menu
Actualités
Publié le 15 septembre 2022 par Victor Trouttet

De l’apparence de justice : l’affirmation du principe d’impartialité objective

Dans un arrêt du 28 juin 2022, les juges du Quai de l’Horloge cassent l’arrêt de la Chambre de l’Instruction de Rouen et affirment que le juge d’instruction ayant mis en examen le requérant ne pouvait intervenir en qualité de juge des libertés et de la détention dans ce même dossier.

« Droit garanti aux justiciables par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’impartialité du magistrat constitue, pour celui-ci, un devoir absolu, destiné à rendre effectif l’un des principes fondateurs de la République : l’égalité des citoyens devant la loi »[1]. L’impartialité du magistrat est donc un élément essentiel à notre société démocratique en ce qu’il donne du sens au principe d’égalité des citoyens, principe lui-même cardinal pour notre État démocratique.

Le principe de l’égalité des citoyens devant la loi est un principe phare de notre république qui a d’ailleurs pour devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Il a d’ailleurs acquis valeur constitutionnelle[2]. Ainsi, l’impartialité, en ce sens qu’elle est une garantie de l’égalité des citoyens devant la loi, est un principe fondamental à la base de notre République et de la justice française. Plus encore, elle serait même une « exigence universelle » selon Mme Josserand[3].

L’impartialité est une notion clé de notre système de justice. En effet, elle permet d’assurer à tout individu qu’il sera jugé selon le principe du procès équitable (fair trial)[4]. Elle est protégée au niveau interne et international. La protection conventionnelle résulte de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et plus précisément de son art. 6§1 qui dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »[5].

La jurisprudence prend appui sur cet article pour définir l’impartialité de manière dichotomique ; il y aurait selon la Cour Européenne des droits de l’homme une impartialité objective et une impartialité subjective.

Dans notre arrêt du 28 juin 2022[6], un homme qui avait été mis en examen pour tentative de meurtre en récidive faisait l’objet d’un placement en détention provisoire. Il demandait à la suite d’une prolongation de cette détention provisoire à être remis en liberté.

Le juge des libertés et de la détention s’opposant à cette demande de mise en liberté s’avérait être le même que celui qui avait mis en examen l’individu.

Il n’a pas obtenu gain de cause devant la Chambre de l’Instruction de ROUEN auprès de laquelle il arguait un manquement à l’impartialité objective.

Dès lors un juge ayant exercé les fonctions de juge d’instruction dans un dossier peut-il ensuite exercer les fonctions de juge des libertés et de la détention dans le même dossier et rejeter une demande de mise en liberté ?

Les juges du Quai de l’Horloge dans leur arrêt du 28 juin 2022 cassent l’arrêt de la Chambre de l’Instruction de Rouen et dispose notamment que le juge d’instruction ayant mis en examen le requérant ne pouvait intervenir en qualité de juge des libertés et de la détention dans ce même dossier.

L’impartialité subjective

En se fondant sur l’art. 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH), la CEDH dans un arrêt Piersack dispose que « si l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé (…) elle peut s’apprécier de diverses manières. On peut distinguer (…) entre une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait en son for intérieur en telle circonstance, et une démarche objective, amenant à rechercher s’il offrait de garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime »[7].  Ainsi la doctrine a unanimement déduit une nature binaire à l’impartialité ; celle-ci est soit objective, soit subjective.

L’impartialité subjective renvoie au « for intérieur » du juge ; ainsi vérifier si l’impartialité subjective a été respectée revient à vérifier si le juge face à une situation donnée n’a pas volontairement défavorisé ou favorisé un plaideur en particulier[8].

Ainsi l’impartialité subjective se retrouve dans plusieurs situations. En voici quelques exemples. C’est notamment la situation où un juge qualifie la défense du prévenu « d’invraisemblable, de scandaleux, de mensonger, d’ignoble, de répugnant »[9]. Par ces propos, le juge montre que, dans « son for intérieur », la décision est déjà prise et qu’il ne laissera même pas à la défense la possibilité d’être entendue.

L’impartialité objective

Le principe d’impartialité est protégé par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen. Néanmoins cette protection n’est pas que conventionnelle. L’impartialité se trouve aussi protégée au niveau interne, mais de manière indirecte, à travers le principe de séparation des fonctions de poursuite et de jugement[10]. Ainsi, un même juge ne pourra pas dans une même affaire être titulaire de la fonction de poursuite, d’instruction et de jugement. Il ne pourra nécessairement être titulaire que de l’une de ces fonctions à peine de nullité de la décision de la juridiction qui n’est pas correctement composée. C’est donc ce principe de séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement qui traduit le concept d’impartialité objective au niveau interne.

