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Publié le 30 octobre 2019 par Anaëlle Idjeri

Adoption de la Convention de La Haye sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers : vers une circulation des jugements facilitée dans l’ère post-Brexit ?

Le 2 juillet dernier, la Conférence de La Haye de droit international privé a annoncé l’adoption d’une nouvelle convention sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale.

Cette convention, envisagée dès 1992 lors des premiers travaux sur la compétence et la circulation des jugements, a l’ambition d’être « un instrument qui change la donne en matière de résolution des différends internationaux » qui permettra la circulation des jugements en matière civile et commerciale tout en « offrant une justice meilleure, plus efficace et moins coûteuse aux particuliers comme aux entreprises ». 

En cas de succès, c’est-à-dire de ratifications par de nombreux États, cette convention aura alors vocation à réguler la circulation mondiale des décisions de justice en matière commerciale, réduisant ainsi notamment les difficultés résultant du Brexit.

Focus sur les principales caractéristiques de la Convention

L’objectif central de la convention sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale est de faciliter la circulation des jugements entre les Etats parties (la « Convention »).

A cet égard, la Convention prévoit de manière très claire qu’« un jugement rendu par un tribunal d’un État contractant (État d’origine) est reconnu et exécuté dans un autre État contractant (État requis) conformément aux dispositions du présent chapitre ».

En résumé, aux termes de cette Convention :

  • Un jugement ne peut être reconnu et exécuté par L’État requis que s’il est exécutoire et produit ses effets dans L’État d’origine ;
  • La reconnaissance ou l’exécution pourra être différée ou refusée si le jugement fait l’objet d’un recours dans L’État d’origine ou si le délai de recours ordinaire n’est pas expiré. Cet éventuel refus n’empêche pas une demande ultérieure de reconnaissance ou d’exécution ;
  • Toute révision au fond des décisions étrangères par l’État requis est par principe interdite.

A l’instar de ce qui est prévu par les règlements Bruxelles I et Bruxelles I Bis, ainsi que par la Convention de New York de 1958 en matière de reconnaissance et d’exécution des sentences arbitrales, le refus de reconnaissance peut être opposé notamment en cas de contrariété à l’ordre public, d’existence d’une fraude ou encore de violation du principe du contradictoire.

Cette Convention est également assez simple en ce que la compétence directe des juridictions n’est pas abordée, seule la compétence indirecte du point de vue de la reconnaissance et de la possibilité pour un jugement étranger de bénéficier du régime établi par cette Convention est prévue.

Il doit être relevé que son champ d’application reste cependant assez limité dans la mesure où si en apparence il semble similaire à celui des Règlements Bruxelles I et Bruxelles I Bis, les exclusions sont nombreuses. Outre les exclusions classiques relatives par exemple aux matières relevant du domaine des prérogatives publiques, la Convention prévoit notamment la possibilité pour les États parties d’exclure par voie de déclaration certaines matières ou encore de préciser qu’elle ne s’appliquera pas aux décisions impliquant l’État ou l’un de ses démembrements.

A ce sujet, il doit être précisé que ne sont considérées comme des jugements que les décisions sur le fond rendues par un tribunal, en ce inclus celles concernant la fixation des frais et dépens. Les mesures conservatoires et provisoires sont exclues de cette définition (Article 3).

Quel avenir pour la Convention de la Haye du 2 juillet 2019 ?

Si cette Convention est donc classique dans son contenu et son esprit, son intérêt réside principalement dans le contexte ayant présidé à son adoption.

En effet, à l’heure où les différents accords multilatéraux sont considérés avec méfiance et alors que le Royaume-Uni se prépare au Brexit, cette nouvelle Convention pourrait présenter un intérêt particulier dans la circulation des jugements entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne.

Ainsi, il est à espérer que cette Convention fournira une alternative à la reconnaissance et l’exécution dans l’ère post-Brexit dans laquelle la circulation des jugements entre le Royaume-Uni et l’Union européenne deviendra plus complexe, les Règlements Bruxelles I et I Bis et la Convention de Lugano ne trouvant plus à s’appliquer.

Ceci étant, l’on peut imaginer qu’une telle Convention ne saura vraisemblablement se substituer parfaitement aux Règlements Bruxelles I et I Bis puisque :

  • La Convention ne s’appliquera que si elle est déjà en vigueur au moment où les procédures auront été initiées ;
  • À ce jour seul l’Uruguay a ratifié la Convention, et si l’Union Européenne et le Royaume-Uni ont tous deux fait part de leur intention de devenir partie à la convention rapidement, le processus de ratification prendra nécessairement plusieurs mois encore. Une fois la ratification réalisée, il faudra encore attendre 12 mois supplémentaires avant qu’elle ne produise ses effets ;
  • La Convention ne traite que de la reconnaissance et de l’exécution ;
  • Une procédure d’exéquatur est prévue.

D’autre part, des risques d’entrée en concurrence entre cette Convention et la Convention de la Haye sur les accords d’élection de for du 30 juin 2005 sont à craindre. En effet, chacune de ces deux Conventions prévoit un mécanisme de reconnaissance et d’exécution, avec cependant des critères quelque peu différents.

Ceci étant, le Rapport explicatif de la Convention précise que « la procédure pourrait être plus favorable en vertu d’un instrument que de l’autre. Le demandeur qui sollicite la reconnaissance et l’exécution serait alors en droit d’utiliser la procédure la plus favorable pour la reconnaissance et l’exécution ».

Pour le moment, la question essentielle reste donc de savoir quel autre État la ratifiera afin de déclencher son entrée en vigueur, étant rappelé que tout État peut notifier à un autre État son refus de voir la Convention produire des effets dans leurs relations.