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Publié le 30 mai 2016 par Soulier Avocats

Exclusion de la saisine directe du juge par une partie en cours de perquisition par des agents de l’Autorité de la concurrence

Une entreprise objet d’une perquisition menée par les agents de l’Autorité de la concurrence, qui se heurte à des difficultés au cours de cette opération, n’est pas autorisée à saisir elle-même le Juge des Libertés et de la Détention pour lui en référer. Ce pouvoir appartient exclusivement aux officiers de police judiciaire présents lors de la perquisition.

Par suite, le refus par le magistrat de connaître des difficultés soulevées par l’entreprise lors de la perquisition n’est pas une cause de nullité des mesures de visite et de saisies.

C’est ce qu’a jugé la Chambre Criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 9 mars 2016 commenté ci-après.

Afin d’appréhender au mieux la portée de l’arrêt commenté[1], un bref rappel préalable du rôle du Juge des Libertés et de la Détention (ci-après « JLD ») dans le cadre d’enquêtes menées par les agents des services d’instruction de l’Autorité de la concurrence apparaît utile.

 

1. Rappel préalable du rôle du JLD dans le cadre d’une enquête sous contrôle judiciaire menée par les agents de l’Autorité de la concurrence

Le rôle du JLD est précisé à l’article L. 450-4 du Code de commerce relatif aux enquêtes sous contrôle judiciaire.

Dans le cadre d’une enquête sous contrôle judiciaire, les agents bénéficient en effet de pouvoirs d’investigation élargis par rapport aux enquêtes dites simples (visées aux articles L. 450-3 à L. 450-3-2 du même code). Ainsi, les agents suspectant la commission d’agissements anticoncurrentiels par une ou plusieurs entreprises peuvent procéder à des visites en tous lieux entre 6h et 21h, à des saisies de documents et tout support d’informations, à la pose de scellées, ou encore, à des auditions de l’occupant des lieux ou de son représentant.

Ces enquêtes ne peuvent toutefois avoir lieu que sur demande de la Commission européenne, du ministre chargé de l’économie ou du Rapporteur général de l’Autorité de la concurrence, et sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du JLD du Tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter.

L’article L. 450-4 prévoit que le JLD doit d’abord vérifier que la demande d’autorisation qui lui est soumise est fondée. Le texte prévoit également que les opérations de visite et de saisie s’effectuent sous l’autorité et le contrôle du JLD et que celui-ci doit désigner le chef de service qui devra nommer les officiers de police judiciaire chargés d’assister aux opérations, d’apporter leur concours en procédant aux réquisitions nécessaires, et de tenir le magistrat informé de leur déroulement. Enfin, toujours en vertu de l’article L. 450-4, le JLD peut se rendre dans les locaux pendant l’intervention, et peut, à tout moment, décider la suspension ou l’arrêt de la visite.

 

2. Difficultés liées au rôle du JLD rencontrées dans l’arrêt commenté

Dans l’arrêt commenté, la question qui s’est posée était de savoir si la partie objet des opérations de visite et de saisies pouvait, pendant le cours de celles-ci, saisir directement le JLD chargé du contrôle de ces opérations afin de l’informer d’une difficulté liée à la saisie de pièces couvertes par la confidentialité des échanges avec son avocat.

En effet, lors de la visite, les agents avaient procédé à la saisie de l’intégralité des boîtes mails et archives de boîtes mails d’un certain nombre de salariés, et en particulier du dirigeant, de la directrice administrative et financière et du responsable réglementation.

L’avocat de l’entreprise, présent lors de la perquisition, avait alors attiré l’attention des agents sur le fait que les éléments saisis comportaient des correspondances et pièces couvertes par le secret professionnel entre un avocat et son client ainsi que des correspondances et pièces liées à l’exercice des droits de la défense dans le cadre de procédures actuellement en cours. Il avait alors été proposé aux agents, par une recherche par mots-clefs, d’extraire ces correspondances et pièces avant qu’elles ne soient saisies, ce que ces derniers avaient refusé. Les agents avaient également refusé d’acter cette demande sur les procès-verbaux dressés à l’occasion des opérations.

