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Publié le 1 mars 2013 par Soulier Avocats

Un nouvel encadrement de la procédure des grands licenciements collectifs en perspective

Avis de tempête – ou feu d’artifice annoncé – sur le droit du licenciement pour motif économique français : transposant l’article 20 de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013[2], l’article 13 du projet de loi de sécurisation de l’emploi présenté le 6 mars 2013 en Conseil des ministres détaille les modalités de ce qui devrait constituer une profonde refonte de la procédure des grands licenciements collectifs.[1]

Malheureusement, il est permis d’avoir un doute sur l’exacte transposition par le législateur de l’esprit de « flexisécurité » qui animait pourtant les rédacteurs de l’ANI… 

Ainsi, dès le 1er juillet 2013 (date d’entrée en vigueur prévue), dans une entreprise d’au moins 50 salariés, l’employeur qui envisagera au moins 10 licenciements économiques sur une période de 30 jours (et donc tenu de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi) devrait désormais être soumis à l’obligation de (1): 

•        conclure un accord collectif majoritaire, ou

•        établir un document unilatéral homologué par l’administration. 

L’idée est ainsi que l’employeur ne se retrouve plus tout seul dans l’élaboration de la procédure de licenciement collectif : les syndicats et l’administration deviendraient ses partenaires privilégiés. 

La consultation du comité d’entreprise serait plus encadrée dans le temps et le champ de la consultation dans certains cas cantonné, même si l’essentiel est maintenu (2). 

Dans le cadre de ce nouveau dispositif, l’administration tiendrait un rôle prépondérant (3).

Il est également prévu des dispositions spécifiques applicables dans les hypothèses de liquidation et de redressement judiciaires (4). 

Une réforme ambitieuse qui, tout en cherchant à répondre aux attentes des employeurs en matière de sécurisation et de raccourcissement des procédures, risque de générer en réalité une certaine lourdeur dans la mise en place du dispositif. 

1. L’obligation de négocier un accord collectif majoritaire ou d’établir un document unilatéral 

  • La négociation d’un accord collectif majoritaire 

Cet accord serait signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants. 

Le projet de loi prévoit expressément que cet accord collectif porterait obligatoirement sur le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et pourrait également porter sur:

 – les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise;

 – la pondération et le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements     mentionnés;

 – le calendrier des licenciements

 – le nombre de suppressions d’emploi et les catégories professionnelles concernées;

 – les modalités de mise en œuvre des mesures d’adaptation et de reclassement. 

Aux termes du projet de loi, il ne pourrait être dérogé dans cet accord :

 – à l’obligation d’effort de formation, d’adaptation et de reclassement incombant à l’employeur;

 – à l’obligation pour l’employeur de proposer aux salariés le contrat de sécurisation professionnelle;

 – à la communication aux représentants du personnel des renseignements utiles pour le projet de licenciement;

 – aux règles de consultation applicables lors d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire.

  •  Ou l’établissement d’un document unilatéral 

A défaut d’accord, le contenu du PSE serait fixé et les éléments visés ci-dessus seraient précisés dans un document élaboré par l’employeur après la dernière réunion du comité d’entreprise[3], dans le cadre des dispositions légales et conventionnelles en vigueur. 

2.     La procédure de consultation du comité d’entreprise 

En cas d’accord collectif majoritaire comme en cas de document unilatéral, l’employeur n’échapperait pas à l’obligation de consulter le comité d’entreprise sur l’opération projetée et ses modalités d’application conformément à l’article L. 2323-15 du Code du travail. 

En revanche, en cas d’accord collectif majoritaire, le comité d’entreprise n’aurait pas à être consulté sur le projet de licenciement collectif, c’est-à-dire sur le nombre de suppressions d’emploi, les catégories professionnelles concernées, les critères d’ordre et le calendrier prévisionnel des licenciements, et les mesures d’accompagnement prévues dans le PSE. Le comité d’entreprise ne serait en effet consulté sur ces points qu’en cas d’établissement d’un document unilatéral. Cette différence de régime s’expliquerait par le fait que l’ensemble de ces points ont vocation à être inclus dans l’accord collectif majoritaire. 

Toutefois, une ambigüité peut être soulevée: on peut se poser la question de savoir ce qu’il en sera si les points précités ne sont pas prévus dans l’accord collectif puisque le projet de loi ne prévoit qu’une possibilité et non une obligation de les insérer dans l’accord…

Le Comité d’entreprise devrait tenir au minimum 2 réunions espacées d’au moins 15 jours. Il devrait donner ses deux avis en respectant le délai suivant: 

  • deux mois lorsque le nombre de licenciements est inférieur à 100,
  • trois mois lorsqu’il est compris entre 100 et 249,
  • quatre mois lorsqu’il est égal ou supérieur à 250.

Un apport intéressant du projet est qu’en l’absence d’avis du comité d’entreprise dans ces délais, le comité d’entreprise serait réputé avoir été consulté, ce qui permettrait de mettre fin à certaines dérives existantes consistant pour les comités d’entreprise à refuser de rendre leur avis pour gagner du temps. 

