Directive CSRD, CSDDD et proposition « Omnibus » : où en est la réglementation ESG européenne ?
Le paysage réglementaire européen en matière de durabilité entre dans une nouvelle phase. Après l’adoption des directives CSRD et CSDDD, la Commission européenne a présenté en février 2025 un paquet législatif de simplification – baptisé « Omnibus » – visant à ajuster le périmètre et le calendrier de ces textes structurants.
Objectif affiché : renforcer la compétitivité des entreprises européennes tout en allégeant leurs charges administratives, notamment pour les PME. Selon les estimations de la Commission, ces mesures pourraient générer une économie de 6,3 milliards d’euros et stimuler jusqu’à 50 milliards d’euros d’investissements supplémentaires.
Cet article revient sur les deux piliers du cadre ESG européen et détaille les principales propositions du paquet « Omnibus ».
I. Deux directives fondatrices : CSRD et CSDDD
1. La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD)
Adoptée le 12 décembre 2022, la CSRD[1] renforce les exigences en matière de reporting extra-financier, remplaçant l’ancienne Non Financial Reporting Directive (NFRD), jugée trop limitée.
Elle impose aux entreprises de publier des rapports de durabilité fondés sur les normes européennes ESRS, couvrant les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), selon le principe de double matérialité (financière et d’impact).
Calendrier d’application :
- 2023 : entrée en vigueur ;
- 2025–2028 : application progressive en 4 vagues :
- 2025 : grandes entreprises déjà soumises à la NFRD ;
- 2026 : grandes entreprises non encore soumises à la NFRD ;
- 2027 : PME cotées, avec option de report de deux ans ;
- 2028 : entreprises non européennes générant >150 M€ de CA dans l’UE via une succursale ou filiale.
2. La Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD)
Adoptée le 12 avril 2024, la CSDDD[2] introduit une obligation de vigilance à la charge des grandes entreprises, concernant l’ensemble de leur chaîne de valeur. Elle vise à prévenir, identifier et remédier aux atteintes aux droits humains et à l’environnement.
Elle prévoit notamment :
- Une cartographie des risques ;
- L’élaboration d’un plan d’action correctif ;
- La mise en place d’un mécanisme d’alerte, en concertation avec les représentants du personnel ;
- Une obligation de suivi et de reporting sur l’efficacité des mesures mises en place.
Dates clés :
- 26 juillet 2026 : date butoir de transposition
- 2027 à 2029 : entrée en vigueur en trois phases :
- 2027 : entreprises > 5 000 salariés et > 1,5 Md€ de CA
- 2028 : entreprises > 3 000 salariés et > 900 M€ de CA
- 2029 : entreprises > 1 000 salariés et > 450 M€ de CA, y compris étrangères opérant dans l’UE
II. Le paquet « Omnibus » : vers une simplification ciblée
Face aux critiques relatives à la complexité et au coût de mise en œuvre, la Commission européenne a présenté, le 26 février 2025, le paquet « Omnibus »[3] qui vise à alléger les contraintes réglementaires tout en préservant les objectifs fondamentaux du Green Deal européen.
1. Ajustements proposés à la CSRD
- Réduction du champ d’application : seules les entreprises de plus de 1000 salariés (avec seuils financiers inchangés) seraient désormais soumises à la CSRD. Près de 80 % des entreprises en seraient ainsi exemptées.
- Création d’un cadre volontaire pour les PME : des normes simplifiées seraient proposées aux petites structures souhaitant adopter un reporting ESG, sans obligation.
- Révision des normes ESRS :
- réduction du nombre de données exigées (révision attendue pour le 31 octobre 2025 par l’European Financial Reporting Advisory Group) ;
- sectorielles : abandon des standards sectoriels initialement prévus.
Principe de double matérialité maintenu :
- Matérialité financière (Outside-In) : impact des enjeux ESG sur la performance de l’entreprise ;
- Matérialité d’impact (Inside-Out) : impact de l’entreprise sur l’environnement et la société.
2. Ajustements proposés à la CSDDD
- Report d’un an : transposition reportée au 26 juillet 2027 ; les premières entreprises ne seront concernées qu’en 2028.
- Restriction du devoir de vigilance : obligation limitée aux « partenaires commerciaux directs ». Toutefois, en présence d’« informations plausibles » sur des violations des droits humains, une obligation plus large pourrait s’appliquer.
- Fréquence des évaluations assouplie : tous les 5 ans au lieu d’annuellement.
- Allègement pour les PME : limitation du volume d’informations pouvant leur être demandé dans le cadre de la cartographie des chaînes de valeur.
III. Quelle mise en œuvre à ce jour ?
La directive « Stop the Clock »[4] , publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 16 avril 2025, est entrée en vigueur le 17 avril 2025. Elle consacre notamment le report des calendriers de mise en œuvre.
En France, la transposition du volet CSRD a été assurée par la loi n° 2025-391 du 30 avril 2025, dite DDADUE 5[5]. La transposition de la CSDDD devra intervenir d’ici au 26 juillet 2027.
Toutefois, les modifications de fond prévues par le paquet Omnibus n’ont pas encore été adoptées. Elles font actuellement l’objet de discussions au sein du Parlement européen et du Conseil. Jusqu’à leur adoption et transposition, les versions actuelles des directives restent en vigueur.
Conclusion : pragmatisme ou recul ?
Avec le paquet « Omnibus », la Commission européenne amorce un tournant pragmatique, visant à concilier ambition réglementaire et réalité opérationnelle. Ce recentrage est salué par une partie du tissu économique, mais interroge quant au maintien du niveau d’exigence initial.
[1] Directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) no 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises
[2] Directive (UE) 2024/1760 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 et le règlement (UE) 2023/2859
[3] Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2006/43/CE, 2013/34/UE, (UE) 2022/2464 et (UE) 2024/1760 en ce qui concerne certaines obligations relatives à la publication d’informations en matière de durabilité et au devoir de vigilance applicables aux entreprises et Directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives (UE) 2022/2464 et (UE) 2024/1760 en ce qui concerne les dates à partir desquelles les États membres doivent appliquer certaines obligations relatives à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises et au devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité
[4] Directive (UE) 2025/794 du Parlement européen et du Conseil du 14 avril 2025 modifiant les directives (UE) 2022/2464 et (UE) 2024/1760 en ce qui concerne les dates à partir desquelles les États membres doivent appliquer certaines obligations relatives à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises et au devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité
[5] Loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes