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Publié le 1 juin 2010 par Jean-Luc Soulier

Le monde de REACH, an IV

Le règlement européen REACH[1] (plus de 850 pages dans sa version initiale !) en date du 18 décembre 2006 est entré en vigueur le 1er juin 2007. Aux termes de ce règlement, les substances chimiques, telles quelles, entrant dans la composition d’un mélange ou contenues dans un article, en quantité d’au moins une tonne par an doivent désormais faire l’objet d’un enregistrement auprès de l’Agence Européenne des produits chimiques (l’ECHA) créée spécialement à cet effet (elle comporte aujourd’hui plusieurs centaines de salariés)[2].

REACH est un système en perpétuelle évolution. Une dizaine de textes l’ont déjà modifié, adapté, précisé. Le dernier en date est un règlement du 20 mai 2010 publié le 31 mai 2010 au JOUE[3]. Il modifie les exigences concernant l’établissement de la fiche de données de sécurité que tout fournisseur de substance chimique ou de produit contenant une telle substance doit remettre à son cocontractant ou intermédiaire direct.

Quasiment toutes les entreprises sont concernées quelle que soit leur taille ou leur domaine d’activité. En effet, REACH vise non seulement les fabricants, mais aussi les importateurs, les vendeurs, les utilisateurs et les entreprises établies hors de l’Union européenne qui exportent vers le marché communautaire. Ces dernières doivent désigner un représentant exclusif établi dans l’Union européenne pour effectuer les démarches nécessaires auprès de l’ECHA.

Le défaut d’enregistrement d’une substance dans les formes et délais fixés par REACH a pour conséquence de rendre la fabrication et la mise sur le marché des substances ainsi que des mélanges et articles les contenant illicites, avec à la clef un risque de lourdes sanctions pénales.

REACH a également instauré une procédure d’autorisation pour les substances les plus préoccupantes pour la santé humaine et l’environnement.

Ce dispositif nouveau a été complété en 2008 par un règlement relatif à la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances et des mélanges (le règlement CLP)[4], dont le principal objet est d’aligner les dispositions applicables à l’intérieur de l’Union avec le système général harmonisé (SGH) élaboré au sein des Nations unies. Aux termes de ce règlement CLP, les entreprises sont désormais responsables de la classification de leurs produits[5].

Ces deux règlements ont mis en place un mécanisme d’enregistrement, d’autorisation, de classification, d’étiquetage et d’emballage entièrement nouveau qui fait peser désormais sur les entreprises qui produisent, importent, mettent sur le marché ou utilisent une substance chimique (directement, sous forme de mélange ou incorporée dans un article), la responsabilité d’en évaluer et d’en gérer les risques, responsabilité qui reposait auparavant pour l’essentiel sur les autorités administratives des différents Etats membres.

La mise en œuvre des règlements REACH et CLP doit se faire par étapes jusqu’en 2018 en fonction du niveau de risque pour la santé humaine et l’environnement associé à telle ou telle substance chimique et des quantités mises sur le marché par les entreprises.

L’année 2010 est une étape charnière dans cette mise en œuvre. En effet, plus de 25 000 dépôts de dossiers d’enregistrement et plus de 2 millions de notifications de classification et d’étiquetage de substances devraient être effectués cette année auprès de l’ECHA respectivement avant le 1er décembre 2010 et le 3 janvier 2011.

Afin de permettre un étalement des demandes d’enregistrement dans le temps, REACH a prévu une première phase de pré-enregistrement entre les 1er juin et 1er décembre 2008. Seules les substances préenregistrées ont pu bénéficier d’un étalement pour le dépôt de leur dossier d’enregistrement complet jusqu’en 2010, 2013, voire 2018 pour certaines d’entre elles. A l’issue de la période de pré-enregistrement, les substances n’ayant pas été pré-enregistrées ne peuvent plus être fabriquées ni mises sur le marché au sein de l’Union européenne sans satisfaire à la procédure d’enregistrement, sauf pour les entreprises et leurs dirigeants qui contreviendraient à cette interdiction à encourir de lourdes sanctions pénales.

Au cours de cette phase de pré-enregistrement de six mois, l’ECHA a reçu 2,7 millions de dossiers portant sur 143 000 substances et provenant de 65 000 entreprises !

Des changements aussi radicaux dans la gestion des substances chimiques ne sont bien sûr pas sans conséquence pour les entreprises.

Celles-ci doivent tout d’abord gérer la phase d’enregistrement et/ou d’autorisation des substances qu’elles fabriquent, vendent, importent ou utilisent directement ou incorporées dans leurs produits.

Plusieurs entreprises étant susceptibles d’utiliser une même substance, REACH a prévu qu’elles s’organisent en forums d’échanges sur les substances (FEIS) afin de procéder à un enregistrement unique.