3.     Le rôle prépondérant de l’administration dans la nouvelle procédure 

  • Intervention tout au long de la procédure de négociation de l’accord collectif ou d’établissement du document unilatéral 

Le projet de loi prévoit une possibilité d’intervention à tout moment par l’administration qui pourrait émettre toute observation ou proposition concernant le déroulement de la procédure ou les mesures de reclassement. En cas d’observations émises par l’administration, l’employeur serait soumis à l’obligation d’adresser une réponse motivée. Le comité d’entreprise et les syndicats représentatifs dans l’entreprise (le cas échéant) recevraient copie de ces échanges. 

  • Nécessité d’obtenir la validation de l’accord collectif ou l’homologation du document unilatéral 

L’administration validerait l’accord collectif majoritaire ou homologuerait le document unilatéral établi par l’employeur, après s’être assuré de sa conformité, de la régularité de la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise ainsi que de la présence dans le PSE des mesures devant être prévues.

La validation de l’accord par l’administration devrait, aux termes du projet de loi, intervenir dans les huit jours suivant la réception de l’accord. Dans le cas d’établissement d’un document unilatéral, l’administration disposerait d’un délai de 21 jours pour prendre une décision d’homologation. 

A défaut, en cas de décision de refus de validation ou d’homologation, le projet de loi prévoit expressément que l’employeur qui souhaiterait malgré tout poursuivre son projet, devrait présenter une nouvelle demande de validation ou d’homologation après y avoir apporté les modifications nécessaires et consulté le comité d’entreprise. 

L’employeur qui procèderait tout de même aux licenciements sans avoir obtenu la validation expresse ou tacite (silence gardé pendant le délai prévu) de l’accord ou l’homologation du document unilatéral, s’exposerait au risque de voir déclarer les licenciements nuls. 

Il est à noter que, dans un souci de simplification de la procédure, le projet de loi instaure un délai unique de 30 jours – courant à compter (i) de la notification par l’administration de la décision de validation de l’accord majoritaire ou d’homologation du document unilatéral, ou (ii) de l’expiration des délais impartis à l’autorité administrative pour se prononcer – pour notifier les licenciements. Les différents délais de notification actuels, qui varient en fonction du nombre de licenciements et selon que le comité d’entreprise a recouru ou non à un expert-comptable, seraient donc supprimés. 

Il faut également souligner que le projet de loi crée un bloc de compétence au profit de la juridiction administrative pour toute contestation portant sur la procédure de licenciement de 10 salariés et plus dans les entreprises d’au moins 50 salariés et sur le PSE. Il s’agirait d’une procédure accélérée spécifique. 

Ainsi, l’accord collectif majoritaire, le document élaboré par l’employeur, le contenu du PSE, les décisions prises par l’administration dans le cadre de la procédure et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne pourraient pas faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la décision administrative de validation ou d’homologation. 

Les juridictions de l’ordre judiciaire n’auraient donc plus aucune compétence en la matière. Elles conserveraient uniquement le contentieux des motifs du licenciement. 

L’objectif recherché du nouveau dispositif est en effet de limiter les risques d’annulation a posteriori, notamment pour des raisons de pure forme, et – en apparence – de raccourcir les délais de mise en œuvre. 

4.     Dispositions spécifiques applicables dans les hypothèses de procédures collectives 

Des adaptations aux règles précitées seraient prévues en cas de redressement et de liquidation judiciaires. Les articles L. 1233-58, L. 3253-8 et L. 3253-13 du Code du travail seraient modifiés en conséquence ainsi que certaines dispositions du Code de commerce. 

D’une part, pour la mise en œuvre des licenciements, il appartiendrait à l’employeur, à l’administrateur ou au liquidateur, selon le cas, de négocier un accord majoritaire avec les organisations syndicales ou, à défaut, d’élaborer unilatéralement un document dans les conditions décrites précédemment. 

D’autre part, les délais impartis à l’administration pour se prononcer seraient ramenés à 8 jours en cas de redressement et 4 jours en cas de liquidation judiciaire. 

Certes, ce projet de nouvel encadrement de la procédure des grands licenciements collectifs va dans le sens d’une sécurisation des décisions de l’employeur dans la mesure où les possibilités de recours judiciaires seraient limitées. 

Cependant, du fait de l’introduction des organisations syndicales dans le processus de décision de licenciement collectif (ce qui revient de fait à leur demander de valider les licenciements), on voit pointer le risque d’un allongement des délais de négociation et au final d’alourdissement de la procédure.

Par ailleurs, on peut se demander si l’administration  – qui devra rendre une décision de validation des accords ou d’homologation des documents unilatéraux – saura se montrer plus pragmatique que nos juges judiciaires… 

Alors cette réforme va-t-elle permettre d’atteindre l’objectif gouvernemental annoncé de « flexisécurité » ? Sécurisation, sans-doute[4] mais flexibilité…on en doute !

 


[1] En collaboration avec Nisrin Kabssi, élève-avocat

[2] Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés qui avait pour objectif de constituer la fameuse « flexisécurité » à la française.

[3] A noter qu’actuellement le PSE doit être présenté au comité d’entreprise dès la première réunion

[4] Et encore… à condition que le législateur et l’administration viennent apporter certaines précisions fort nécessaires pour la mise en œuvre en pratique du dispositif…