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Publié le 26 décembre 2016 par Soulier Avocats

Le droit à la déconnexion est-il en passe de devenir un droit effectif pour les salariés en France ?

A l’heure du numérique et du « tout connecté » où 71% des cadres français consultent leurs emails professionnels le soir ou en vacances[1], le « droit à la déconnexion » est en train de faire un premier pas officiel dans le Code du travail depuis son intronisation législative avec la Loi Travail du 8 août 2016.

Dès le 1er janvier 2017, la négociation annuelle obligatoire sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail devra également porter sur « les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques ».

Si l’on comprend la volonté très louable du législateur d’inciter les employeurs à mettre en place des dispositifs de régulation dans un souci de protection de la vie personnelle du salarié et également de préservation de sa santé, l’on comprend aussi la préoccupation des entreprises qui travaillent à l’international et/ou dans un contexte d’ultra-compétitivité et d’exigence d’instantanéité, de pouvoir compter sur la réactivité de leurs cadres autonomes.

Doit-on se réjouir ou s’inquiéter de l’essor d’un droit à la déconnexion ? Quels sont les contours de ce droit ? Est-ce un droit réaliste ou bien un droit totalement « déconnecté » des réalités économiques ?

 

Le droit à la déconnexion s’inscrit logiquement dans une tendance actuelle liée à l’évolution des mentalités et à celle de notre droit du travail, tant il est étroitement lié au respect de la vie personnelle et familiale mais aussi à la protection de la santé et de la sécurité des salariés.

La qualité de vie au travail est un sujet très en vogue. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont profondément transformé les conditions de travail. Pour certains, elles constituent un apport majeur au monde du travail car elles permettent la flexibilité et la réactivité, pour d’autres, l’on assiste à un phénomène malvenu d’« hyperconnexion », générateur de risques psychosociaux.

Avec l’introduction des outils numériques dans le monde professionnel, la sphère professionnelle et la sphère personnelle sont moins délimitées.

Sont ainsi apparus de nouveaux modes d’organisation du travail tels que le télétravail qui a été institué par accord collectif le 19 juillet 2005, puis codifié dans le Code du travail par la loi du 22 mars 2012 et qui s’est largement développé ces dernières années.

Alors qu’il est donné une plus grande liberté au salarié dans l’organisation de son emploi du temps, l’on se rend compte paradoxalement que cette grande liberté peut créer une absence de limite et, de ce fait, un empiètement excessif sur sa sphère privée.

D’où une volonté louable, en tant que telle, du législateur de mettre en place des dispositifs de régulation. Mais jusqu’où doit-on aller ? Comment concilier respect de la vie personnelle avec les exigences de réactivité voire d’instantanéité dans une économie globale et ultra-compétitive ? Comment préserver la santé du salarié sans pour autant être « déconnecté » des réalités économiques ?

C’est à l’ensemble de ces questions que devront répondre les partenaires sociaux dans le cadre de leurs négociations sur le thème du droit à la déconnexion.

En effet, à compter du 1er janvier 2017, la négociation annuelle obligatoire sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail devra également porter sur « les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques ».

 

Le droit à la déconnexion avant le 1er janvier 2017

 

Les prémices du droit à la déconnexion ont été reconnus dans un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 2 octobre 2001[1] : « Le salarié n’est tenu ni d’accepter de travailler à son domicile, ni d’y installer ses dossiers et instruments de travail». Cette jurisprudence a été confirmée par un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 17 février 2004 qui a jugé que « le fait de n’avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable est dépourvu de caractère fautif ».[2]

Le droit à la déconnexion a à nouveau beaucoup fait parler de lui – y compris au plan international – en 2014 lorsque la branche Syntec (bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils) a conclu le 1er avril 2014 un avenant à la Convention collective nationale de branche, instaurant pour les salariés au forfait annuel en jours une « obligation de déconnexion des outils de communication à distance » afin de garantir « l’effectivité du respect par le salarié des durées minimales de repos ».

Cette même formule a d’ailleurs été reprise très récemment par la branche Commerce de Gros qui a conclu un avenant le 30 juin 2016, à ce jour non encore étendu, relatif aux conventions de forfait annuelles. Cet avenant prévoit également une obligation de déconnexion pour les salariés au forfait annuel en jours.

S’agissant toujours des forfaits annuels en jours, nous avions déjà évoqué dans notre e-newsletter d’octobre 2016 les dispositions de l’article L. 3121-64 nouveau du Code du travail en vigueur depuis le 10 août 2016, aux termes desquelles les accords mettant en place des conventions individuelles de forfaits en jours doivent désormais définir les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion. A défaut de dispositions résultant de l’accord, ces modalités doivent être déterminées par la convention individuelle de forfait et communiquées au salarié par tous moyens.

