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Publié le 1 février 2014 par Soulier Avocats

Travail dissimulé/sous-traitance : gare aux donneurs d’ordre qui ne surveillent pas suffisamment l’activité de leurs co-contractants

En application d’un Décret du 3 décembre 2013, de nouvelles mesures de lutte contre la fraude aux cotisations et contributions sont applicables, parmi lesquelles des sanctions accentuées pour le donneur d’ouvrage qui n’a pas respecté ses obligations de vigilance et de diligence à l’égard de son co-contractant auteur du délit de travail dissimulé.

La Loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 a durci les conditions du contrôle URSSAF : en application du Décret n°2013-1107 du 3 décembre 2013[1], fixant les nouvelles modalités du contrôle, deux sanctions majeures afférentes au constat de travail dissimulé sont désormais applicables[2] : 

  • En cas de constat de travail dissimulé, le montant du redressement des cotisations et contributions sociales mises en recouvrement à l’issue du contrôle est majoré de 25% ; 
  • Par ailleurs, le constat de travail dissimulé chez un sous-traitant peut avoir des conséquences particulièrement préjudiciables pour le donneur d’ouvrage, à savoir l’annulation des exonérations et des réductions des cotisations et contributions sociales dont il a bénéficié pour ses propres salariés, dès lors qu’il n’a pas procédé aux vérifications permettant de détecter l’existence chez son sous-traitant, de travail dissimulé. 

L’annonce de ces deux nouvelles sanctions nous donne l’occasion de refaire un point sur les risques encourus en matière de travail dissimulé (i) et les conséquences d’un tel constat de travail dissimulé dans les relations de sous-traitance (ii).

Depuis quelques années, on assiste en effet à une intensification des contrôles menés pour lutter contre le travail dissimulé. Or, cette politique de « chasse aux sorcières » a inéluctablement des répercussions non négligeables sur les donneurs d’ordre dans leurs relations avec leurs sous-traitants. 

1. Zoom sur le travail dissimulé 

La complexité des formalités d’embauche, la lourdeur des charges sociales en France ou parfois simplement le souci d’une certaine flexibilité peuvent conduire certaines entreprises à se laisser aller à des pratiques de travail dissimulé. 

Sont ainsi illicites, en application des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du Code du travail, aussi bien la dissimulation d’activité que la dissimulation d’un emploi salarié. Constitue ce délit, la dissimulation intentionnelle : 

  • d’une activité exercée à titre indépendant, dans un but lucratif et en violation des obligations commerciales, fiscales ou sociales : non immatriculation au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, absence de déclaration auprès de l’URSSAF et/ou auprès de l’administration fiscale, etc. ; cette situation peut notamment résulter de la non-déclaration d’une partie de son chiffre d’affaires ou de ses revenus ; 
  • de tout ou partie d’un emploi salarié : absence de déclaration préalable à l’embauche, absence de bulletin de paie ou mention sur le bulletin de paie d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué. 
  • Est également réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour l’employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales, auprès de l’URSSAF ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.  

Le travail dissimulé demeure la fraude constitutive de travail illégal la plus répandue. Il représente 80% des infractions de travail illégal relevées par les services de contrôle en 2011[3]. La fraude aux cotisations a été estimée par l’Acoss en 2010 à un montant compris entre 15,5 et 18,7 milliards d’euros. 

Le travail dissimulé est puni d’une peine d’emprisonnement de 3 ans et d’une amende de 45.000 euros[4] (225.000 euros pour les personnes morales). Il expose également son auteur à des peines complémentaires tels que la dissolution/fermeture de l’établissement, ainsi qu’à des sanctions administratives telles que l’exclusion de marchés publics, le refus ou la demande de remboursement d’aides publiques (sur des contrats d’apprentissage, de professionnalisation par exemple) pour une durée maximale de 5 ans etc. 

En outre, à côté des sanctions pénales et administratives, les entreprises doivent garder à l’esprit qu’elles s’exposent nécessairement à un redressement opéré par l’URSSAF (à qui les procès-verbaux de travail dissimulé sont systématiquement communiqués par les agents de contrôles) sur les cotisations et contributions sociales impayées, auquel s’ajoutent des sanctions financières renforcées. 

L’URSSAF peut ainsi procéder à l’annulation de toute mesure de réduction et d’exonération, totale ou partielle, de cotisations de sécurité sociale ou de contributions dues aux organismes de sécurité sociale (par exemple, réduction « Fillon » ou allégements « zone de revitalisation rurale » etc.). 

Et depuis le 1er janvier 2014, en cas de constat de travail dissimulé, le montant du redressement des cotisations et contributions sociales mises en recouvrement à l’issue du contrôle est susceptible d’être majoré de 25%. 

Or, ces sanctions sont susceptibles d’être prononcées, tant à l’encontre de l’auteur du travail dissimulé lui-même (qui a dissimulé son activité professionnelle ou celle de ces salariés), que de son client, le donneur d’ordre, dès lors qu’il peut être établi que ce dernier savait ou ne pouvait ignorer qu’il recourait aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé. 

2. Zoom sur les obligations de vigilance et de diligence du donneur d’ordre

Lorsqu’une personne (« le donneur d’ordre ») conclut un contrat en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce portant sur un montant d’au moins 3.000 euros[5], elle doit s’assurer que son cocontractant (« le sous-traitant ») respecte bien ses obligations en matière de déclaration et de paiement des cotisations. Il s’agit de l’obligation de vigilance prévue à l’article L. 8222-1 du Code du travail. 

Pour cela, le sous-traitant doit lui délivrer, depuis le 1er janvier 2012, une attestation dite « de vigilance ». Ce document, émanant en principe de l’URSSAF, fait mention notamment : 

  • de la fourniture des déclarations sociales et du paiement des cotisations et contributions sociales ; 
  • et, le cas échéant, du nombre de salariés employés et de l’assiette des rémunérations déclarées sur le dernier bordereau récapitulatif des cotisations. 

Cette attestation doit être remise au donneur d’ordre lors de la conclusion du contrat et tous les 6 mois jusqu’à la fin du contrat. 

Aux termes des articles L. 243-15 et D. 243-15 du Code de Sécurité Sociale, le donneur d’ordre a l’obligation de s’assurer que l’attestation remise est authentique et en cours de validité. En pratique, cette authentification se fait grâce au code de sécurité que l’attestation mentionne.

Le donneur d’ordre doit ainsi se rendre sur le site de l’URSSAF pour renseigner ce code. Un message l’informe alors immédiatement de la validité et de l’authenticité du document remis.

Mais cette vérification administrative ne suffit pas. Le donneur d’ordre doit également s’assurer de la concordance des informations dont il dispose sur son cocontractant. 

Dans une affaire jugée par la Cour de cassation le 11 juillet 2013, une société avait procédé aux vérifications mais il existait une discordance entre le nom figurant sur l’extrait K-bis qui lui avait été remis et celui figurant sur les attestations sur l’honneur remises ainsi que sur les déclarations d’embauche et les attestations de versement de cotisations. Selon les juges du fond, approuvés par la Cour de Cassation, le donneur d’ordre aurait dû avoir conscience qu’une telle entreprise n’avait pas d’existence juridique et ne pouvait être enregistrée à l’URSSAF ni être à jour de ses cotisations[6]

Le donneur d’ordre doit enfin vérifier la capacité du sous-traitant à réaliser les travaux confiés par le biais des informations portant sur l’effectif et le montant des rémunérations. En cas de doute, il lui appartient d’obtenir de la part du sous-traitant l’assurance, par tous moyens (intentions d’embauche, recours à l’intérim etc.), qu’il a la capacité d’accomplir ces travaux[7].

Si le donneur d’ordre décide finalement de conclure ou de poursuivre une relation contractuelle avec un sous-traitant ou un prestataire qui ne lui a pas remis l’attestation ou dont l’attestation remise n’est pas authentique et en cours de validité, autrement dit qu’il n’a pas respecté ses obligations de vigilance et/ou de diligence, il pourra être tenu solidairement avec l’auteur d’une infraction de travail dissimulé. 