L’avocat de l’entreprise s’était alors déplacé, à 18h15, alors que les opérations étaient encore en cours, au Tribunal de grande instance, afin de saisir le JLD de la difficulté. Celui-ci étant absent, un magistrat du Parquet l’avait contacté par téléphone, mais le JLD avait alors refusé de s’entretenir avec l’avocat, faisant dire à celui-ci qu’il devrait revenir le lendemain aux heures d’ouverture du greffe.

Cette réponse n’était bien entendu pas satisfaisante pour le conseil de l’entreprise dans la mesure où la mission de contrôle du JLD prend fin lorsque se terminent les opérations de visite et de saisies. Si, en l’espèce, ces dernières étaient loin d’être achevées à 18h15 (elles ont pris fin à 0h25), elles seraient nécessairement terminées le lendemain.

L’entreprise visée par les mesures avait alors saisi le Premier Président de la Cour d’appel aux fins de nullité des opérations. Le Premier Président avait fait droit à cette demande au motif que l’entreprise, qui avait le droit de saisir le JLD sans passer par l’intermédiaire de l’officier de police judiciaire, n’avait pas bénéficié de façon effective de la garantie fondamentale du contrôle de l’exécution de la visite et des saisies par ce magistrat alors qu’elle invoquait un incident sérieux relatif à la saisie de correspondances avocats-clients.

C’est cette ordonnance du Premier Président qui a fait l’objet de l’arrêt de cassation commenté.

La Haute Juridiction énonce, pour la première fois à notre connaissance, le principe selon lequel « l’occupant des lieux ne dispose pas du droit de saisir lui-même le juge qui a autorisé la visite et la saisie, les officiers de police judiciaire chargés d’assister aux opérations devant, au cours de la visite, tenir ce magistrat informé des difficultés rencontrées ».

 

3. Conséquences de l’arrêt commenté pour les entreprises visées par des opérations de visite et de saisies

Ainsi, selon la Haute Juridiction, quelle que soit la nature de la difficulté rencontrée au cours des opérations de visite et de saisies, l’entreprise ou son Conseil ne peuvent s’en prévaloir auprès du JLD qu’en demandant aux officiers de police judiciaire de saisir eux-mêmes ce dernier, et non en saisissant directement le magistrat.

En cas de refus des officiers de police judiciaire, l’entreprise ne peut donc pas obtenir la suspension ou l’arrêt des opérations, mais peut uniquement demander a posteriori leur annulation au Premier Président de la Cour d’appel, dans un délai de 10 jours à compter de la remise ou de la réception du procès-verbal et de l’inventaire dressés sur place par les agents[2].

Il est important de préciser que les pièces saisies sont conservées jusqu’à ce qu’une décision définitive soit intervenue, et que le recours devant le Premier Président n’est pas suspensif, ce qui implique que la procédure engagée devant l’Autorité de la concurrence se poursuit parallèlement.

En toute hypothèse, même si, dans l’arrêt commenté, les officiers de police judiciaire avaient, en cours d’opérations, accepté de joindre le JLD afin de l’alerter de la difficulté liée à la saisie de pièces confidentielles, celui-ci aurait probablement refusé d’écarter ces pièces. En effet, la jurisprudence autorise désormais les agents à saisir tous documents et supports informatiques (disque dur, messagerie, etc.), dès lors que cette possibilité a préalablement été indiquée dans l’ordonnance du JLD, que les fichiers saisis sont insécables, utiles à la preuve des agissements suspectés[3], identifiés et inventoriés, qu’une copie du support contenant l’inventaire est remis à la personne visée, et que les fichiers sont ensuite placés sous scellés. Il appartient alors à l’entreprise visée par la saisie d’exercer a posteriori son recours devant le Premier Président afin que celui-ci annule, le cas échéant, la saisie des documents couverts par la confidentialité[4], et non la totalité des saisies.

 

[1] Cass. Crim., 9 mars 2016, n°14-84566

[2] Article L. 450-4 al. 12 du Code de commerce

[3] Cass. Crim.14/12/2011 n°10-85293 ; Cass. Crim, 14/11/2013 n°12-87346 

[4] Cass. Crim. 27/11/2103, n°12-85.830