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Publié le 1 octobre 2013 par Soulier Avocats

Pratiques commerciales déloyales : l’annonceur, même de bonne foi, porte seul la responsabilité pour pratique commerciale trompeuse

Il est des domaines où – la bonne foi étant inopérante – il est particulièrement impératif d’imposer contractuellement à ses partenaires de respecter en tous points les promesses faites à la clientèle. 

Tout au plus (mais c’est toujours mieux que rien !) de telles précautions contractuelles autoriseront une action récursoire contre le partenaire fautif ; elles ne permettront cependant pas d’éviter ab initio la condamnation pour pratique commerciale trompeuse de l’annonceur qui, de toute bonne foi, a pourtant veillé à s’assurer que ses promesses publicitaires soient tenues.

 C’est cette cruelle déconvenue qu’a récemment expérimentée l’agence de voyages autrichienne Team4 Travel, au détour d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) rendu le 19 septembre 2013[1]

Dans cette affaire, la société Team4 Travel, spécialisée dans la vente de séjours à la neige et de cours de ski pour des groupes scolaires britanniques, avait indiqué dans sa brochure (en anglais) que la réservation auprès de certains hôtels à certaines dates n’était possible que via sa plateforme de réservation, lesdits hôtels s’étant par ailleurs engagés, par voie contractuelle, à une telle exclusivité envers Team4 Travel. 

Un concurrent mécontent, l’agence autrichienne CHS Tour Services, à laquelle ces mêmes hôtels accordaient des possibilités d’hébergement aux mêmes dates, a introduit une action devant les juridictions autrichiennes pour faire interdiction, à Team4 Travel de se réclamer d’une telle exclusivité – une telle déclaration violant la prohibition des pratiques commerciales déloyales.

Par deux fois, les juridictions autrichiennes ont débouté CHS Tour Services de sa demande, considérant qu’il n’y avait pas de pratique déloyale de Team4 Travel, cette dernière n’ayant manqué à aucune exigence de diligence professionnelle (au sens de l’article 5.2 de la Directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales (« PCD »)[2] dans la mesure où elle s’était assurée auprès des hôtels concernés une telle garantie d’exclusivité et qu’elle n’avait eu, à la date d’expédition de la brochure publicitaire, aucune connaissance de la violation par les hôtels de leur engagement contractuel d’exclusivité. 

La Cour Suprême autrichienne saisie du recours en révision introduit par CHS Tour Services a soulevé une question préjudicielle auprès de la CJUE relative à l’articulation des articles 5.2 et 6.1 de la Directive PCD et, en particulier, aux fins de savoir s’il faut, pour être qualifiée de trompeuse (au sens de l’article 6.1), que la pratique en question soit également contraire aux exigences de la diligence professionnelle (article 5.2). 

Autrement dit, il s’agit de savoir si une pratique commerciale trompeuse au sens de l’article 6.1 peut néanmoins éviter d’être sanctionnée s’il s’avère que son auteur a respecté toutes les exigences de la diligence professionnelle au sens de l’article 5.2. 

Revenons sur les textes en question : 

L’article 5 de la Directive PCD, intitulé « Interdiction des pratiques commerciales déloyales » dispose que :

« 

1.    Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

2.  Une pratique commerciale est déloyale si :

a.  elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et,

b.  elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu’une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs

[….]

3. en particulier, sont déloyales les pratiques commerciales qui sont

a.  trompeuses au sens des articles 6 et 7 ou

b.  agressives au sens des articles 8 et 9 »

L’article 6.1 de la Directive PCD définit, en particulier les « actions trompeuses » comme suit : 

« une pratique commerciale est réputée trompeuse si elle contient des informations fausses, et qu’elle est donc mensongère ou que, d’une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen, même si les informations présentées sont factuellement correctes, en ce qui concerne un ou plusieurs des aspects ci-après et que, dans un cas comme dans l’autre, elle l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement : 

  1. l’existence ou la nature du produit ;
  2. les caractéristiques principales du produit, telles que sa disponibilité, ses avantages […] » 

Tout d’abord, la CJUE estime que la brochure publicitaire dont il est question concerne bien la « disponibilité » d’un produit (en l’occurrence des séjours / hébergement auprès de certains hôtels) au sens de l’article 6.1 sous b) et que l’allégation garantissant l’exclusivité de ce produit auprès de Team4 Travel est trompeuse (dans la mesure où il est avéré que les mêmes séjours pouvaient être réservés dans les mêmes hôtels aux mêmes dates par le biais de CHS Tour Services). 

Quant à la question de savoir si, au sens de l’économie générale de la Directive PCD, on doit considérer que les seules conditions énoncées à l’article 6.1 suffisent à qualifier et à faire sanctionner comme « trompeuse » une pratique commerciale, sans avoir à vérifier que ladite pratique est également contraire aux « exigences de la diligence professionnelle » de l’article 5.2, la CJUE répond de la manière suivante : 

  • d’une part, il ressort expressément de l’article 5.1 que les pratiques trompeuses doivent être qualifiées comme telles « au sens » de l’article 6 ; « cette expression suggérant que la détermination du caractère trompeur (…) de la pratique concernée ne dépend que de l’appréciation de celle-ci au regard des seuls critères énoncés » à l’article 6 ; 
  • d’autre part, l’article 5.2 établit la « règle de base » de l’interdiction des pratiques commerciales déloyales laquelle est ensuite « concrétisée par des dispositions spécifiques aux fins de tenir compte du risque que représentent pour les consommateurs les deux cas de figure qui se rencontrent le plus fréquemment, à savoir les pratiques commerciales trompeuses et les pratiques commerciales agressives » ; ce qui est, en quelque sorte, une illustration de l’adage « specialia generalibus derogant » 
  • enfin, l’article 6.1 se place « dans l’optique du consommateur » à protéger pour caractériser la pratique commerciale trompeuse : c’est en effet le point de vue / le ressenti du consommateur moyen qui compte pour apprécier le caractère trompeur de la pratique en cause. 

Le fait que, par ailleurs, l’annonceur ait bien respecté les exigences de la diligence professionnelle – s’inscrivant dans « la sphère de l’entrepreneur » et dont le consommateur n’est pas au courant – ne retire en rien à la publicité son caractère « trompeur » pour le consommateur.

En conséquence de quoi, la CJUE conclut que : 

« eu égard tant au libellé qu’à la structure des articles 5 et 6.1 de ladite directive ainsi qu’à l’économie générale de cette dernière, une pratique commerciale doit être considérée comme trompeuse au sens de la seconde de ces dispositions dès lors que les critères y énumérés sont réunis, sans qu’il y ait lieu de vérifier si la condition relative à la contrariété de cette pratique avec les exigences de la diligence commerciale, prévue à l’article 5.2 sous a) de cette directive, est également remplie ».

Cette interprétation est, somme toute, logique : s’il fallait vérifier, avant de la condamner comme trompeuse, qu’une pratique commerciale est contraire aux exigences de la diligence professionnelle, cela reviendrait : 

  • d’une part, à ajouter une condition à l’article 6.1 censé définir à lui seul la pratique « trompeuse », 
  • d’autre part, à priver d’effet utile les articles 6 et 7 qui définissent des sous-catégories indépendantes (« pratiques trompeuses » et « pratiques agressives »), parmi les pratiques commerciales déloyales, 

ce qui irait globalement à l’encontre de l’objectif de protection élevée des consommateurs poursuivi par la Directive PDC. 

La même interprétation prévaut en droit français lequel rend inopérante la bonne foi, l’annonceur restant « en tant que personne pour le compte de laquelle la pratique commerciale trompeuse est mise en œuvre »[3], responsable, « à titre principal » de la diffusion d’allégations mensongères ou trompeuses, à destination de la France et ce quelle que soit la provenance (étrangère ou nationale) des pratiques.

En cela, la Directive PCD ayant laissé le champ libre aux Etats membres pour déterminer le régime de sanctions adéquat[4], l’annonceur responsable d’une publicité trompeuse produisant ses effets en France se rend coupable d’un délit et encourt de lourdes sanctions pénales : emprisonnement de 2 ans et/ou amende de 37.500 euros dont le montant peut être porté à 50% des dépenses de publicité ou de la pratique constituant le délit[5]. En outre, le jugement portant condamnation sera publié.

Face à la publicité dévastatrice en termes d’image d’une telle condamnation pour pratique commerciale trompeuse, il ne restera plus à l’annonceur de bonne foi que de tenter de répercuter sur son partenaire contractuel défaillant le poids de sa condamnation à laquelle sera éventuellement ajoutée une demande de réparation pour préjudice économique.

Encore faut-il qu’un contrat bien rédigé puisse permettre de telles actions récursoires.

 


[1] CJUE, affaire C-435/11, CHS Tour Services GmbH / Team4 Travel GmbH. 

[2] Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur

[3] Article L.121-5 du Code français de la consommation

[4] Article 13 de la Directive PCD : « les Etats membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive et mettent tout en œuvre pour en assurer l’exécution. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ».

[5] Article L. 213-1 du Code français de la consommation