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Publié le 28 octobre 2021 par Soulier Avocats

Faute de gestion du dirigeant n’ayant pas provoqué la régularisation des capitaux propres : nouvelles précisions apportées par la Cour de cassation

Il est fréquent que la responsabilité du dirigeant d’une société placée en liquidation judiciaire soit recherchée sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce, qui permet au tribunal, en cas de faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société, de décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par ce dernier. 

La Cour de cassation, dans un arrêt du 8 septembre 2021[1], a apporté des précisions sur l’application de cet article au dirigeant n’ayant pas convoqué les associés pour régulariser la situation de la société dont les capitaux propres étaient devenus inférieurs à la moitié du capital social.

Dans le cas d’espèce, les associés d’une société à responsabilité limitée avaient constaté, lors de l’assemblée générale ordinaire du 10 août 2011, qu’au cours de l’exercice clos en 2010, les capitaux propres étaient devenus inférieurs à la moitié du capital social.

Lors de l’assemblée générale extraordinaire du 9 janvier 2012, les associés avaient décidé de ne pas dissoudre la société.

La société avait été placée en redressement judiciaire le 19 février 2013 puis en liquidation judiciaire le 16 février 2016.

La Cour d’appel de Versailles a condamné la gérante à payer au liquidateur la somme de 120.000 euros au titre de sa contribution à l’insuffisance d’actif de la société.

Saisie d’un pourvoi formé par cette dernière, la Cour de cassation retient que la faute de gestion de la gérante n’est pas suffisamment caractérisée dès lors que le délai légal de régularisation de la situation de la société n’avait pas expiré au jour de l’ouverture du redressement judiciaire de la société.

Sur l’absence d’expiration du délai de deux ans

La Cour d’appel de Versailles retenait que les associés n’avaient pas régularisé la situation, et ce « en violation des dispositions » de l’article L. 223-42 du code de commerce, de sorte que la faute de gestion de la gérante, qui n’avait pas « tiré les conséquences [du] défaut de reconstitution » était caractérisée.

La violation des dispositions de cet article a été constatée de manière erronée par la Cour d’appel.

En effet, pour rappel l’article L. 223-42 du code de commerce dispose que :

« Si, du fait de pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, les associés décident, dans les quatre mois qui suivent l’approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte s’il y a lieu à dissolution anticipée de la société.

Si la dissolution n’est pas prononcée à la majorité exigée pour la modification des statuts, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue, de réduire son capital d’un montant au moins égal à celui des pertes qui n’ont pu être imputées sur les réserves, si, dans ce délai, les capitaux propres n’ont pas été reconstitués à concurrence d’une valeur au moins égale à la moitié du capital social. »

Par ailleurs, le dernier alinéa de l’article L. 223-42 du code de commerce précise que ces dispositions « ne sont pas applicables aux sociétés en procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire ».

Un défaut de régularisation de la situation de la société ne pouvait donc être constaté dès lors que le délai n’avait pas expiré avant la date d’ouverture de la procédure collective.  

La Cour d’appel de Versailles, bien que ne se prononçant pas expressément en ce sens, semble avoir retenu la date de clôture de l’exercice au cours duquel les pertes étaient intervenues comme point de départ du délai de deux ans.

Il est pourtant établi que le délai imparti pour régulariser la situation doit être calculé à partir de la date de clôture de l’exercice au cours duquel s’est tenue l’approbation des comptes ayant fait apparaître la perte, et non à partir de la date de clôture de l’exercice au cours duquel les capitaux propres sont devenus inférieurs à la moitié du capital social[2].

Dans le cas d’espèce, la Cour de cassation, qui retient que la gérante « disposait d’un délai n’expirant qu’à la clôture de l’exercice 2013 » (pour des pertes apparues au cours de l’exercice 2010 et constatées au cours de l’exercice 2011) pour provoquer la régularisation de la situation, fait donc une exacte application de l’article L. 223-42 du code de commerce.

Sur l’absence de faute de gestion

La Cour d’appel de Versailles déduisait de l’absence de régularisation de la situation par les associés une faute de gestion de la gérante qui n’aurait, selon elle, pas « tiré les conséquences [du] défaut de reconstitution ».

La Cour de cassation constate que la Cour d’appel ne dit « pas en quoi consistait précisément la faute de gestion imputée à [la gérante] », dès lors que le délai légal de deux ans n’avait pas expiré au jour de l’ouverture du redressement judiciaire de la société.

De cette façon, elle reconnaît qu’une faute de gestion aurait pu être constituée si la gérante n’avait pas convoqué les associés pour décider de la reconstitution des capitaux propres et si le délai de deux ans avait expiré avant l’ouverture de la procédure collective.

Il avait en ce sens déjà été retenu que le fait de ne pas solliciter des associés une augmentation de capital nécessaire à la survie de la société constituait une faute de gestion de nature à engager la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actif[3], et ce bien que l’article L. 223-42 du code de commerce mette cette obligation à la charge de la société (et non du dirigeant).

Cette solution est dans la lignée de la jurisprudence tendant à sanctionner le dirigeant qui ne respecte pas scrupuleusement les dispositions de l’article L. 223-42 du code de commerce.

A titre d’exemple, la Cour d’appel de Paris avait notamment décidé que le fait, pour le gérant, de n’avoir pas consulté les associés afin qu’ils se prononcent sur la poursuite éventuelle de l’activité constitue une faute de gestion justifiant sa condamnation, sur le fondement de l’article L. 651-42, à supporter une partie du passif social[4].

En conclusion, il convient pour les dirigeants de sociétés de veiller au parfait respect de la réglementation applicable, tant les conséquences financières peuvent être lourdes en cas de reconnaissance d’une faute de gestion.

Nous sommes à votre disposition pour vous assister sur la procédure à mettre en œuvre si les capitaux propres de votre société sont devenus inférieurs à la moitié de son capital.


[1] Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 8 septembre 2021, 19-23.187

[2] Rép. min n° 10735 : JO Sénat Q 29 oct. 1971

[3] Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 juillet 2016, 14-23.310, Inédit

[4] CA Paris, 17 février 2009