M. Robert définit l’impartialité objective de la manière suivante : « L’impartialité objective procède de considérations de caractère fonctionnel et organique et même d’apparences : un juge dont on peut craindre légitimement un manque d’impartialité doit se récuser »[11].  M. Fourment précise : « Dans l’impartialité objective, on a égard aux apparences, aux rôles fonctionnels qu’un même magistrat a tenu successivement dans une même affaire »[12]. M. Pradel explique cette recherche de l’impartialité objective par le fait que « Les magistrats n’ont pas voulu qu’un magistrat, en cumulant deux fonctions, rende une mauvaise justice, une justice favorisant (ou défavorisant) une partie au procès, une justice partiale, partisane »[13].

Les atteintes à cette impartialité objective sont abondantes en jurisprudence. Il convient d’en donner quelques exemples. Ainsi, peut être considérée comme portant atteinte à l’impartialité objective la situation où certains membres du Conseil d’État luxembourgeois exercent successivement des fonctions consultatives et des fonctions juridictionnelles à propos d’une même affaire[14] (cela remet en cause l’impartialité structurelle de l’institution) ; celle où un juge des libertés et de la détention s’est  prononcé sur la détention provisoire d’une personne puis a ensuite fait partie de la juridiction qui devait juger la même personne selon la procédure de comparution immédiate[15]. Porte aussi atteinte à l’impartialité objective le magistrat qui a participé à un arrêt de la chambre d’accusation rendu sur la détention provisoire d’un inculpé renvoyé ultérieurement devant la cour d’assises. En effet, il ne peut faire partie de cette juridiction, car il a nécessairement procédé à un examen préalable du fond[16].

Dans l’arrêt du 28 juin 2022, la Cour de Cassation vient ajouter un nouveau cas d’atteinte à l’impartialité objective.

En effet, elle dispose qu’un juge qui a apprécié l’existence d’indices graves ou concordants lors de la mise en examen d’un détenu ne peut plus, ensuite, intervenir en tant que juge des libertés et de la détention.

Cette position s’explique facilement au regard de la notion d’impartialité objective.

Assurément, le juge d’instruction peut mettre en examen « les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi »[17].

Le juge des libertés et de la détention, quant à lui, doit s’assurer, aux termes de la loi, de l’existence de ces indices lorsqu’il est appelé à se prononcer sur une mesure de sûreté[18].

Ainsi, le juge qui a été juge d’instruction et qui ensuite a été juge des libertés et de la détention dans la même affaire exerce deux fois le même contrôle. Ce rôle successif du même juge porte atteinte au principe d’impartialité objective ou a minima – crée une situation de crainte légitime quant à son impartialité.

Cette décision de la Cour de Cassation s’inscrit dans la droite lignée de la jurisprudence européenne prenant appui sur l’adage du Lord Gordon Hewart : « It is not merely of some importance but is of fundamental importance that justice should not only be done, but should manifestly and undoubtedly be seen to be done »[19].


[1] V. http://www.conseil-superieur-magistrature.fr/publications/recueil-des-obligations-deontologiques/limpartialite

[2] V. en ce sens MELIN-SOUCRAMANIEN (F.), « La question prioritaire de constitutionnalité », Les cahiers du Conseil Constitutionnel, n°29, Octobre 2010

[3] JOSSERAND (S.), L’impartialité du magistrat en procédure pénale, préf. J. FRANCILLON, Bibliothèques des sciences criminelles, LGDJ, Paris, 1998

[4] V. en ce sens ROBERT (J.), DUFFAR (J.), Droit de l’homme et libertés fondamentales, Montchrestien, Paris, 8ème éd., 2009

[5] Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales le 4 novembre 1950 et entré en vigueur le 3 septembre 1953, telle qu’amendée par les Protocoles n° 11 et n° 14

[6] Cass. Crim., 28 juin 2022, n°22-82.698

[7] CEDH, 1er oct. 1982, Piersack C/ Belgique, requête n° 8692/79

[8] V. en ce sens FOURMENT (F.), Procédure pénale, Paradigme, Paris, 14ème ed., 2013

[9] Commission, avis, 29 oct. 1993, Boeckmans : réc., n°12

[10] FOURMENT (F.), op. cit., p. 293

[11] ROBERT (J.), DUFFAR (J.), op.cit.

[12]  FOURMENT (F.), op. cit.

[13]  PRADEL (J.), Procédure pénale, Cujas, Paris, 18ème ed. 2015

[14] CEDH, 28 sept. 1995, Procola C/ Luxembourg, requête n° 14570/89, §44-45

[15] Cass. Crim., 23 sept. 2010, n° 10-81.245 ; Cass. Crim., 8 dec. 2009, n°09-85.623, Bull. Crim. n°208

[16] Cass. Crim., 12 oct. 1983, n° 82-93.569

[17] C. pr. pén., art. 80-1

[18] (V. par exemple., Crim. 11 mai 2021, n° 21-81.277, devoir fondé sur la combinaison des articles 80-1 et 137 du code de procédure pénale)

[19] HEWART (G.), King v. Sussex Justices, 9 nov. 1923 : « la justice ne doit pas seulement être dite, elle doit également donner le sentiment qu’elle a été bien rendue »