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Publié le 1 décembre 2010 par Soulier Avocats

Au fil de l’évolution jurisprudentielle, l’obligation de résultat en termes de sécurité expose l’entreprise à des risques quotidiens croissants

L’année 2010 a été ponctuée par un certain nombre de décisions de jurisprudence relatives à l’obligation de sécurité pesant sur tout employeur. Il en ressort que les entreprises voient de plus en plus souvent leur responsabilité engagée sur ce terrain, et que la Cour de Cassation est de plus en plus sévère dans son approche de l’étendue des obligations pesant sur l’entreprise.

Nous rappellerons qu’en termes de sécurité l’entreprise  a bien une obligation de résultat et non une simple obligation de moyens.

La Cour de Cassation a posé le principe selon lequel « en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. » (Cass.soc. 28 février 2002)

Dès lors que l’employeur manquera à cette obligation, la faute inexcusable pourra être retenue. La qualification de faute inexcusable permet au salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle d’obtenir une réparation complémentaire ; celui-ci a donc tout intérêt à demander la reconnaissance de cette faute inexcusable.

Nous allons constater que depuis les arrêts de principe de février 2002, l’obligation de sécurité est entendue de plus en plus strictement et que l’entreprise est de plus en plus exposée à voir sa responsabilité engagée sur cette base.

1.  Les arrêts n°08-44.019  et 08-40.144 du 3 février 2010 – Harcèlement moral et violence au travail

Ces arrêts marquent une nouvelle évolution de la Cour de cassation qui affirme que l’employeur, « tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel ou de violences physiques ou morales exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements ».

Nulle mention d’une quelconque faute de l’employeur : la réalisation du risque suffit à engager sa responsabilité. L’employeur, tenu en matière de harcèlement moral ou sexuel à une obligation de prévention (article L.1152-4 du code du travail), a été jugé responsable. Si le risque s’est réalisé, c’est nécessairement que les mesures de prévention étaient inexistantes ou insuffisantes. 

2.  L’arrêt n° 08-44.298 du 17 février 2010 – Stress au travail

Dans cette affaire, une secrétaire commence à se plaindre de la dégradation de ses conditions de travail, notamment au cours de son entretien annuel d’évaluation à l’issue duquel elle fait un malaise. Quelques mois plus tard, après avoir enregistré la suspension d’une formation qu’elle avait sollicitée et un refus de mutation, la salariée se trouve en arrêt maladie pour cause de névrose traumatique, l’altération de sa santé étant liée à la dégradation de ses conditions de travail et aux pressions imposées par la restructuration de l’entreprise. Cas typique de stress au travail. Il s’en suit un avis d’inaptitude à tout poste dans l’entreprise et un licenciement du fait d’une impossibilité de reclassement.

La salariée invoque devant les tribunaux le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité sur le fondement de l’article L.4121-1 du code du travail qui disposait alors : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

  1. Des actions de prévention des risques professionnels;
  2. Des actions d’information et de formation ;
  3. La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »

La Cour de Cassation lui donne raison et précise que « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité. »

L’employeur, alerté à plusieurs reprises par la salariée n’avait pris aucune mesure spécifique pour résoudre les difficultés qu’elle avait exposées ; il avait donc nécessairement manqué à ses obligations.

3. L’arrêt n° 09-40.913 du 5 octobre 2010 – Absence de visite médicale d’embauche

Un salarié est embauché sans qu’il bénéficie de la visite médicale d’embauche prévue à l’article L. 4624-10 du code du travail.

Il réclame et obtient des dommages et intérêts de ce fait, quand bien même il ne justifie d’aucun préjudice de ce chef, la Cour de Cassation rappelant que l’employeur est tenu d’assurer l’effectivité de la sécurité des salariés et qu’en conséquence, « le manquement de l’employeur causait nécessairement au salarié un préjudice ».

4.  L’arrêt n° 09-17.275 du 18 novembre 2010 – Faute inexcusable pour une tendinite

Une salariée affectée au service des repas dans un hôpital, développe une tendinite du poignet en conséquence des gestes répétitifs et des charges manipulées. Sa tendinite est reconnue maladie professionnelle avec un taux d’incapacité permanente de 2%.

Elle saisit les tribunaux en vue de faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur et obtenir ainsi une indemnisation complémentaire.

L’employeur se défendait d’avoir pu avoir une quelconque conscience d’un danger au titre d’une manutention prolongée des plateaux, en l’absence de toute mise en garde du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail ainsi que du médecin du travail.

Pour la Cour de Cassation, les principes de prévention posés par le code du travail dans les articles R.4541-1 et suivants « imposent à l’employeur de prendre les mesures d’organisation appropriées ou d’utiliser les moyens adéquats pour éviter le recours à la manutention manuelle comportant des risques pour les travailleurs en raison de la charge ou des conditions ergonomiques défavorables. » Ces dispositions visant toute manutention manuelle comportant un risque pour le salarié, elles s’appliquaient donc au cas de tendinite développée par la salariée. De ce fait, l’employeur ne pouvait pas nier sa connaissance du risque ; dès lors la faute inexcusable était reconnue.

5. Arrêt n° 08-70.390 du 30 novembre 2010 – Mise à disposition d’un équipement de protection individuelle

Un intérimaire engagé le 29 mars en qualité de soudeur est déclaré inapte à son poste le 17 juin par le médecin du travail, dans le cadre d’une surveillance renforcée. Le salarié a été contaminé au chrome, sans pour autant souffrir d’une quelconque affection ni d’aucune lésion, et sans que cela ne relève d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail.

Or le masque de protection prévu pour les salariés exposés au chrome ne lui avait été remis que 10 jours après le début de la mission. Elément suffisant pour la Cour de Cassation pour constater un manquement de l’employeur à son obligation de prévention, et ce en dehors de tout effet avéré sur la santé du salarié.

6. Evolution de l’obligation de prévention à la pénibilité au travail

Les obligations de l’employeur ont été élargies par la loi n° 12010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites par l’introduction de nouvelles dispositions en matière de prévention non seulement de la sécurité mais dorénavant également de la pénibilité au travail.

L’article L. 4121-1 du code du travail cité plus haut a été complété comme suit : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; (…).

A ce titre, la loi crée de nouvelles obligations pour les entreprises. Des décrets à paraître donneront les précisions attendues concernant notamment une fiche d’exposition à la pénibilité, la négociation d’un accord ou la mise en œuvre d’un plan d’action sur la prévention de la pénibilité dans les entreprises de plus de 50 salariés.

Nous pouvons penser que les tribunaux seront aussi exigeants en termes de prévention de la pénibilité au travail qu’en termes de sécurité au travail.

L’employeur est aujourd’hui tenu pour responsable de tous les risques réalisés, y compris ceux qui pouvaient être considérés jusqu’alors comme relativement bénins ou inhérents à la fonction (tendinite). La responsabilité de l’employeur est également systématiquement engagée dès lors qu’il est constaté un manquement à une quelconque obligation en la matière.

La santé au travail, qui inclut désormais la pénibilité, est donc incontestablement un domaine que toutes les entreprises doivent dorénavant intégrer dans leurs prochains plans d’action. Les petites entreprises auront très certainement beaucoup plus de difficultés, du fait de leurs effectifs réduits, à mettre en œuvre les dispositifs de prévention, notamment au titre de la pénibilité. Il est donc à craindre que les contentieux en la matière se multiplient.