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Publié le 1 septembre 2009 par Soulier Avocats

Pas d’abus de position dominante sans lien entre comportement prédateur et marché dominé

Dans un arrêt important du 17 mars 2009, la Cour de cassation donne raison à la Cour d’Appel de Paris d’avoir réformé, par arrêt du 8 avril 2008, la décision du Conseil de la Concurrence[1] (ancienne Autorité de la concurrence) condamnant le laboratoire GlaxoSmithKline à une sanction pécuniaire de 10 millions d’euros. Pour le Conseil, ce laboratoire méritait d’être ainsi sanctionné pour avoir freiné l’arrivée de médicaments génériques en milieu hospitalier au travers d’une politique prédatrice – constitutive d’un abus de position dominante – sur le prix d’un antibiotique injectable (le céfuroxime sodique, très utilisé en milieu hospitalier) commercialisé par Glaxo sous le nom de Zinnat®.

Cette affaire était la première, en France, à donner lieu à condamnation pour prix prédateurs. Une politique prédatrice sur les prix est révélatrice d’un abus de position dominante en ce qu’elle n’est praticable, en principe, que par les acteurs détenant une position dominante sur le marché considéré : en effet, le prix prédateur étant un prix anormalement bas (inférieur aux coûts variables de l’entreprise), il ne peut être pratiqué que par des entreprises jouissant d’un fort pouvoir de marché. L’objectif recherché par cette politique prédatrice est « d’éliminer ou discipliner un ou plusieurs concurrents ou de bloquer l’entrée sur le marché de concurrents potentiels dans le but de protéger ou de renforcer sa position dominante »[2].

Telle était la pratique reprochée par le Conseil de la concurrence au laboratoire GlaxoSmithKline (« Glaxo ») qui était accusé de pratiquer des prix prédateurs sur le produit Zinnat® afin de « se bâtir une réputation d’agressivité » et « d’envoyer un signal » de nature à dissuader les génériqueurs d’entrer sur le marché des spécialités hospitalières ; la stratégie visée étant, selon le Conseil de la concurrence, de s’établir comme un opérateur « agressif » sur le marché du Zinnat® pour décourager les fabricants de génériques d’entrer sur le marché du produit phare de Glaxo, le Zovirax® (antiviral injectable ayant pour principe actif, l’aciclovir).

Ainsi était-il fait grief à Glaxo « qui détenait une position dominante sur le marché de l’aciclovir injectable commercialisé sous le nom de Zovirax injectable d’avoir abusé de cette position sur le marché du céfuroxime sodique, sur lequel il était présent avec son médicament, le Zinnat injectable. Les pratiques abusives ont consisté en la mise en œuvre d’une politique de prédation sur les prix du Zinnat injectable proposé à différents hôpitaux et groupements d’achats. Ces pratiques, qui se sont déroulées en 1999 et 2000 sont prohibées par l’article L.420-2 du Code de commerce et l’article 82 du Traité CE [abus de position dominante] ».

Pour caractériser l’abus de position dominante, le Conseil se fonde notamment sur l’arrêt de la CJCE du 3 juillet  1991 (arrêt Akzo) pour déclarer que « la jurisprudence a reconnu que, si l’entreprise dominante peut chercher à protéger sa position en appliquant des prix prédateurs sur le marché dominé, elle peut aussi le faire sur un marché connexe si ce comportement a pour effet de protéger ou renforcer sa dominance sur le marché d’origine ».

La Cour de Cassation, suivant en cela la Cour d’Appel de Paris, retient néanmoins que si l’article L.420-2 du Code de commerce et l’article 82 du Traité CE présupposent l’existence d’un lien entre la pratique abusive et le marché dominé sur lequel elle est mise en œuvre, une telle présomption ne joue pas lorsque la pratique abusive est exercée sur un marché autre que le marché dominé.

Dans ce cas, la Cour de cassation rappelle que doivent être établies des « circonstances particulières » démontrant (i) comme dans l’arrêt Akzo[3], que c’est bien « pour renforcer sa position dominante sur un marché qu’une entreprise a mis en œuvre une pratique abusive sur un marché distinct qu’elle ne domine pas » ou (ii) que, comme dans l’arrêt Tetra Pak[4] « les deux marchés observés présentent des liens de connexité si étroits qu’une entreprise se trouve dans une situation assimilable à la détention d’une position dominante sur l’ensemble des marchés en cause ».

Pour la Cour de cassation, aucune des constatations suivantes ne démontre l’existence de « circonstances particulières de nature à établir un lien entre le comportement [prédateur] de la société Glaxo sur le marché non dominé [céfuroxime sodique : ci-après marché A] et la position dominante détenue par cette société sur l’autre marché [l’aciclovir injectable : ci-après marché B] » :

  • il n’existe aucun lien entre les produits du marché A (antibiotiques soignant les infections) et ceux du marché B (antiviral ayant un usage différent) : le lien entre ces deux marchés de produits est limité à des caractéristiques générales  tenant au seul fait qu’il s’agit de marchés hospitaliers non administrés ;
  • les laboratoires susceptibles d’entrer sur le marché B ne sont pas présents sur le marché A (hormis Panpharma et Ggam) ;
  • rien ne permet de dire que les concurrents potentiels de Glaxo sur le marché B avaient une connaissance suffisamment précise et complète des prix pratiqués sur le marché du A pour interpréter la pratique prédatrice de Glaxo sur ce second marché comme « un signal d’agressivité destiné à les dissuader d’entrer » sur le marché B.
  • les déclarations du représentant du principal concurrent de Glaxo, Panpharma, ne font jamais référence au comportement du laboratoire Glaxo sur le marché A pour expliquer que Panpahama ne soit finalement jamais entrée sur le marché B.

Bien qu’il soit avéré que la société Glaxo a pratiqué des prix prédateurs sur le marché du céfuroxime sodique (prix inférieurs aux coûts d’achat), la sanction pécuniaire de 10 millions d’euros ne peut lui être infligée sur le fondement des articles L.420-2 du Code de commerce et 82 du Traité CE dès lors qu’aucun lien n’a pu être établi entre la pratique des prix prédateurs sur le marché non dominé et le marché sur lequel s’exerce la domination.

 


[1] Décision n°07-D-09 du 14 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par le laboratoire GlaxoSmithKline France

[2] Extraie de l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 8 avril 2008

[3] Arrêt du 3 juillet 1001, Akzo Chemie BV, C-62/86 points 35 à 45

[4] Arrêt du 14 novembre 1996, Tetra Pak International, C-333/94, points 21 à 33