l’amende[18].

 

[1] Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité

[2] Les articles 101 et 102 du TFUE prohibent les ententes et abus de position dominantes.

[3] Directive (UE) n° 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des Etats membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur

[4] Extrait page 2 de la Proposition de Directive du Parlement Européen et du Conseil visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur – 22 mars 2017

[5] Rapport annuel 2018 de l’Autorité National de Concurrence publié en juin 2018

[6] Considérant 5 – Directive (UE) n° 2019/1

[7] Considérant 6 – Directive (UE) n° 2019/1

[8] Article 1 – Directive (UE) n° 2019/1

[9] Article 5 – Directive (UE) n° 2019/1

[10] Article 6 – Directive (UE) n° 2019/1

[11] Considérant 34 – Directive (UE) n° 2019/1

[12] Article 7 – Directive (UE) n° 2019/1

[13] Article 10 – Directive (UE) n° 2019/1

[14] Article 11 – Directive (UE) n° 2019/1

[15] Article 12 – Directive (UE) n° 2019/1

[16] Article 13 – Directive (UE) n° 2019/1

[17] Article 15 – Directive (UE) n° 2019/1

[18] Article 17 – Directive (UE) n° 2019/1