Il peut alors être tenu de payer solidairement avec le cocontractant en infraction, les cotisations sociales, pénalités et majorations dues par ce dernier ainsi que les rémunérations, indemnités et charges dues à raison de l’emploi de salariés dissimulés, pour avoir méconnu ses obligations de vigilance et/ou de diligence. 

En outre, la loi de financement de sécurité sociale pour 2013 a accentué les sanctions et depuis le 6 décembre 2013[8], l’URSSAF procède à l’annulation des réductions ou des exonérations dont le donneur d’ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses propres salariés. 

L’annulation s’exerce dans les mêmes conditions que celles s’appliquant aux employeurs ayant eux-mêmes directement recouru au travail dissimulé, à savoir : 

  • pour chacun des mois au cours desquels la méconnaissance de ses obligations par le donneur d’ordre aura été constatée, 
  • sans que son montant global ne puisse excéder 15.000 euros pour une personne physique et 75.000 euros pour une personne morale. 

Désormais, il suffit qu’un procès-verbal de travail dissimulé soit rédigé et adressé au procureur de la République pour que l’organisme de recouvrement puisse mettre en œuvre cette disposition. 

3. Et ce n’est pas fini… 

Les députés socialistes ont déposé le 19 décembre 2013 une proposition de loi visant à encadrer le détachement des salariés étrangers et lutter contre le « dumping social » et la concurrence déloyale. Il s’agit d’anticiper la transposition de l’accord européen sur les travailleurs détachés, accord qui n’a pas encore été adopté à ce jour. 

Cette proposition de loi renforce considérablement la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants étrangers.

Il s’agirait en effet de prévoir notamment  une obligation pour le donneur d’ordre de vérifier que le prestataire de service étranger s’est bien acquitté de ses obligations déclaratives de détachement de salariés en France[9], auprès de l’inspection du travail, sous peine d’être tenu solidairement responsable du paiement des salaires des salariés détachés. Le donneur d’ordre devrait également s’assurer que le sous-traitant verse bien à ses salariés le salaire minimum légal ou conventionnel. 

Une « liste noire » d’entreprises et de prestataires de services condamnés pour travail illégal (pour un montant d’au moins 45.000 euros) serait constituée et publiée sur internet.

La proposition de loi prévoit également de permettre aux associations, aux syndicats professionnels ainsi qu’aux syndicats de salariés de branche de se constituer partie civile en cas d’infractions de travail illégal. 

La chasse contre le travail illégal est bel et bien ouverte et n’a pas fini de s’intensifier…

 


[1] Décret n°2013-1107 du 3 décembre 2013 relatif aux redressements des cotisations et contributions sociales en cas de constat de travail dissimulé ou d’absence de mise en conformité.

[2] A noter qu’est également désormais applicable la sanction de majoration de 10% sur le montant du redressement issu d’un contrôle URSSAF, en cas de constat d’absence de mise en conformité suite à un premier contrôle.

[3] D’après le Plan national de lutte contre le travail illégal 2013-2015 en date du 27 novembre 2012, de la Commission nationale de lutte contre le travail illégal, présidée par M. Jean-Marc Ayrault, Premier Ministre. 

[4] Amende doublée en cas de récidive et majorée en cas d’emploi dissimulé d’un mineur soumis à l’obligation scolaire.

[5] Le montant de 3.000 euros s’apprécie au regard du prix réellement acquitté ou convenu de la prestation (devis, bon de commande, factures…) et toutes taxes comprises (TTC).

[6] Cass. 2ème civ. 11 juillet 2013, n°12-21.554.

[7] D’après la circulaire interministérielle du 16 novembre 2012 relative à l’attestation de vigilance (obligations déclaratives et paiement des cotisations sociales).

[8] Lendemain de la publication du décret d’application du 3 décembre 2013.

[9] Articles R. 1263-3 à R. 1263-5 du Code du travail.