Responsabilité du fait des produits défectueux : le constat d’un défaut potentiel d’un dispositif médical peut permettre de qualifier de défectueux tous les produits du même groupe ou de la même série de production
La Directive du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (« Directive ») a instauré un régime sans faute selon lequel tout producteur/fabricant est responsable du dommage causé par un défaut de son produit. Pour mettre en œuvre cette responsabilité de « plein droit », la victime est tenue de démontrer le défaut, le dommage et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
Or, par un arrêt du 5 mars 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne a eu l’occasion, dans un litige portant sur des dispositifs médicaux, de se prononcer sur l’interprétation des notions de produit défectueux et de dommage réparable au sens de la Directive.
Il a été considéré en particulier en l’espèce que le constat d’un défaut potentiel des produits appartenant au même groupe ou relevant de la même série de production permet de qualifier de défectueux tous les produits de ce groupe ou de cette série, sans qu’il soit besoin de démontrer le défaut du produit concerné.
En l’espèce, une société américaine fabrique et commercialise des stimulateurs cardiaques ainsi que des défibrillateurs automatiques implantables. Ces appareils ont été notamment importés et vendus en Allemagne.
A la suite de contrôles de qualité ayant révélé l’existence d’un potentiel défaut de modèles des dispositifs médicaux qu’il commercialise, le fabricant a recommandé aux médecins de remplacer les stimulateurs cardiaques implantés sur leurs patients en mettant à la disposition gratuite de ces derniers des appareils de remplacement. S’agissant des défibrillateurs, le fabricant a seulement préconisé de désactiver l’interrupteur magnétique des appareils concernés.
Les organismes d’assurance maladie obligatoire allemands des patients dont le stimulateur cardiaque et le défibrillateur implantable a été remplacé ont assigné le fabricant devant les juridictions allemandes aux fins de remboursement des coûts liés aux opérations de remplacement de ces dispositifs médicaux.
Saisie du litige entre les assureurs et le fabricant, la « Bundesgerichtshof » (Cour fédérale de justice d’Allemagne) a interrogé la CJUE, par renvoi préjudiciel, sur le point de savoir si :
- les stimulateurs cardiaques et les défibrillateurs implantables remplacés peuvent être qualifiés de défectueux au sens de la Directive, alors qu’aucun défaut n’a été spécifiquement constaté sur ces produits, mais que les contrôles de qualité effectués par le fabricant sur des appareils du même modèle ont révélé l’existence d’un défaut potentiel ;
- le coût du remplacement de ces dispositifs médicaux constitue un dommage que le producteur est tenu de rembourser au titre de la Directive.
1. Sur la portée du défaut potentiel d’un dispositif médical sur les produits appartenant au même groupe ou à la même série
La première question préjudicielle posée à la CJUE consistait à déterminer « en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 85/374 doit être interprété en ce sens que le constat d’un défaut potentiel des produits appartenant au même groupe ou relevant de la même série de production, tels que les stimulateurs cardiaques et les défibrillateurs automatiques implantables, permet de qualifier de défectueux un tel produit sans qu’il soit besoin de constater dans ce produit ce défaut. »
Rappelons qu’il ressort de l’article 6 par. 1 de la Directive qu’un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances, et notamment de la présentation du produit, de l’usage du produit qui peut être raisonnablement attendu ou du moment de la mise en circulation du produit.
Sur la base de cette définition, le CJUE rappelle que la sécurité à laquelle « le grand public » peut légitimement s’attendre doit être appréciée en tenant compte « notamment de la destination, des caractéristiques et des propriétés objectives du produit en cause ainsi que des spécificités ».
S’agissant des dispositifs médicaux mis en cause dans ce litige, la CJUE constate que « eu égard à leur fonction et à la situation de particulière vulnérabilité des patients qui utilisent lesdits dispositifs, les exigences de sécurité relatives à ceux-ci auxquelles de tels patients peuvent légitimement s’attendre sont particulièrement élevées. »
Il est également relevé que le défaut potentiel de sécurité de ce type de produits réside « dans la potentialité anormale de dommage que ceux-ci sont susceptibles de causer à la personne ».
