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Publié le 1 décembre 2013 par Soulier Avocats

Loi applicable à l’agent commercial

Les contrats d’agents commerciaux sont à l’origine d’une abondante jurisprudence et les juridictions étatiques vont de plus en plus fréquemment se trouver confrontées à des litiges de nature internationale. 

Déjà en mai dernier, la Cour de cassation avait dû répondre à la question de savoir quelle était la juridiction territorialement compétente dans le cadre d’un litige relatif à un contrat international d’agent commercial. Elle avait à cet effet dû déterminer le lieu d’exercice principal de l’activité d’un agent commercial[1] (cf. notre e-newsletter de juin 2013

C’est cette fois la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) qui a dû répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, qui visait à déterminer si la loi choisie par les parties au contrat pouvait être écartée au profit de la loi de la juridiction saisie (dite loi du for) au motif que celle-ci revêt un caractère impératif dans l’ordre juridique national en question[2]

En l’espèce, un agent commercial belge et un commettant bulgare avaient conclu un contrat d’agent commercial. Ils avaient alors décidé de soumettre le contrat au droit bulgare et convenu que les litiges relatifs au contrat seraient tranchés par la chambre d’arbitrage de la chambre de commerce et d’industrie de Sofia, en Bulgarie. 

Le commettant ayant mis fin aux relations contractuelles, l’agent commercial l’a assigné devant les juridictions belges en paiement de diverses indemnités prévues par la loi belge, qui accordait une meilleure protection à l’agent commercial que la loi bulgare. 

Le commettant a alors soulevé une exception d’irrecevabilité en invoquant l’incompétence de la juridiction saisie, en application du contrat.

La Cour de cassation belge, saisie du litige, a sursis à statuer et s’est adressée à la CJUE, non sur la question de la juridiction compétente[3] mais sur celle de la loi applicable au litige. La Cour de cassation se référait à cet effet à la directive relative aux agents commerciaux,  qui impose aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer un certain nombre d’indemnité lors de la cessation du contrat d’agent commercial[4] ainsi qu’à la Convention de Rome, [5] selon laquelle les parties peuvent choisir la loi applicable à leur contrat[6] mais qui précise dans le même temps que les règles nationales impératives continuent de s’appliquer.[7]

 

La Cour rappelle que les dispositions pouvant être qualifiées de « lois de police et de sûreté » sont celles « dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’Etat membre concerné, au point d’en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national dudit Etat membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci ». L’exception relative à l’existence d’une loi de police doit en outre « être interprétée de manière stricte ».

En l’espèce, le gouvernement belge soutenait que la loi relative aux agents commerciaux était impérative et pouvait être qualifiée de loi de police. Le gouvernement relevait à cet égard que « cette loi, bien qu’ayant été adoptée en tant que mesure de transposition de la directive 86/653, a conféré une portée plus large  à la notion d’ « agent commercial » que celle contenue dans cette directive » et que « cette même loi a étendu les possibilités d’indemnisation au profit de l’agent commercial en cas de rupture de son contrat, ce qui aurait pour conséquence que c’est bien à l’aune de la loi belge que le litige au principal devrait être jugé ». 

La Cour ne tranche pas la question de savoir si, en l’espèce, la loi belge est ou non une loi de police : il revient en effet à la juridiction belge d’y répondre. Elle valide toutefois le raisonnement du gouvernement belge en retenant que le fait que « la transposition dans l’Etat du for offre (…) une protection plus grande des agents commerciaux en vertu de l’intérêt particulier que l’Etat membre accorde à cette catégorie de ressortissants » est une indication du caractère de loi de police. 

Cet argument est surprenant puisqu’il revient à écarter systématiquement la loi choisie par les parties au profit de la loi du for, dès lors qu’elle est plus favorable à son bénéficiaire – à condition toutefois que la loi du for transpose correctement la directive. 

Quoi qu’il en soit, la Cour tranche positivement la question posée par la juridiction de renvoi en décidant que la loi choisie par les parties à un contrat d’agence commerciale, même si elle assure une transposition correcte de la directive, peut être écartée en faveur de la loi du for pour un motif tiré du caractère impératif des règles applicables aux agents commerciaux. Encore faut-il cependant que le législateur de l’Etat du for ait jugé crucial d’accorder à l’agent une protection allant au-delà de celle prévue par la directive. 

Bien que conforme à la Convention de Rome, cette décision peut faire craindre un manque de sécurité juridique pour les parties à un contrat d’agence commerciale, ou à tout autre contrat d’ailleurs, qui risqueront toujours de se voir appliquer une autre loi que celle qu’ils auront choisie.

 


[1] Cf. Cass. com., 14 mai 2013, n°11-26.631.

[2] CJUE, 17 octobre 2013, United Antwer Maritime Agencies / Navigation Maritime Bulgare, Aff. C-184/12.

[3] La Cour a ici relevé que « la juridiction de renvoi n’a saisi la Cour que de la seule question relative à la loi applicable au contrat, s’estimant dès lors compétente pour trancher le litige (…). C’est, partant, sans préjuger de la question de la compétence juridictionnelle que la Cour entend répondre à la question posée ».

[4] Directive 86/653 du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants. Il faut souligner qu’aux termes de cette directive, l’agent commercial est défini comme « celui qui, en tant qu’intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l’achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommées « commettant », soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant ». La directive ne concerne ainsi pas l’agent commercial intervenant dans le domaine de la prestation de services mais seulement de la vente. Lors de la transposition de la directive, un certain nombre d’Etats membres ont cependant décidé d’appliquer ce régime aux agents commerciaux intervenant dans le domaine de la prestation de service, comme c’était le cas en l’espèce.

[5] Convention du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Comme le précise la Cour, la Convention de Rome a depuis été remplacée par le règlement 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit Rome I. Bien qu’inapplicable en l’espèce au vu de l’époque des faits, la solution aurait probablement été identique, l’article 9 du Règlement Rome I ayant repris les dispositions applicables de la Convention.

[6]Article 3 de la Convention de Rome : « Le contrat est régi par la loi choisie par les parties ».

[7] Article 7 paragraphe 2 : « Les dispositions de la présente convention ne pourront porter atteinte à l’application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat ».