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Publié le 28 janvier 2015 par Soulier Avocats

Rupture brutale de relation commerciale établie : le caractère d’ordre public de l’article L. 442-6 du Code de commerce n’empêche pas les parties de transiger sur les modalités de la rupture ou l’indemnisation de celle-ci

Il n’est nul besoin de rappeler le caractère d’ordre public de la responsabilité délictuelle encourue par l’auteur d’une rupture brutale de relation commerciale établie, délit civil prévu et sanctionné par l’article L. 442-6 I 5e du Code de commerce.

Ces dispositions d’ordre public ont pour effet d’interdire aux parties d’y renoncer de manière contractuelle.

Néanmoins, les parties peuvent convenir des modalités de la rupture de leur relation commerciale et de l’indemnisation du préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture. C’est cette précision qu’a apportée la Cour de cassation dans un arrêt récent du 16 décembre 20141.

1. Rappel des faits de l’arrêt commenté

En l’espèce, un fabricant de meubles entretenait avec son distributeur des relations commerciales depuis 1993. Début 2009, le distributeur avait lancé un appel d’offres pour la production de ses gammes de meubles et invité son fabricant à y participer. Le distributeur avait également informé son fabricant que ses achats allaient diminuer entre septembre 2009 et août 2010. Les parties avaient régularisé un protocole d’accord en juillet 2009 prévoyant le versement d’une indemnité par le distributeur au fabricant destinée à compenser la baisse des achats. Finalement, le fabricant avait remporté l’appel d’offres mais pour des volumes et un chiffre d’affaires prévisionnels inférieurs. Les parties avaient alors convenu, en décembre 2009, de reporter l’application du résultat de l’appel d’offres et de poursuivre leurs relations aux mêmes conditions de prix et de volume jusqu’à la fin du mois d’août 2010. Fin août 2010 les parties avaient finalement conclu un accord prévoyant la fin de leur collaboration entre le 1er septembre 2010 et le 31 décembre 2012 assorti d’un engagement d’approvisionnement en diminution progressive sur cette même période.

Le fabricant avait ensuite assigné son distributeur en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale de leur relation commerciale établie.

Fait notable, le Ministre chargé de l’économie était intervenu à la procédure et avait sollicité la condamnation du distributeur au paiement d’une amende civile, comme le lui permet l’article L. 442-6 III du Code de commerce.

En appel, le distributeur avait vu sa responsabilité civile délictuelle engagée au titre de l’article L. 442-6 I 5e. Il avait été condamné au paiement de dommages et intérêts et d’une amende civile.

2. L’arrêt du 16 décembre 2014

Contrairement à ce qui avait été jugé en appel, la Haute Juridiction a considéré que ne constituait pas une rupture fautive de la relation commerciale le fait pour le distributeur d’avoir diminué progressivement ses achats auprès du fabricant au cours des préavis notifiés d’abord en janvier 20092, puis en août 2010.

En effet, selon la Cour de cassation, les Juges d’appel n’avaient pas à contrôler le respect de la réalité des préavis au regard des volumes d’échanges pendant leur durée, dès lors que les parties s’étaient entendues en premier lieu sur le montant d’une indemnité versée au fabricant destinée à compenser la rupture partielle de leur relation commerciale, et en second lieu sur le dénouement progressif de cette relation. 

3. La portée de l’arrêt du 16 décembre 2014 

Par cet arrêt, la Haute Juridiction délimite le champ d’application de l’article L. 442-6 I 5e

En effet, pour mémoire, cet article sanctionne la brutalité de la rupture, c’est-à-dire la rupture « imprévisible, soudaine et violente »3, qui ne s’accompagne pas d’un préavis écrit et suffisant tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords professionnels. 

Toujours sur le fondement de cet article, la jurisprudence sanctionne la rupture brutale partielle de la relation commerciale, laquelle peut notamment se matérialiser par une interruption des livraisons4, un déréférencement de plusieurs produits, ou encore une modification d’un élément essentiel du contrat, de manière unilatérale et sans préavis suffisant, par l’une des parties.

Même en présence d’un préavis prévu contractuellement, le juge peut, sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5e, l’écarter s’il le juge insuffisant au regard de la durée et des circonstances de la relation5. Les dispositions d’ordre public de l’article L. 442-6 I 5e prévalent alors sur la loi des parties.

Excepté en cas de faute grave ou cas de force majeure6, les parties ne peuvent par avance s’exonérer de leur responsabilité délictuelle à ce titre.

En revanche, il ressort de l’arrêt commenté que les parties peuvent d’un commun accord décider de mettre un terme à leur relation commerciale et s’accorder sur les modalités de cette rupture, en prévoyant notamment une diminution progressive de leurs échanges et le versement d’une indemnité en contrepartie. Un tel accord va à l’encontre de toute brutalité dans la rupture. 

La liberté contractuelle reprend alors le dessus sur l’article L. 442-6 I 5e. Les juges ne peuvent s’immiscer dans la loi des parties – sous réserve bien entendu de toute éventuelle pression que l’une des parties pourrait avoir exercée sur l’autre partie dans le cadre des négociations de l’accord et qui autoriserait les juges à écarter l’application dudit accord sur le fondement, par exemple, des dispositions légales relatives aux vices du consentement (violence), ou encore d’autres dispositions d’ordre public de l’article L. 442-6 I sanctionnant les pratiques commerciales abusives (telles que la soumission d’un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, ou encore l’obtention, sous la menace d’une rupture brutale totale ou partielle de la relation, de conditions commerciales manifestement abusives9).

La prudence reste donc de mise lors de la rédaction d’accords mettant fin à une relation commerciale établie.

 

1 Cass. Com., 16.12.2014, n°13-21363.

2 La notification par une partie à son partenaire commercial de son recours à un appel d’offres pour choisir ses futurs partenaires manifeste son intention de ne pas poursuivre leurs relations commerciales dans les conditions antérieures et fait ainsi courir le délai de préavis : Cass. Com, 6 juin 2001, n°99-20831.

3 CA Montpellier, 11 août 1999 : D. 2001. Somm. 298, obs. Ferrier.

4 Cass. Com., 11 septembre 2012, n°11-14620.

5 Cass. Com., 20 mai 2014, n°13-16398.

6 Aux termes de l’article L. 442-6 I 5e du Code de commerce, seules deux hypothèses autorisent une partie à rompre une relation commerciale sans préavis : (i) en cas d’inexécution fautive par l’autre partie de ses obligations, la faute devant toutefois revêtir un caractère de gravité suffisant pour justifier une rupture sans préavis, et (ii) en présence d’un évènement de force majeure, c’est-à-dire irrésistible, imprévisible et extérieur aux parties.

7 Articles 1111 et suivants du Code civil.

8 Article L. 442-6 I 2e du Code de commerce.

9 Article L. 442-6 I 4e du Code de commerce.