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Publié le 1 février 2009 par Jean-Luc Soulier

Le glissement progressif du principe de précaution

L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 4 février 2009 condamnant Bouygues Telecom à démonter une antenne-relais à la demande de riverains, a été abondamment commenté par les médias qui y ont vu pour la plupart une juste application du principe de précaution. Il s’agit en réalité d’une décision éminemment critiquable. Qu’on en juge.

1. Une décision critiquable

L’arrêt précise en premier lieu que « l’installation en cause fonctionne dans le respect des normes » définies par la loi. Mais il ajoute aussitôt « qu’un trouble anormal de voisinage étant allégué, le respect des normes, la licéité de l’activité, son utilité pour la collectivité, ne suffisent pas à eux seuls à écarter l’existence d’un trouble ».

De quel trouble s’agit-il? Dans sa démonstration, la Cour d’appel de Versailles tente d’enrôler le Conseil d’Etat: « selon l’arrêt du 11 juin 2004 rendu par le Conseil d’Etat, il résulte d’un rapport remis au gouvernement en 2001 qu’en l’état des connaissances scientifiques, il n’est pas établi que les ondes électromagnétiques auraient des effets non thermiques dangereux pour la santé publique ».

Quelle conséquence en tire-t-elle? S’il n’est pas établi que les ondes ont des effets dangereux pour la santé, il n’a pas été démontré non plus qu’elles n’en ont pas! D’autant, poursuit la Cour, qu’un certain nombre d’études scientifiques mettent en cause les conclusions des experts officiels de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire Environnementale et de l’Organisation Mondiale de la Santé. Elle reconnaît que certaines de ces études non officielles « peuvent être critiquées voire écartées en raison d’une absence de rigueur dans la recherche ou relevé de mesures ». Mais rien n’y fait, le doute a été semé, et le doute impose l’application du principe de précaution.

C’est « l’angoisse créée et subie » par les familles des riverains « du fait de l’installation sur la propriété voisine de cette antenne-relais » qui, selon la Cour, justifie d’ordonner le démantèlement. Davantage, chaque couple de riverains se voit allouer une somme de 7000 euros en réparation du préjudice causé par cette « angoisse », fût-elle fondée sur un risque imaginaire. 

2. Des conséquences absurdes

Les conséquences d’une telle décision peuvent être désastreuses voire absurdes. En pratique, tout riverain d’une antenne-relais pourrait être tenté d’en demander le démantèlement sur le fondement de cet arrêt. Nous pourrions être ainsi le seul pays au monde à ne plus disposer d’un réseau de téléphonie mobile…

En s’appuyant sur des études non officielles dont la rigueur scientifique est discutée, cet arrêt jette, sans doute involontairement, la suspicion sur les organismes officiels de contrôle et les experts indépendants qui les composent.

Enfin, il apporte de l’eau au moulin de ceux qui propagent des peurs irrationnelles pour des motifs qui n’ont souvent rien de scientifiques: entre ceux qui prônent un modèle de société radicalement différent comme José Bové, apôtre de la décroissance, et ceux pour qui toute manipulation génétique, même de plants de maïs ( !), est une atteinte insupportable à l’œuvre de Dieu. La diabolisation des secteurs de la chimie, de l’agrochimie, du nucléaire et des télécommunications est en marche. Notre époque n’est pas prête à accueillir une nouvelle fée Electricité.

3. Une jurisprudence d’opinion

Si un tel arrêt devait faire jurisprudence, des juges plus perméables que d’autres au bruit de fond de l’opinion pourraient se croire investis de la mission de démanteler une filière ou d’interdire la commercialisation d’un produit sur la foi d’études incertaines ou d’affirmations non étayées. Que cette filière ou ce produit soit autorisé et respecte en tout point la réglementation applicable ne pèse alors plus d’aucun poids.

On se souvient de la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel d’Orléans en décembre 2005 au profit de quarante-neuf faucheurs volontaires de plants de maïs transgéniques au motif que: « Les prévenus rapportent la preuve qu’ils ont commis l’infraction de dégradation volontaire pour répondre à l’état de nécessité ». Ce jugement justifiait la commission d’une infraction pénale « pour remédier à la situation de danger » que les champs OGM, pourtant autorisés, feraient courir à l’environnement en invoquant le principe de précaution « à valeur constitutionnelle ».

L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles et le jugement du tribunal correctionnel d’Orléans restent heureusement des décisions isolées. Mais qui sait s’ils ne préfigurent pas un nouveau courant jurisprudentiel justifiant la violation de la loi et des règlements sur des critères plus idéologiques et religieux que scientifiques?

4. Le temps de la méfiance

Comment en sommes nous arrivés là? C’est en fait la conséquence du glissement progressif du principe de précaution d’une simple disposition du code de l’environnement vers un principe constitutionnel via la Charte de l’environnement.

L’article L. 110-1 du Code de l’environnement donnait du principe de précaution la définition suivante: « l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable ».

La notion de « coût économiquement acceptable » est absente de la Charte de l’environnement, laquelle marque un basculement entre une époque qui croyait encore à la science mais voulait en corriger les effets négatifs éventuels et le temps de la méfiance à l’égard des nouvelles technologies et des autorités en charge de les contrôler.

Ce climat de suspicion n’est pas propice au développement sur notre territoire d’activités de recherche. Nous serons peut-être demain le seul pays au monde sans OGM… et sans recherche. Le ciel nous sera alors réellement tombé sur la tête.