Au regard de ces considérations, la CJUE retient que l’article 6, paragraphe 1, de la Directive doit être interprété en ce sens que « le constat d’un défaut potentiel des produits appartenant au même groupe ou relevant de la même série de la production, tels que les stimulateurs cardiaques et les défibrillateurs automatiques implantables, permet de qualifier de défectueux un tel produit sans qu’il soit besoin de constater dans ce produit ledit défaut. »
La CJUE a par conséquent considéré en l’espèce que le constat d’un défaut potentiel des stimulateurs cardiaques et des défibrillateurs implantables appartenant au même groupe ou relevant de la même série de production permet de qualifier de défectueux tous produits de ce groupe ou de cette série, et ce sans qu’il soit nécessaire de démontrer le défaut du produit concerné.
Cette solution retenue par le CJUE, qui revient à dispenser de démontrer le défaut du produit concerné à l’origine du dommage, ne devrait pas être généralisée à tous types de produits. En effet, la CJUE a relevé dans son arrêt cette présomption de défectuosité en prenant notamment en considération les spécificités des produits, la vulnérabilité particulière des patients ainsi que les exigences de sécurité « particulièrement élevées » relatives aux produits de l’espèce.
Cependant, cette solution pourrait être applicable à un grand nombre de dispositifs médicaux, voire même à d’autres types de produits, dont le taux de défaillance devrait être proche de zéro compte tenu du risque vital encouru par les utilisateurs en cas de défectuosité de ces produits.
2. Sur l’appréciation large du dommage réparable au titre de la Directive
La seconde question posée à la CJUE dans cette affaire consistait à savoir « en substance, si les articles 1er et 9, premier alinéa, sous a), de la directive 85/374 doivent être interprétés en ce sens que le dommage causé par une opération chirurgicale de remplacement d’un produit défectueux, tel qu’un stimulateur cardiaque ou un défibrillateur automatique implantable, constitue un «dommage causé par la mort ou par des lésions corporelles», dont le producteur est responsable. »
Il ressort des dispositions de la Directive visées par cette question préjudicielle que le producteur est responsable du « dommage causé par la mort ou par des lésions corporelles » qui sont la conséquence du défaut de son produit.
A cet égard, la CJUE indique que la notion de dommage causé par la mort ou par des lésions corporelles au sens de la Directive doit recevoir une interprétation large et que « la réparation du dommage porte ainsi sur tout ce qui est nécessaire pour éliminer les conséquences dommageables et pour rétablir le niveau de sécurité à laquelle l’on peut légitimement s’attendre (…)».
En conséquence, il est considéré dans cet arrêt par la CJUE que « dans le cas de dispositifs médicaux, tels que les stimulateurs cardiaques et les défibrillateurs automatiques implantables, défectueux au sens de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, la réparation du dommage devrait notamment couvrir les coûts liés au remplacement du produit défectueux. »
Constatant que le fabricant avait recommandé aux médecins de remplacer les stimulateurs cardiaques concernés, la CJUE juge que les coûts liés à l’échange de ces appareils, y compris les coûts des opérations chirurgicales, constituent un dommage que le fabricant est tenu de réparer.
S’agissant des défibrillateurs automatiques implantables, la CJUE, relevant que le fabricant avait seulement recommandé de désactiver l’interrupteur magnétique de ces appareils, a considéré qu’il appartient à la juridiction allemande d’apprécier si, « compte tenu de la situation de particulière vulnérabilité des patients qui utilisent un défibrillateur automatique implantable, une telle désactivation est propre à éliminer le défaut de ce produit tenant dans le risque anormal de dommage qu’il fait encourir aux patients concernés ou si un remplacement de ce produit est nécessaire pour éliminer ce défaut ».
La CJUE a ainsi confirmé que la notion de dommage que le producteur est tenu de réparer au titre de la Directive doit être interprétée de manière large. Il ressort notamment de cet arrêt que le dommage causé par une opération chirurgicale aux fins de remplacement d’un produit défectueux devrait être indemnisé par le fabricant dès lors que cette opération est nécessaire pour éliminer le défaut du produit considéré.