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Publié le 1 août 2014 par Soulier Avocats

Absence d’obligation pour la victime de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable

Par arrêt du 2 juillet 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence, en énonçant à nouveau le principe selon lequel « l’auteur d’un dommage doit en réparer toutes les conséquences et la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable », y compris lorsque ce préjudice est de nature économique.

La Haute juridiction s’oppose ainsi à une majorité de la doctrine qui milite depuis de nombreuses années en faveur de l’adoption par les juridictions et législateurs français du concept de droit anglo-américain dit de « duty to mitigate damages ».

En l’espèce, une SCI, ayant son siège social à Pau, a, par acte notarié en date du 30 octobre 2006, acquis en l’état futur d’achèvement un logement dépendant d’une résidence à construire à la Réunion.

Cet investissement a été présenté par les notaires et promoteurs-vendeurs intervenant à la vente comme entrant dans les prévisions de l’article 199 undecies A du code général des impôts au titre de certains investissements réalisés outre-mer par les personnes physiques.

Les associés et cogérants de la SCI, ayant imputé sur leurs revenus personnels des années 2006 et 2007 la réduction d’impôt prévue par ce texte, se sont vus notifier par l’administration fiscale une proposition de rectification motivée par l’absence de transparence fiscale de la SCI.

Informés par l’administration de la faculté d’opter pour la déduction au titre de l’amortissement prévue en matière de calcul des revenus fonciers, les associés de la SCI ont refusé d’opter pour cet autre régime fiscal et ont réglé les rappels d’impôts sur le revenu, puis assigné en responsabilité pour manquement à leur devoir de conseil, outre les promoteurs-vendeurs, les deux sociétés de notaires qui avaient prêté leur concours à la vente.

La Cour d’Appel de Pau, dans un arrêt du 7 février 2013, a condamné solidairement les sociétés notariales et l’assureur de l’une d’elles à réparer le préjudice économique subi par les associés de la SCI, en conséquence du manquement à leur devoir de conseil.

Les notaires ont formé un pourvoi en cassation, soutenant que la Cour d’appel aurait violé l’article 1382 du code civil en ne retenant pas que la victime qui « n’adopte pas les mesures raisonnables de nature à prévenir la réalisation de son dommage » commet une faute de « nature à supprimer ou réduire son indemnisation ».

Les demandeurs au pourvoi reprochaient notamment aux associés de la SCI de ne pas avoir accepté le dispositif fiscal proposé par l’administration, lequel aurait pu prévenir, en partie, la réalisation du préjudice.

La Haute juridiction a, au visa de l’article 1382 du code civil, rejeté le pourvoi ainsi formé, au motif que « l’auteur d’un dommage doit en réparer toutes les conséquences et que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ».

Ce faisant la Cour de cassation s’inscrit dans la droite ligne de sa jurisprudence, initiée par deux arrêts du 19 juin 2003[1] ayant consacré le principe ci-dessus énoncé.

Dans un premier arrêt n°01-13.289, la deuxième chambre civile avait jugé que la victime d’un accident de la route n’avait pas l’obligation de se soumettre aux actes médicaux préconisés par ses médecins, quand bien même ces traitements auraient pu amoindrir la portée des troubles psychiques dont elle demandait réparation.

Dans la deuxième affaire jugée le 19 juin 2003, la Cour de cassation a censuré une décision de la Cour d’Appel d’Amiens qui avait rejeté la demande d’une victime d’un accident de la route, en réparation du préjudice qui résultait de la perte d’un fonds de commerce de boulangerie. Les juges du fond censurés avaient décidé de sanctionner la faute de la victime en considérant qu’elle aurait dû faire exploiter le fonds par un tiers pendant sa convalescence, pour éviter la perte de valeur du fonds.

La majorité de la doctrine a dénoncé une position de la Cour de cassation qui incitait la victime à l’insouciance et à la négligence, en l’invitant notamment à laisser impunément s’aggraver un préjudice économique[2], regrettant que les Hauts magistrats ne soient pas influencés par le droit anglo-saxon qui admet l’obligation pour la victime de minimiser son dommage, dans le but de responsabiliser la victime en lui imputant une faute en cas d’absence de minimisation de son préjudice.

La doctrine a cru un temps que la Cour de cassation n’adopterait pas un tel principe en cas de responsabilité contractuelle ou lorsque le préjudice à réparer serait de nature matérielle, en espérant que les décisions du 19 juin 2003 ne fassent pas jurisprudence, surtout concernant le préjudice économique.

Ces espoirs ont notamment été nourris par quelques arrêts de la Cour de cassation interprétés comme étant annonciateurs d’un revirement de jurisprudence.

Ainsi, dans un arrêt du 22 janvier 2009, la Cour de cassation a évoqué la notion de « gestion raisonnable » des conséquences dommageables par la victime[3] et dans un arrêt du 19 mai 2009, la Haute juridiction avait implicitement suggéré qu’une obligation de minimiser le dommage incombait à la victime[4].

Le revirement de jurisprudence n’aura pas lieu.

La Cour de cassation a réaffirmé depuis lors, et notamment dans son arrêt du 2 juillet 2014, son refus d’imputer à la victime une obligation de réduire son préjudice.

Ainsi, la victime n’est pas tenue d’amoindrir son dommage, qu’il s’agisse d’un dommage corporel[5], économique[6] ou matériel[7], et que la responsabilité civile de l’auteur du dommage soit de nature contractuelle[8] ou délictuelle[9].

En rendant son arrêt du 2 juillet 2014, la Cour de cassation démontre l’intangibilité de sa jurisprudence, et ce, malgré les projets de réforme du droit français des obligations, tel que l’avant-projet Catala qui proposait l’insertion dans le Code civil d’un article disposant que « Lorsque la victime avait la possibilité, par des moyens sûrs, raisonnables et proportionnés, de réduire l’étendue de son préjudice ou d’en éviter l’aggravation, il sera tenu compte de son abstention par

 


[1] Cass. Civ. 2è, 19 juin 2003 n°00-22.302 ; Cass. Civ. 2è, 19 juin 2003, n°01-13.289

[2] Patrice Jourdain, RTD Civ. 2012 p.324 et Petites Affiches, 17 octobre 2003, n°2008 p.16

[3] Cass. Civ. 2è, 22 janvier 2009, n°07-20.878

[4] Cass. Civ. 3è, 19 mai 2009, n°08-16.002

[5] Cass. Civ. 2è, 19 juin 2003 n°00-22.302 

[6] Cass. Civ. 2è, 19 juin 2003 n° 01-13.289

[7] Cass. Civ. 2è, 24 novembre 2011, n°10-25.635

[8] Cass. Civ. 3è, 2 octobre 2013, n° 12-13.851

[8] Cass. Civ. 2è, 2 juillet 2014, n°13-17.599