Le droit à la déconnexion a donc déjà fait son entrée dans le Code du travail dès le mois d’août 2016 s’agissant des salariés au forfait annuel en jours.

 

Quelles sont les nouvelles dispositions applicables à compter du 1er janvier 2017 ?

 

Avec l’introduction d’une obligation de négocier annuellement sur le thème de la déconnexion à compter du 1er janvier 2017, la loi Travail entérine ce droit à la déconnexion pour tenter d’en faire un droit effectif, applicable à l’ensemble des salariés, sans distinction.

L’article L.2242-8 du Code du travail dans sa version en vigueur à compter du 1er janvier 2017 dispose que :

« La négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail porte sur :

1° L’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour les salariés ;

(…)

7° Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale.

A défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Cette charte définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques ».

 

Quelles sont les effets contraignants de ces nouvelles dispositions légales ?

 

Tout d’abord, il sera rappelé que seules sont concernées par la négociation annuelle obligatoire (NAO) les entreprises comprenant une ou plusieurs sections syndicales avec un délégué syndical, soit les entreprises d’au moins 50 salariés.

En cas de non-respect de l’obligation de négocier, la sanction pénale est d’un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende[3].

Mais, si ce texte crée une obligation de négocier sur le droit à la déconnexion, cela ne signifie pas obligation de conclure un accord, au nom de la liberté contractuelle.

Ainsi, les entreprises peuvent tenter de trouver un terrain d’entente, mais, en cas de désaccord, la Société ne sera pas sanctionnée faute d’accord établi.

Cependant, l’article L.2242-8 du Code du travail stipule qu’en cas d’absence d’accord portant sur le droit à la déconnexion, l’employeur doit alors établir une charte qui devra définir les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et mettre en place notamment des actions de sensibilisation quant à l’usage des outils numériques.

L’établissement d’une telle charte semble devoir s’imposer également aux entreprises de moins de 50 salariés. Toutefois, aucune sanction n’est prévue à l’encontre de l’employeur qui omet de mettre en place une charte.

En France, une charte n’a pas de valeur ni de force juridique à proprement parler, sauf à ce qu’elle prévoit des sanctions à l’encontre des salariés : dans ce cas, la charte pourra être considérée comme une annexe au règlement intérieur.

 

Que doit-on espérer ou craindre de cet essor du droit à la déconnexion ?

 

Compte-tenu de l’absence de sanction en cas de non-conclusion d’accord ou de charte, l’on peut s’interroger sur l’effectivité de ce droit à la déconnexion.

A ce stade, l’introduction du droit à la déconnexion dans les thèmes de négociation a surtout une portée symbolique.

Toutefois, il ne faut pas négliger l’impact que cet apport législatif va très certainement avoir dans les pratiques d’entreprise mais aussi dans la jurisprudence à venir.

Il est en effet probable que l’on voie surgir une nouvelle demande devant le Conseil de prud’hommes dans les contentieux relatifs aux rappels d’heures supplémentaires et aux manquements à l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur, à savoir une demande distincte de dommages et intérêts pour non-respect du droit à la déconnexion.

Dès lors, le droit à la déconnexion va engendrer de fait – même en l’absence d’accord collectif négocié – des obligations supplémentaires pour l’employeur. Ce dernier devra mettre en place des instruments de régulation des outils informatiques mis à la disposition des salariés (telle une alerte automatique de type « pop-up » à compter d’une certaine heure le soir, rappelant au salarié qu’il est temps de se déconnecter) afin d’éviter qu’il puisse être reproché à l’entreprise une violation du droit à la déconnexion du salarié.

Cette intrusion du droit/devoir de déconnexion risque par ricochet de mettre à mal l’autonomie de principe du cadre dit « autonome », qui, jusqu’à maintenant peut, par exemple, pour des raisons familiales, décider de quitter plus tôt son travail et ensuite se reconnecter plus tard dans la soirée.

Si le droit à la vie personnelle est bien évidemment essentiel et primordial, il reste malgré tout vraiment dommage qu’en France, l’« autorégulation » des cadres censés être « automnes » n’existe pas ou si mal (même à un certain niveau de responsabilité) et que l’on soit toujours obligé d’imposer des contraintes supplémentaires aux entreprises pour protéger des salariés, parfois même contre leur gré.

[1] Cass.soc., 2 octobre 2001 n°99-42.727

[2] Cass.soc., 17 février 2004 n°01-45.889

[3] Article L.2243-2 du Code du travail