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Publié le 1 décembre 2012 par Soulier Avocats

Sodimedical : la saga judiciaire d’une fermeture D’usine

L’affaire dite SODIMEDICAL, du nom de la filiale française en cause dans ce qui est devenu une saga judiciaire, est sans nul doute l’exemple parfait des situations ubuesques dans lesquelles peuvent se trouver certaines sociétés lors de contestations de licenciements économiques.

Elle donne à réfléchir car, pour l’heure, sa conclusion semble promouvoir les solutions radicales les plus pénalisantes pour les salariés.

 1.  L’historique 

En avril 2010, le groupe allemand LOHMANN ET RAUSCHER, à qui appartient la société française SODIMEDICAL, décide de fermer sa filiale du fait de graves difficultés économiques. 

SODIMEDICAL est une entité entièrement dédiée à la production, les activités commerciales et administratives étant regroupées au sein de LOHMANN ET RAUSCHER France, sa maison-mère, elle-même détenue à 100% par LOHMANN ET RAUSCHER GERMANY. 

La filiale française compte 140 salariés. La fermeture est annoncée, un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) est négocié.

Le 30 juillet 2010 , le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Troyes l’annule en raison de ses insuffisances mais également en considérant que c’est en raison d’un choix délibéré du groupe que la filiale française est en difficulté, celle-ci ayant été mise en concurrence avec les autres structures de production du groupe, notamment celles basées dans des pays à faible coût de main d’œuvre. 

Une nouvelle version du PSE est présentée en octobre 2010. Il sera lui aussi porté devant le TGI de Troyes, qui l’annulera une nouvelle fois par jugement en date du 4 février 2011. 

L’annulation de ce second PSE sera motivée cette fois par l’absence de cause économique, ouvrant ainsi une possible brèche dans les procédures de licenciement économique, qui permettrait alors au juge civil de faire un contrôle a priori du motif économique, une nouvelle sorte d’autorisation préalable du licenciement économique, confiée non plus à l’administration du travail comme par le passé, mais au juge. 

Cette tentative poursuivie dans l’affaire Vivéo (cf. notre e-newsletter de juin 2012), a échoué, la chambre sociale ayant refusé de voir dans l’absence de motif économique une cause de nullité du Plan de Sauvegarde de l’Emploi et, en conséquence, des licenciements prononcés dans son cadre.

Il est à noter qu’en dernier lieu, le PSE proposé par SODIMEDICAL intègre un congé de reclassement de 9 mois, ainsi qu’une indemnité complémentaire de licenciement, versée en sus des indemnités légales, d’un montant de 30.000 euros pour chacun des salariés. 

Ces propositions ont été considérées comme « humiliantes » par le comité d’entreprise. 

La société a engagé le processus en avril 2010, mais elle est toujours dans l’impossibilité de procéder aux licenciements 9 mois après.

Le 5 janvier 2011, elle demande donc l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire. Il sera rappelé que la déclaration de cessation des paiements doit être déposée au greffe du tribunal de commerce dans un délai maximum de 45 jours suivant la date de cessation des paiements (article L.631-4 du code de commerce). La déclaration est obligatoire ; à défaut, il s’agit d’une faute de gestion dont le dirigeant pourra être tenu responsable. 

Le Tribunal de Commerce de Troyes, puis la Cour d’Appel de Reims suivent l’esprit des décisions du TGI en refusant purement et simplement la procédure collective au motif que « cette société ne dispose pas de la moindre autonomie par rapport à la maison-mère dont elle n’est en fait qu’une unité de production et que la demande d’ouverture d’une procédure collective constitue en fait un détournement de procédure permettant de s’exonérer des prescriptions du Code du travail ». 

On oublie semble-t-il que l’entreprise a été mise dans l’impossibilité de remplir ses obligations selon les règles prévues par le Code du travail puisque le comité d’entreprise a considéré que les propositions étaient « humiliantes », démontrant ainsi le caractère particulièrement subjectif de l’appréciation de la réparation du préjudice lié à la perte de l’emploi. Subjectivité liée au fait que les mesures d’accompagnement doivent être à la hauteur des moyens de l’entreprise et du groupe auquel elle appartient.

Deux autres demandes d’ouverture de procédure de liquidation judiciaire seront rejetées. 

Octobre 2011 : la société ne peut toujours pas licencier et elle ne peut pas plus faire constater son état de cessation des paiements. 

La société n’a plus aucune activité, mais les rémunérations sont dues puisque les contrats de travail n’ont pu être rompus. La société ayant cessé de verser les rémunérations faute de finances, les salariés ont obtenu la condamnation de la maison-mère française à régler lesdits salaires. 

Cette société a alors sollicité une procédure de sauvegarde[1] afin de préserver sa propre pérennité, une telle condamnation la mettant en péril. La condamnation n’ayant pu être exécutée du fait de la sauvegarde judiciaire, les salariés se sont alors retournés vers la maison-mère allemande de la maison-mère française, afin d’obtenir les rémunérations de ces périodes.

