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Publié le 18 décembre 2014 par Soulier Avocats

Les réseaux de distribution à l’épreuve de la fiscalité internationale

Aussi bien le choix de la méthode de commercialisation que la réorganisation des fonctions commerciales peuvent être source de discussions avec l’administration fiscale lorsque leur mise en œuvre conduit à une érosion de la base d’imposition en France.
Au vu des développements récents de la jurisprudence fiscale, un rapide tour d’horizon des écueils à éviter paraissait nécessaire.

Avec plus de 65 millions d’habitants, la France est le 5e marché mondial et le second marché en Europe. Elle reste aussi la 1re destination touristique mondiale avec environ 79 millions de visiteurs par an[1]; aussi l’implantation commerciale en France peut se révéler un enjeu important pour les entreprises étrangères.

Les mécanismes de commercialisation sont relativement variés et peuvent être source de discussions avec l’administration fiscale lorsque leur mise en œuvre conduit à une érosion de la base d’imposition en France.

 

1.Les grandes notions fiscales qui impactent les circuits de distribution internationaux

Les instruments de contrôle des groupes internationaux mis en œuvre par l’administration fiscale française s’agrègent principalement autour de deux notions : (i) l’établissement stable et (ii) les prix de transfert.

(i)     Un établissement stable est constitué soit par une installation fixe d’affaires à partir de laquelle l’entreprise exerce tout ou partie de l’activité, ou à défaut d’installation fixe, par un agent dépendant ayant le pouvoir d’engager l’entreprise à titre habituel.

Si l’administration fiscale arrive à démontrer l’existence d’un établissement stable en France, elle peut imposer en France une partie du résultat réalisé par la société mère étrangère

 

(ii)    Selon la définition de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), les prix de transfert sont « les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées ».

Si l’administration peut établir le transfert de bénéfices, elle pourra les imposer en France au taux normal de l’impôt sur les sociétés, puis le cas échéant appliquer une retenue à la source considérant que la somme a été distribuée à la société mère étrangère.

 

2. Recours à un distributeur

Le distributeur est celui qui agit en son nom propre et pour son compte personnel en se portant acheteur des produits du fournisseur qu’il revend à sa clientèle. Cette situation décrit le schéma classique d’achat – revente  où le distributeur est rémunéré par la marge brute réalisée lors de la vente.

Lorsque le distributeur est une entreprise liée à un groupe étranger, il existe un risque que l’administration considère que les prix convenus diffèrent de ceux qui auraient été pratiqués entre deux sociétés indépendantes et qu’il en résulte un transfert de bénéfice entre ces deux sociétés.

Pour se prémunir de ce risque les entreprises concernées doivent établir et conserver tous les éléments de nature à justifier la politique de prix de transfert pratiquée, notamment les documentations fiscales appropriées.

 

3. Recours à un représentant : commissionnaire ou agent commercial

Le commissionnaire s’engage à l’égard d’un commettant (le producteur) à vendre un produit ou un service en son nom propre pour le compte du commettant. Le commissionnaire conclut le contrat avec le client final, pour autant il ne devient jamais propriétaire du bien vendu[2].

L’agent commercial s’engage, de façon permanente, à négocier voire conclure des contrats au nom et pour le compte de son mandant (le producteur)[3].

L’agent commercial et le commissionnaire sont rémunérés par des commissions.

 

(i) Le représentant : un établissement stable caché ?

L’administration fiscale a tenté, par le passé, de qualifier un commissionnaire français d’une société étrangère en établissement stable de son commettant. Selon l’administration, la société commissionnaire constituait un agent dépendant de la société étrangère habilité à engager la mère dans une relation commerciale, la société remplissant ainsi tous les critères de l’établissement stable.

En revanche, le Conseil d’État[4] saisi du litige en dernier ressort s’est rangé du côté du commettant, car « il ne résulte pas de ces stipulations que les contrats conclus par la société Zimmer SAS (le commissionnaire) engageraient la SOCIETE ZIMMER LIMITED (le commettant) à l’égard de ses cocontractants ; qu’ainsi, quel que soit le degré de dépendance vis-à-vis de la SOCIETE ZIMMER LIMITED, la société Zimmer SAS ne peut être regardée comme un agent de la SOCIETE ZIMMER LIMITED ».

L’un des critères principaux que le Conseil d’État retient pour refuser l’existence d’un établissement stable est que l’agent commercial ou le commissionnaire n’a pas le pouvoir d’engager le commettant / mandant vis-à-vis du client final.

 Pour la mise en place de ces contrats, il convient d’être particulièrement attentif à la régularité juridique et aux stipulations contractuelles afin de ne pas voir l’agent commercial ou le commissionnaire requalifié en établissement stable.

