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Publié le 26 octobre 2021 par Laure Marolleau

Réchauffement climatique (« l’Affaire du siècle ») : l’État doit réparer le préjudice écologique avant le 31 décembre 2022

Pour la première fois, le 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a enjoint à l’État de réparer les conséquences de sa carence en matière de lutte contre le changement climatique. [1]

Le tribunal a ordonné que le dépassement du plafond des émissions de gaz à effet de serre fixé par le premier budget carbone (2015-2018) soit compensé au 31 décembre 2022 au plus tard.

Pour rappel, en mars 2019, les associations Oxfam France, Notre Affaire à tous, Fondation pour la Nature et l’Homme, et Greenpeace France ont introduit quatre requêtes devant le tribunal administratif de Paris pour carence fautive de l’État dans son action climatique.

Il était demandé au tribunal d’enjoindre au Premier ministre et aux ministres compétents de mettre un terme à l’ensemble des manquements de l’État à ses obligations en matière de lutte contre le changement climatique ou d’en pallier les effets, de réparer le préjudice écologique, et de condamner l’État à leur verser la somme symbolique d’un euro pour leur préjudice moral.

Il y a huit mois, le tribunal administratif de Paris avait condamné l’État pour sa carence partielle à respecter les objectifs qu’il s’était fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et ordonné un supplément d’instruction avant de statuer sur l’évaluation et les modalités de réparation concrètes de ce préjudice.

Se basant sur les travaux du GIEC et de l’ONERC, le tribunal administratif de Paris avait reconnu par un jugement du 3 février 2021 l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique. Il a également jugé que la carence partielle de l’État français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engageait sa responsabilité. [2]

Après avoir jugé pour la première fois que l’action en réparation du préjudice écologique prévue par le code civil était recevable et ouverte contre l’Etat, le tribunal a estimé que l’existence d’un tel préjudice se manifestait notamment par l’augmentation constante de la température globale moyenne de la Terre, responsable d’une modification de l’atmosphère et de ses fonctions écologiques.

Les juges ont ensuite examiné s’il existait un lien de causalité entre ce préjudice écologique et les différents manquements reprochés à l’État en matière de lutte contre le changement climatique. Ils ont retenu que l’État devait être regardé comme responsable d’une partie de ce préjudice dès lors qu’il n’avait pas respecté ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

S’agissant de la réparation du préjudice écologique, le tribunal a souligné qu’une telle réparation s’effectue prioritairement en nature, les dommages et intérêts n’étant prononcés qu’en cas d’impossibilité ou d’insuffisance des mesures de réparation. Il a rejeté pour ce motif les conclusions des associations requérantes tendant à la réparation pécuniaire de ce préjudice.

En revanche, le tribunal a considéré que les requérantes étaient fondées à demander la réparation en nature du préjudice écologique causé par le non-respect des objectifs fixés par la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Afin de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’État pour réparer le préjudice causé ou prévenir son aggravation, les juges ont prononcé un supplément d’instruction.

Il restait donc à statuer sur l’évaluation et les modalités de réparation concrètes de ce préjudice.

Par son jugement rendu le 14 octobre 2021, le tribunal indique tout d’abord qu’il lui revient de vérifier si le préjudice né du dépassement du premier budget carbone perdure et s’il a déjà fait l’objet de mesures de réparation à la date du jugement. En revanche, il ne lui appartient pas de se prononcer, ainsi que le demandaient les associations, sur le caractère suffisant de l’ensemble des mesures susceptibles de permettre d’atteindre l’objectif de réduction de 40 % des gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 1990, cette question ayant été examinée par le Conseil d’État dans sa décision du 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe.[3]

Le tribunal relève ensuite que le plafond d’émissions de gaz à effet de serre fixé par le premier budget carbone pour la période 2015-2018 a été dépassé de 62 millions de tonnes « d’équivalent dioxyde de carbone » (Mt CO2eq). L’évaluation du préjudice se faisant à la date du jugement, le tribunal relève que la réduction substantielle des émissions de gaz à effet de serre en 2020[4], bien que liée de façon prépondérante aux effets de la crise sanitaire de la covid-19 et non à une action spécifique de l’État, doit être prise en compte en tant qu’elle permet, pour partie, de réparer le préjudice. En définitive, le tribunal constate que le préjudice perdure à hauteur de 15 Mt CO2eq.

S’agissant des modalités de réparation du préjudice, le tribunal ordonne au Premier ministre et aux ministres compétents « de prendre toutes les mesures sectorielles utiles de nature à réparer le préjudice à hauteur de la part non compensée d’émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone ». Le tribunal ajoute que le contenu de ces mesures relève de la libre appréciation du gouvernement à laquelle il ne lui appartient pas de se substituer.

Le tribunal précise que le préjudice écologique né d’un surplus d’émissions de gaz à effet de serre présente un caractère continu et cumulatif dès lors que le dépassement du premier budget carbone a engendré des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, qui s’ajouteront aux précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans.

Par conséquent, la réparation de ce préjudice implique non seulement l’adoption de mesures propres à le faire cesser mais également que celles-ci soient mises en œuvre dans un délai suffisamment bref pour prévenir l’aggravation des dommages constatés.

Le tribunal ordonne en conséquence que la réparation du préjudice constaté de 15 MtCo2eq soit effective au 31 décembre 2022 au plus tard et juge qu’il n’y a pas lieu à ce stade d’assortir cette injonction d’une astreinte.


[1] http://paris.tribunal-administratif.fr/Actualites-du-Tribunal/Communiques-de-presse/L-Affaire-du-Siecle-l-Etat-devra-reparer-le-prejudice-ecologique-dont-il-est-responsable

[2] http://paris.tribunal-administratif.fr/Actualites-du-Tribunal/Communiques-de-presse/L-affaire-du-siecle

[3] https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-le-gouvernement-doit-justifier-sous-3-mois-que-la-trajectoire-de-reduction-a-horizon-2030-pourra-etre-respectee

[4] Au 28 juillet 2021, les émissions de gaz à effet de serre devraient s’établir à 396 Mt CO2eq pour l’année 2020, soit une différence de l’ordre de 40 Mt CO2eq au regard de la part annuelle indicative fixée à 436 Mt CO2eq.