 2.  L’issue

La décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 3 juillet 2012 a enfin mis un terme à cette saga judiciaire, définitivement close le 28 septembre 2012 par un arrêt de la Cour d’Appel de Reims confirmant la liquidation judiciaire de SODIMEDICAL. Une quarantaine de procédures et deux ans et demie après l’engagement de la procédure de licenciement…

La chambre commerciale a rendu une décision qui était fort attendue dans le contexte général de mise en cause de sociétés mères de sociétés françaises désireuses de procéder à des licenciements pour motif économique ou à une fermeture. La chambre sociale a en effet notamment invoqué le co-emploi (en cas de confusion d’intérêts, d’activité et de direction) et la légèreté blâmable de la société pour mettre en cause la responsabilité des décideurs à l’origine des fermetures et des licenciements économiques. Ces mises en cause n’ont eu « que » des conséquences financières de par une indemnisation complémentaire des salariés.

La procédure engagée par les salariés de SODIMEDICAL visait à aller plus loin en bloquant le processus dès son origine, pour tenter de contraindre le groupe à maintenir l’activité, et donc les emplois, en France ou à défaut à le faire participer financièrement à un niveau que les salariés jugeraient acceptable.

L’action engagée devant le Tribunal de Commerce visait à laisser le juge libre d’apprécier un possible juste motif dans le cadre de la demande d’ouverture de procédure collective.

La Cour d’Appel de Reims avait en effet rejeté la demande d’ouverture de procédure collective au motif que le passif échu était majoritairement constitué du compte courant de la maison-mère, que le groupe avait décidé de ne plus soutenir sa filiale qui n’avait aucune autonomie et que la position de SODIMEDICAL était incohérente puisqu’elle prétendait être en cessation des paiements alors qu’elle avait proposé à chacun de ses salariés une indemnité complémentaire de rupture de 20.000 euros à l’époque. Pour les juges, il s’agissait d’un détournement de procédure, la demande ayant pour seul but, après l’échec de plusieurs plans de sauvegarde de l’emploi, de permettre des licenciements économiques et de les faire prendre en charge par la collectivité. 

La chambre commerciale répond très explicitement : l’état de cessation de paiement est caractérisé objectivement, et pour chaque société d’un groupe. En conséquence, le juge saisi d’une demande d’ouverture de procédure collective ne peut la rejeter en raison des mobiles du débiteur qui est légalement tenu de déclarer cet état.

La cessation de paiement est en effet définie par l’article L.631-1 du code de commerce comme étant l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible. Il s’agit donc d’un état de fait dans lequel les mobiles réels ou supposés du débiteur ne peuvent être pris en compte par le juge qui ne dispose d’aucune liberté d’appréciation en la matière.

 3. Conclusion 

Faut-il en tirer la conclusion qu’en France il est maintenant préférable de déposer le bilan que de licencier ? 

Nul doute que cette conclusion serait hâtive. 

Nul doute non plus qu’il est inquiétant et très grave – aussi bien pour les salariés que pour les entreprises – d’être amenés à se poser cette question qui vient aujourd’hui automatiquement à l’esprit, du fait des contraintes majeures de notre législation et de notre jurisprudence en matière de licenciements économiques. 

La procédure collective n’en est pas autant la solution miracle pour cesser une activité en France. 

Il ne faut pas oublier qu’une procédure collective peut faire l’objet d’une extension à une autre société du groupe. Selon l’article L.621-2 du code de commerce, il n’y a que deux causes d’extension de procédure : la fictivité d’une personne morale et la confusion des patrimoines. Une société est fictive dès lors qu’il s’agit d’une société de façade créée de manière artificielle sans aucune autonomie juridique ni fonctionnement propre. Pour ce qui est de la confusion des patrimoines, la jurisprudence utilise en réalité deux critères : l’imbrication inextricable des comptes et des relations financières anormales. Ce pourra être le cas s’il est constaté des apports financiers sans contrepartie ou à l’avantage systématique d’une des sociétés et résultant du détournement des ressources de l’une envers l’autre.

Les sociétés mères peuvent également être mises en cause par une action en responsabilité pour insuffisance d’actif intentée par les créanciers. 

Comme nous l’avions évoqué dans notre e-newsletter de janvier 2012 relative au co-emploi, la précaution élémentaire pour les groupes est d’avoir des filiales françaises autonomes en termes d’organisation, de prise de décision, et de gestion. A défaut, les maisons mères se verront mises à contribution. 

Il est très certainement regrettable que la collectivité ait à supporter le coût de telles fermetures d’entreprise. Mais il nous faut bien admettre que lorsqu’une entreprise n’a plus d’activité, donc plus de revenus, mais qu’il lui est interdit de licencier son personnel, il lui faut bien trouver une issue. Issue que la chambre commerciale a maintenue, creusant ainsi le fossé qui la sépare de la chambre sociale. 

Mais à l’heure où le législateur français est amené à réfléchir sur les licenciements économiques et où l’hypothèse d’une possible interdiction des licenciements dits boursiers est évoquée, cette décision de la chambre commerciale a le mérite à notre sens de faire apparaître les limites des évolutions jurisprudentielles des dernières années et des possibilités d’interprétation des juges. Le législateur se devrait de faire en sorte que de tels blocages et de telles situations ubuesques ne deviennent pas la norme. 

Il semble donc évident que le législateur est le seul à pouvoir agir pour diminuer l’incertitude juridique majeure qui pèse sur tous les licenciements économiques en France. Cette incertitude juridique est pénalisante pour tous, salariés comme entreprises. Il y a urgence à clarifier la donne en la matière. 

 


[1] L’ouverture de la procédure de sauvegarde permet la suspension des poursuites des créanciers et le gel du passif antérieur du débiteur afin de permettre la réorganisation de l’entreprise.