Ce système peut être source d’importantes difficultés à plusieurs niveaux : la protection de données sensibles, le respect du droit de la concurrence, les conséquences fiscales (au niveau du partage des coûts qui peuvent être très élevés), et même le traitement comptable des dépenses effectuées au sein des FEIS ou de consortiums constitués pour répondre à l’obligation de se regrouper dans la phase d’enregistrement!

Les entreprises doivent ensuite tirer les conséquences des nouvelles responsabilités qui leur incombent aux termes des règlements REACH et CLP et des textes législatifs et réglementaires des différents Etats membres de l’Union européenne qui ont intégré et adapté leurs principales dispositions:

  • la mise en place d’une veille permanente relative aux problèmes de sécurité posés par les substances chimiques qu’elles utilisent en acquérant des connaissances sur lesdites substances, au besoin en réalisant des essais ;
  • l’évaluation et la modification spontanée de la classification des substances non harmonisées et corrélativement de leur étiquetage ;
  • la mise à jour permanente des données scientifiques relatives aux substances qu’elles utilisent auprès de l’ECHA et des destinataires de leurs produits via la fiche de données de sécurité et l’étiquetage desdits produits ;
  • l’obligation permanente de substituer aux substances les plus préoccupantes des substances moins dangereuses pour l’homme et l’environnement lorsqu’elles existent ;
  • l’adaptation de leurs contrats et de leurs conditions générales de vente pour rappeler à leurs cocontractants leurs obligations d’information et de gestion des risques à l’égard de leurs propres cocontractants dans la chaîne de commercialisation des produits jusqu’à l’utilisateur final ;
  • l’adaptation du document unique d’évaluation des risques professionnels, lequel doit être tenu à la disposition de tous les salariés, afin de prendre en considération tout changement dans la classification des substances chimiques et leur niveau de risque ;
  • l’adaptation des délégations de pouvoir au sein de l’entreprise afin qu’elles intègrent les nouvelles tâches et responsabilités résultant des règlements REACH et CLP 

et j’en passe !

REACH n’a pas prévu de sanction en dehors de l’interdiction de fabriquer, vendre ou importer des substances ou des produits à base de substances qui ne seraient pas valablement enregistrées auprès de l’ECHA ou n’auraient pas obtenu l’autorisation requise pour les substances les plus préoccupantes. L’expression « no data, no market » résume le principe d’interdiction instauré par REACH.

Le choix et la nature des sanctions sont du ressort des différents Etats membres. En France, les contrevenants aux obligations impératives résultant des règlements REACH et CLP s’exposent à une amende de 75 000 euros maximum et une peine de deux ans de prison pour les personnes physiques et à une amende de 375 000 euros maximum pour les entreprises ainsi que des mesures complémentaires telles des fermetures temporaires ou définitives d’installations classées ou des interdictions d’exercer. En comparaison, les peines maximales d’emprisonnement sont de six ans aux Pays-Bas, deux ans au Royaume-Uni et un an en Pologne.

De nombreux agents de l’administration sont habilités à effectuer des contrôles. Les principaux d’entre eux sont les agents de la DGCCRF (qui dépendent du Ministère de Finances), de la DRIRE (en charge de l’inspection des installations classées), des inspections du travail et des douanes. Plusieurs centaines de contrôles, portant notamment sur le respect par les entreprises productrices et importatrices de l’obligation de pré-enregistrement et la tenue des fiches de données de sécurité, avaient été annoncés au début de l’année 2009. Les contrôles devraient se multiplier après le 1er décembre 2010, cette date constituant, on l’a vu, une étape importante du calendrier fixé par REACH.

Nous sommes bien entrés de plein pied dans le Monde de REACH sur fond de principe de précaution, auquel les règlements REACH et CLP se réfèrent expressément. Ce principe ne constitue donc plus une exception française comme au moment de son introduction dans la Constitution en 2005 via la Charte de l’environnement.

 


[1] Règlement 1907/2006 du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques.

[2] Quelques exceptions au règlement REACH dans son ensemble ou à la procédure d’enregistrement sont toutefois prévues.

[3] Règlement 453/2010 du 20 mai 2010 modifiant le règlement 1907/2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH).

[4] Règlement 1272/2008 du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges.

[5] Le règlement CLP prévoit une classification et un étiquetage harmonisés pour certaines substances. Les entreprises ne peuvent décider de classer celles-ci différemment et sont tenues d’utiliser les pictogrammes et mentions de danger et d’avertissement correspondants. A l’inverse, les entreprises sont responsables de la classification et de l’étiquetage des substances non harmonisées et des mélanges.