 

(ii) La commission : un prix de transfert ?

Dans la mesure où les représentants ne deviennent jamais dans ces mécanismes propriétaires des marchandises, le risque porte principalement sur le montant de la commission qui leur est attribuée.

La filiale (commissionnaire ou agent commercial) doit être en mesure d’établir que la rémunération reçue du groupe est conforme à la rémunération qu’elle aurait perçue d’une société indépendante, conformément au principe de pleine concurrence.

Pour se prémunir de ce risque les entreprises concernées doivent établir et conserver tous les éléments de nature à justifier la politique de prix de transfert pratiquée, notamment les documentations fiscales appropriées.

Lorsqu’un mécanisme de commercialisation efficace a été mis en place, il est généralement plus sûr de s’y conformer, car la réorganisation au sein d’un groupe international des fonctions commerciales peut s’avérer risquée fiscalement.

 

4. La réorganisation des fonctions commerciales

L’OCDE définit les réorganisations d’entreprises comme impliquant un redéploiement transnational des fonctions, actifs ou risque, entre entreprises liées.

En pratique s’agissant des circuits de commercialisation, sont généralement concernées les réorganisations qui entraînent la transformation de distributeurs de plein exercice en commissionnaire ou agent commercial agissant pour le compte d’une entité liée.

L’administration fiscale française a considéré que le distributeur dans ces hypothèses avait transféré sa clientèle.

Cette requalification en cession pourrait entraîner (i) le paiement de droits d’enregistrement calculés sur la valeur vénale de la clientèle réputée cédée[5] et (ii) un redressement au titre des prix de transfert à savoir l’imposition de la « plus-value » théorique réalisée par la filiale française au taux normal de l’impôt sur les sociétés (33.1/3%), puis de la prétendue distribution faite à la mère étrangère.

Dans une affaire toujours en cours, l’administration fiscale s’est fondée sur ces principes pour redresser une filiale française d’une société de droit anglais qui exerçait une activité de distributeur avant d’être transformé en commissionnaire. L’administration essaie de démontrer qu’il y a eu transfert de la clientèle du distributeur à sa mère anglaise.

La Cour administrative d’appel de Paris[6] a considéré en l’espèce « qu’eu égard à la nature du contrat de commissionnaire, lequel n’est pas un contrat autonome, mais le préalable à la conclusion d’autres contrats qu’elle [la société commissionnaire] signe en son nom propre pour le compte de son commettant, la société Ballantine’s Mumm Distribution, ne peut être regardée comme ayant transféré sa clientèle locale ».

En effet, juridiquement, le commissionnaire agit en son nom propre et masque le commettant aux yeux du client qui n’a pas de rapport juridique avec ce dernier, il est le seul personnellement engagé vis-à-vis de l’acheteur final[7]. La Cour administrative d’appel de Paris a donc considéré que le commissionnaire avait conservé sa clientèle.

La solution en l’espèce aurait probablement été différente si le distributeur propriétaire de la clientèle avait été transformé en agent commercial, qui est lui un intermédiaire transparent nullement engagé dans la transaction avec le client final.

Toutefois malgré la solidité apparente du raisonnement de la Cour administrative d’appel de Paris, l’administration fiscale a choisi de se pourvoir en cassation.

Le débat qui va continuer d’opposer l’administration fiscale et les entreprises porte essentiellement sur la propriété de la clientèle, à savoir si la réorganisation a eu pour objet ou pour effet de transférer la clientèle à la société étrangère.

Par ailleurs, le changement de statut de la filiale française entraîne un changement d’activité réelle et la perte des déficits générés préalablement au changement d’activité.

En conséquence, et plus encore que pour le choix du circuit de distribution, les incidences fiscales doivent être soigneusement étudiées lors de la réorganisation des fonctions commerciales d’un groupe international pour en minimiser le coût et circonscrire les risques.

 

 

[1] Source Agence pour l’investissement en France

[2] Le statut du commissionnaire est définit par l’article L 132-1 du Code de commerce

[3] Le statut de l’agent commercial est définit par l’article L134-1 du Code de commerce

[4] Conseil d’État 10 et 9e s.-s., 31 mars 2012 Sté Zimmer Ltd

[5] En dessous de 23 000€ exonéré, de 23 000€à 200 000€ 3%, 5% au-delà de 200000€

[6] CAA Paris 9e ch. 31 décembre 2012, Sté des participations et d’études des boissons sans alcool

[7] Jurisprudence constante de la Cour de cassation (par exemple Cass. Com. 15 juillet 1963)