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Publié le 1 juin 2012 par Jean-Luc Soulier

La Cour de Cassation met un point final à la très médiatique affaire des abeilles à l’issue de 9 années de procédure. Chronique de l’intérieur.

Par un arrêt du 30 mai 2012, la Cour de cassation vient d’écrire le mot « Fin » sur la dernière page du long feuilleton judiciaire et médiatique qui a vu le leader mondial de l’industrie chimique et agro-chimique accusé d’être à l’origine des surmortalités d’abeilles dont se sont plaint les apiculteurs avec véhémence. Cette décision confirme l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 2 septembre 2010 qui a innocenté le Régent TS, produit d’enrobage de semences fabriqué par BASF Agro.

En tant que conseils de BASF Agro, nous avons vécu ce long combat de l’intérieur. Le temps d’un retour sur ce que l’on peut qualifier d’épopée est venu. Comment une telle affaire a-t-elle pu voir le jour et quels enseignements peut-on en tirer?

Une première instruction a été ouverte en mai 2002 par le procureur de la République de Saint-Gaudens sur signalement de la Direction Générale de l’Alimentation à la suite de la constatation de surmortalités d’abeilles en Midi-Pyrénées provoquées par des produits importés interdits, mélangés à du white spirit et du dentifrice.

Une liste des substances autorisées entrant dans la fabrication des produits d’enrobage de semences protégeant les cultures contre les insectes nuisibles faisait son apparition dans le dossier. Parmi ces substances figurait le fipronil, lequel intervient dans la fabrication du Régent TS.

Sous la pression d’un syndicat apicole minoritaire, l’UNAF, et de la Confédération paysanne du très militant José Bové, un premier juge d’instruction – il demandera sa mutation en cours de procédure ­– décidait, en accord avec le parquet, d’ouvrir une deuxième information judiciaire sur disjonction, consacrée entièrement au fipronil, et ce, afin de déterminer si celui-ci pouvait être à l’origine de surmortalités d’abeilles. Il s’agissait en réalité pour ces parties civiles de la poursuite du combat qu’elles menaient déjà contre un produit concurrent du Régent TS dont elles avaient réussi à obtenir l’interdiction, le Gaucho, fabriqué et commercialisé par l’autre géant allemand de la chimie et de l’agrochimie, le groupe Bayer. Le juge d’instruction désignait des experts dont le nom lui avait été suggéré par l’avocat des parties civiles, sans se soucier de leur proximité affichée avec l’UNAF, dont ils étaient les intervenants vedettes lors de ses congrès annuels. Ces « experts » concluaient sans surprise à la responsabilité du fipronil dans les surmortalités d’abeilles, provoquant la mise en examen de BASF Agro et de Bayer CropScience, le précédent propriétaire de cette substance chimique, et de leurs dirigeants respectifs. La première instruction suivait parallèlement son cours et se concluait par la condamnation des importateurs de produits et de mélanges interdits, dont la nocivité pour les abeilles ne faisait bien évidemment aucun doute. La mise en examen de BASF Agro et de Bayer CropScience en février 2004 a provoqué une tempête médiatique sans précédent.

Aucun dossier d’atteinte à l’environnement n’a autant occupé les colonnes de la presse écrite, les ondes des radios et les journaux télévisés, les géants de la chimie et de l’agrochimie y étant présentés comme des fossoyeurs de l’humanité, et ce pendant un nombre incalculable de mois. Les émissions et articles de journaux reprenaient en boucle une phrase attribuée à Albert Einstein et que celui-ci n’a jamais prononcée : « Si l’abeille venait à disparaître, l’homme n’aurait plus que quelques années à vivre. ». Philippe de Villiers, jamais en retard d’un combat populiste, retrouvait le chemin des plateaux de télévision en publiant « Quand les abeilles meurent, les jours de l’homme sont comptés. »

D’autres personnages improbables, jusqu’ici inconnus du grand public, comme le fondateur du « Mouvement de Défense des Générations Futures », François Veillerette, et le Professeur Belpomme, ont surfé sur la vague médiatique en multipliant les « prédictions catastrophistes » et en propageant des « peurs moyenâgeuses », selon les termes employés par Madame Catherine Hill et le Professeur Maurice Tubiana dans un article publié dans le journal Les Echos du 20 août 2004. BASF Agro et Bayer CropScience communiquaient l’ensemble des études prouvant l’innocuité du fipronil pour les abeilles et obtenaient parallèlement son homologation au niveau européen dans le cadre de la procédure à laquelle l’ensemble des substances étaient soumises en application de la directive européenne 91/414. Le nouveau juge d’instruction désignait des experts indépendants disposant des compétences nécessaires en matière d’éco-toxicologie. BASF Agro, Bayer CropScience et leurs dirigeants bénéficiaient d‘un non-lieu confirmé par la Cour d’appel de Toulouse le 2 septembre 2010. La décision de la Cour de cassation du 30 mai 2012, en rejetant les pourvois des parties civiles contre l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse, a clos définitivement ce dossier.

Quels enseignements peut-on tirer de cette affaire spectaculaire sur les ressorts de notre société, le rôle du politique et l’état de notre justice ?

Les affaires d’environnement sont malheureusement polluées par un sentiment général d’hostilité à l’égard des entreprises, qui ne seraient motivées que par la recherche effrénée du profit au mépris de toute autre considération. Nous pouvons bien vivre de plus en plus vieux dans une société de plus en plus protectrice, un fond de méfiance face aux avancées de la science s’est instillé dans les esprits par la faute des propagateurs de « peurs moyenâgeuses » dénoncés par Madame Hill et le Professeur Tubiana.

Dans les grands médias, peu de journalistes scientifiques se voient assigner la tâche d’analyser et de commenter les données relatives à un produit mis en cause par des associations de défense des consommateurs ou de l’environnement, parfois qualifiées de « khmers verts » lorsqu’elles défendent de manière caricaturale des thèses non étayées scientifiquement.

La peur des politiques devant les emballements médiatiques qu’ils ne contrôlent pas est un deuxième phénomène préoccupant. Le directeur de cabinet d’un ministre vous dira que son rôle est de faire de la politique, ce qui lui impose de tenir compte de l’opinion en période électorale. Le produit peut bien être autorisé dans 70 pays, dont la France, à l’issue de dix années de tests et d’études scientifiques d’un coût global de 200 millions d’euros, le ministre n’a pas d’autre choix que de le retirer, temporairement on vous l’assure, afin de ne pas donner une tribune à Monsieur Bové ou ses avatars à quelques semaines des élections.

Le sentiment d’insécurité qui en découle pour les entreprises explique en grande partie la désindustrialisation de notre pays. Quelle entreprise serait assez folle aujourd’hui pour entreprendre des recherches sur le sol français dans le domaine des OGM ? Et plus encore prendre le risque de fabriquer en France des produits issus de telles recherches ?

Ce traitement politique désespère également les experts nommés dans les agences gouvernementales indépendantes dont les ministres ne suivent pas les avis. Nous avons tous les outils d’un état moderne mais nous continuons de fonctionner comme un état autoritaire où la primauté est donnée au politique, autant dire à des intérêts électoraux à court terme.

Nous avons heureusement la chance d’avoir une justice indépendante. Des erreurs peuvent être commises en cours de route (qui n’en commet pas ?), des tâtonnements peuvent retarder l’issue d’une procédure (mais le temps apaise généralement les passions). Mais d’expérience, après plusieurs années de procédure parfois chaotiques, il se trouve généralement un juge ou un procureur avec une haute conscience de sa mission pour remettre le dossier sur les rails sans se préoccuper de l’opinion publique.