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Publié le 22 février 2022 par Victor Trouttet

Tiers propriétaire d’un bien susceptible de confiscation : Sans informer, tu ne saisiras point

Dès 2016, la Garde des Sceaux de l’époque, Christian TAUBIRA, affirmait l’importance des saisies pénales dans l’arsenal juridique.

L’intérêt actuel pour ce procédé s’explique par le fait qu’il permet une peine patrimoniale privant l’auteur du produit de son infraction et, ainsi, d’une propriété́ considérée comme étant plus frauduleuse que légitime.

Mais parfois la confiscation ne touche pas que l’auteur du bien confisqué, mais aussi un tiers propriétaire dudit bien et qui n’est l’auteur d’aucune infraction.

« A une époque où la part de l’argent sale dans la richesse mondiale atteint des niveaux records et place les systèmes économiques eux-mêmes devant de redoutables contradictions, la mission impérieuse qui incombe à la Justice est de relever le défi de la lutte contre la délinquance acquisitive, celle qui rapporte chaque jour des fortunes aux organisations criminelles et appauvrit les États, les privant d’assurer à leurs citoyens le meilleur niveau possible de services publics. Il revient à la puissance publique de donner à l’institution judiciaire les moyens de mener à bien cette mission. Les saisies et confiscations, dont le régime juridique a considérablement évolué ces dernières années, constituent un outil majeur au service de cette œuvre de salubrité publique »[1].

En 2016, déjà, Christiane TAUBIRA, alors Garde des Sceaux, affirmait l’importance des saisies pénales dans l’arsenal juridique. La confiscation apparaît effectivement comme un procédé « à la mode »[2] car elle permet une peine patrimoniale privant l’auteur du produit de son infraction et, ainsi, d’une propriété considérée comme étant plus frauduleuse que légitime.

Mais parfois la confiscation ne touche pas que l’auteur du bien confisqué, mais aussi un tiers propriétaire dudit bien et qui n’est l’auteur d’aucune infraction.

Pendant longtemps, aucune disposition ne permettait à ce tiers malheureux de présenter des observations devant la juridiction envisageant la confiscation de son bien. 

Par deux décisions du 23 septembre 2021 et du 24 novembre 2021, le Conseil constitutionnel est venu souligner cette situation problématique et a renforcé le droit des tiers de bonne foi lors du prononcé des peines complémentaires de confiscations[3].

Ce faisant, le Conseil constitutionnel a censuré, avec effet différé au 31 décembre 2021, une majeure partie de l’article 131-21 du Code pénal.

Le 22 décembre 2021, la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021, modifiait l’article 131-21 du Code pénal.

Cet article, tel qu’issu de la loi du 22 décembre 2021 dispose aujourd’hui dans son alinéa final :

« Lorsque la peine de confiscation porte sur des biens sur lesquels un tiers autre que le condamné dispose d’un droit de propriété, elle ne peut être prononcée si ce tiers dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure n’a pas été mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu’il revendique et sa bonne foi. »[4]

Dès lors, le texte précise que la peine de confiscation ne pourra pas être mise en place lorsqu’un tiers disposant des droits sur le bien objet de la confiscation est connu et qu’il n’a pas été mis en mesure de présenter ses observations sur ladite peine de confiscation envisagée par le Tribunal.

Afin de préciser les modalités d’information de ce tiers propriétaire, le législateur a publié un décret le 23 décembre 2021[5].

Ce décret institue deux articles qui précisent le mode d’information du tiers : les articles D. 45-2 bis (applicable devant la Cour d’assises) et D.45-2-1 bis du Code de procédure pénale (applicable devant le Tribunal correctionnel).

Ainsi dans cette situation, le tiers propriétaire (car il faut bien un droit de propriété) qui est connu, soit parce que l’enquête le détermine comme propriétaire, soit parce qu’il a revendiqué cette qualité, doit être informé au moins 10 jours (ou 1 mois devant la Cour d’Assises) avant la date de l’audience de la possibilité de confiscation du bien.

Plus précisément l’avis informe le tiers que le bien dont il est propriétaire pourra être confisqué et qu’il peut présenter ses observations lui-même ou par l’intermédiaire de son avocat.

L’avis précisera également au tiers qu’il peut présenter ses observations à l’audience ou encore « par un document écrit remis au greffe du tribunal correctionnel et consigné par le greffier soit avant l’audience, soit pendant l’audience, ou adressé au greffe du tribunal par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception parvenue au moins 24 heures avant la date d’audience. »[6].

Enfin l’avis précise le but des observations de la personne tiers propriétaire qui devra « faire valoir le droit qu’elle revendique et sa bonne foi »[7] en communiquant « si nécessaire (…) tout justificatif établissant son titre de propriété. »[8]

Cet avis peut se faire par tout moyen.

Attention, l’ultime alinéa des articles D. 45-2 bis et D. 45-2-1 bis précise que le tiers propriétaire n’aura pas à être avisé s’il est convoqué comme témoin devant la juridiction compétente. Dans cette situation le Président lui rappellera à l’audience qu’il « peut faire ses observations sur la peine de confiscation qui est susceptible d’être prononcée. »[9]

Cet avis, bien qu’étant une vraie avancée pour le tiers propriétaire, nous semble problématique à plusieurs égards :

  • Sur l’absence d’information préalable du tiers propriétaire convoqué comme témoin. En effet, comment un tiers qui n’avait peut-être pas conscience du caractère confiscable de son bien pourrait-il utilement se défendre avec une information aussi tardive.
  • Sur le statut de tiers propriétaire pouvant bénéficier de l’information. Le tiers bénéficie de l’avis s’il est « connu » ou s’il « a réclamé cette qualité au cours de la procédure ». Ceci soulève des questions notamment quant aux moyens que doit mettre en œuvre le tiers pour « réclamer » sa qualité de tiers. Le texte n’indique pas comment cette réclamation se matérialise.

Enfin, la lecture de la circulaire du 22 décembre 2021 interroge sur la réelle efficacité de ces nouvelles dispositions concernant le tiers propriétaire d’un bien susceptible de confiscation dans la mesure où il est précisé que « Sous réserve de la jurisprudence de la Cour de cassation, il semble que le non-respect de ces nouvelles dispositions ne devrait pas entraîner la nullité de la confiscation prononcée, dans la mesure où la personne concernée pourra toujours solliciter la restitution du bien sur le fondement de l’article 710 du code de procédure pénale. »[10].

La direction des affaires criminelles et des grâces a-t-elle voulu, avec cette circulaire, ôter son caractère astreignant à ce nouvel alinéa de l’article 131-21 du Code pénal ? Il serait important, au regard du principe de sécurité juridique, que le législateur se positionne sur les effets du non-respect de ces dispositions.


[1] Guide des saisies et confiscations, Direction des Affaires Criminelles et des Grâces, 2016

[2] La difficile saisie pénale d’un immeuble, Guillaume Beaussonie, RDI 2021. 284

[3] Cons. const. 23 sept. 2021, n° 2021-932 QPC ; Cons. const. 24 nov. 2021, n° 2021-949/950 QPC

[4] Article 131-21 Code pénal : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000028312062

[5]  Décret n° 2021-1794 du 23 décembre 2021 modifiant le code de procédure pénale et relatif notamment à la peine de confiscation

[6] Article D. 45-2 bis du Code de procédure pénale

[7] ibid

[8] ibid

[9] ibid

[10] Circulaire relative aux dispositions de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire tirant les conséquences de décisions QPC rendues par le Conseil constitutionnel (JUSD2138990 C)