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Publié le 26 mai 2020 par Jean-Luc Soulier

Coronavirus Covid-19: Force majeure ou imprévision il ne faut pas choisir

Une partie à un contrat commercial peut-elle échapper à ses obligations en raison des bouleversements économiques provoqués par la pandémie Covid-19 ?

La réponse à cette question, qui intéresse les entreprises de toutes tailles, doit être recherchée dans le nouveau droit des contrats instauré par l’ordonnance du 10 février 2016.

Pendant longtemps a prévalu le principe selon lequel une partie ne pouvait être exonérée de son obligation que si son exécution était rendue impossible par un évènement de force majeure, lequel devait répondre à trois conditions : imprévisibilité, irrésistibilité et extériorité (cette dernière condition ayant été abandonnée par la Cour de cassation en Assemblée plénière en 2006).

Un bouleversement imprévisible des conditions économiques n’étant pas en soi considéré comme un évènement de force majeure, le juge était dans l’impossibilité de réviser le contrat pour imprévision en raison du principe sacro-saint de l’intangibilité des contrats. Et tant pis si la conséquence était la disparition d’une entreprise.

Rétrospectivement, l’ordonnance de 2016 semble avoir été créée pour offrir une caisse à outils aux entreprises menacées par les bouleversements économiques provoqués par la pandémie et ses conséquences.

Si le principe selon lequel le contrat est la loi des parties est rappelé par le nouvel article 1103 dans des termes quasi-identiques à ceux du premier alinéa de l’ancien article 1134, plusieurs dispositions accordent désormais au juge le droit d’intervenir en cas de trop grand déséquilibre dans les obligations des parties dû à un évènement ou un changement de circonstances  imprévisible.

Aux termes du nouvel article 1195, lorsqu’un « changement de circonstances imprévisible » rend l’exécution du contrat « excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque», celle-ci a désormais la faculté de demander la renégociation du contrat à son cocontractant. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge a la possibilité de réviser le contrat ou d’y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe.

Autre changement majeur : aux termes du nouvel article 1104, le principe selon lequel les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi a désormais un caractère d’ordre public, quand l’alinéa 3 de l’ancien article 1134 indiquait simplement que les conventions légalement formées devaient être exécutées de bonne foi.

Le nouvel article 1218 sur la force majeure vise pour sa part « tout évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées. »

Une crise sanitaire mondiale échappe sans conteste au contrôle d’un cocontractant débiteur d’une obligation et peut avoir des effets de nature économique dévastateurs qu’aucune « mesure appropriée » ne peut éviter.

Les entreprises qui ne peuvent faire face à leurs obligations du fait de la pandémie Covid-19 et de ses conséquences s’interrogent : doivent-elles se prévaloir de la force majeure ou de l’imprévision ?

Le choix n’est pas anodin.

 Celui qui invoque l’imprévision peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant et, si les négociations échouent, il peut demander au juge de réviser le contrat ou d’y mettre fin. Problème: pendant le temps de la renégociation, il doit continuer d’exécuter ses obligations. Deuxième problème : obtenir une décision du juge révisant le contrat ou y mettant fin peut prendre plusieurs mois.

Se placer sur le terrain de la force majeure permet en revanche de cesser d’exécuter ses obligations sans être contraint d’engager des négociations et sans qu’il soit besoin de requérir l’intervention du juge.

La force majeure et l’imprévision ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Le cocontractant qui ne peut faire face à ses obligations en raison des bouleversements économiques provoqués par la pandémie Covid-19 peut donc notifier l’évènement de force majeure à l’autre partie tout en l’invitant à négocier une révision des termes du contrat.

Et si l’autre partie fait la sourde oreille, un rappel de l’obligation d’ordre public d’exécuter les contrats de bonne foi devrait être de nature à la ramener à la raison. En effet, il ne fait guère de doute qu’un juge qualifierait de mauvaise foi le refus de renégocier les termes d’un contrat dont l’exécution serait devenue excessivement onéreuse du fait des conséquences économiques de la crise sanitaire. Et l’obligation de bonne foi étant une obligation d’ordre public, la partie qui refuserait de tenir compte de la situation nouvelle créée par la pandémie ne pourrait se prévaloir de dispositions contractuelles pour tenter de s’en exonérer.