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Publié le 7 avril 2020 par Anaëlle Idjeri

Coronavirus Covid-19 et contrats commerciaux: Quelle stratégie adopter?

La pandémie actuelle de Coronavirus affecte de nombreux opérateurs économiques intervenant dans des secteurs industriels diversifiés et les conduit à s’interroger sur leur capacité à satisfaire leurs obligations contractuelles.

Si certains s’interrogent sur les mécanismes pouvant être invoqués pour se dispenser ou aménager des obligations dont l’exécution est devenue difficile, excessivement onéreuse voire impossible, d’autres en revanche souhaiteraient s’opposer à la mise en œuvre de tels mécanismes.

La possibilité pour un opérateur économique de s’exonérer de l’une de ses obligations, de l’adapter et plus généralement, de s’exposer à un risque de voir sa responsabilité engagée dans le cadre de la pandémie actuelle devra être analysée au regard des stipulations contractuelles et des spécificités de la relation.

Analyse préliminaire

Avant toute chose et indépendamment du fondement juridique qui pourrait être invoqué, il est recommandé de procéder à une analyse minutieuse des contrats concernés afin de déterminer les droits et obligations de chacun des contractants ainsi que le formalisme éventuellement prévu pour la mise en œuvre de l’une des dispositions contractuelles ou légales applicables.

En tout état de cause, les circonstances actuelles ne sauraient permettre à un opérateur économique de faire un usage déloyal de ses prérogatives contractuelles.

A titre d’exemple, les vérifications suivantes pourraient notamment être réalisées :

  • L’existence de stipulations essentielles pouvant être affectées par ou mises en œuvre au regard des circonstances actuelles (par exemple, clause de force majeure, clause relative à l’imprévision, clause de renégociation, clause d’adaptation, clause de révision, etc.) ;
  • L’existence d’un formalisme particulier pour toute notification ;
  • L’existence d’obligations d’information devant être mises en œuvre en raison de l’évolution des circonstances ;
  • La possibilité d’exécuter l’obligation en cause par des moyens alternatifs ;
  • L’existence de toute stipulation sanctionnant une inexécution et/ou un retard dans l’exécution[1] ;
  • Les spécificités de la clause de résolution des litiges, en ce inclus toute mise en demeure préalable, afin d’anticiper tout éventuel contentieux, etc.

Le cocontractant doit également s’interroger sur le fait de savoir si l’épidémie empêche toute exécution des obligations ou si elle les retarde simplement.

Selon les spécificités de la relation, une renégociation ou adaptation amiable des clauses contractuelles dans l’intérêt des deux parties pourrait être envisagée, en explicitant notamment les difficultés auxquelles chacune fait face et notamment en informant son cocontractant de toute éventuelle réglementation locale l’affectant.

La force majeure peut-elle être invoquée ?

Il y a force majeure contractuelle en droit français « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur (…) » (Article 1218 du code civil).

Trois critères sont ainsi classiquement exigés par les juges français pour l’application de la force majeure en matière contractuelle et doivent être appréciés au cas par cas :

  • L’irrésistibilité, c’est-à-dire l’impossibilité pour le débiteur d’exécuter son obligation ;
  • L’imprévisibilité, l’évènement ne pouvait pas être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat; et
  • L’extériorité, l’évènement échappe au contrôle du débiteur.

Les parties à un contrat de droit français pouvant aménager contractuellement les évènements susceptibles de constituer un cas de force majeure voire de renoncer à s’en prévaloir, toute invocation d’un cas de force majeure doit être appréciée à la lumière des stipulations contractuelles.

Il conviendra de vérifier les possibilités offertes à chacune s’agissant notamment de l’éventuelle suspension de l’exécution des obligations et des circonstances le permettant.

En l’absence de clause spécifique, les dispositions du code civil relatives à la force majeure trouveront à s’appliquer.

S’agissant en particulier de la possibilité de considérer l’épidémie de Covid-19 comme un cas de force majeure, il doit être souligné que la jurisprudence s’est jusqu’à présent montrée réticente à considérer qu’une épidémie puisse constituer un cas de force majeure. Ainsi, la grippe H1N1, le SRAS, le Chikungunya ou encore le bacille de la peste n’ont pas été considérés comme des cas de force majeure[2].

L’ampleur et la gravité de la pandémie actuelle pourraient cependant jouer en faveur de la caractérisation d’un évènement de force majeure, s’agissant notamment du caractère d’imprévisibilité.

Par un récent arrêt, la Cour d’appel de Colmar s’est d’ailleurs prononcée sur le caractère de force majeure de l’épidémie de Covid-19[3]. Ceci étant, si cette décision intervient en matière de rétention administrative et dans des circonstances particulières, elle rappelle que la force majeure s’apprécie au cas par cas.

Ainsi, le contractant invoquant la force majeure devra démontrer (i) l’existence d’un lien de causalité direct entre l’épidémie et l’impossibilité d’exécuter son obligation et (ii) qu’il a accompli l’ensemble des diligences nécessaires pour éviter que l’évènement ne se réalise et en surmonter les conséquences une fois l’évènement survenu[4].  

Il sera également nécessaire de démontrer que l’épidémie rend l’exécution de l’obligation impossible, étant au demeurant rappelé que la force majeure n’a pas vocation à s’appliquer en matière de créance de somme d’argent. La Cour de cassation a ainsi pu rappeler que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut pas s’exonérer en invoquant un cas de force majeure ».

Dans un tel cas, il semblera alors plus opportun d’engager une discussion amiable avec son cocontractant voire d’invoquer une éventuelle clause d’imprévision afin de solliciter une renégociation.

En revanche, si l’obligation, par exemple de production, est réellement rendue impossible par l’épidémie, notamment car les activités ne peuvent plus être réalisées en raison des différentes mesures prises par les autorités qui auraient, par exemple, désorganisé son activité, il semble alors envisageable de se prévaloir d’un cas de force majeure.

En tout état de cause, la possibilité d’invoquer la force majeure devra être analysée au regard, notamment, de la date de conclusion ou de renouvellement du contrat. Etant précisé que lorsque le contrat a été conclu ou renouvelé après que l’épidémie soit apparue, il est à craindre que la force majeure ne puisse être invoquée puisqu’elle était alors connue et la condition d’imprévisibilité ne pourrait être considérée comme remplie.

Dans ce cas, un opérateur économique pourrait néanmoins soutenir que l’ensemble des mesures de police administrative prises par le Gouvernement, impliquant notamment une fermeture des frontières et un arrêt de certaines activités économiques, sont constitutives d’un fait du prince rendant l’exécution de leurs obligations juridiquement impossible[5]. Etant précisé que la théorie du fait du prince produit les mêmes effets que la force majeure.

Sous réserve de dispositions contractuelles spécifiques, la force majeure permet une suspension des obligations jusqu’à la disparition de l’évènement lorsque l’empêchement est temporaire, à la condition que l’exécution de l’obligation conserve son sens à l’issue de l’épidémie. Dans cette hypothèse, les obligations seront suspendues sans que le cocontractant ne puisse demander réparation du préjudice ainsi subi.

En revanche, lorsque l’empêchement est définitif, par exemple car la marchandise est détruite, le contrat est résolu de plein droit. Dans le cadre d’une chaîne de contrats, il faudra alors démontrer pour chacun d’entre eux l’existence d’un cas de force majeure.

Lorsque seule une partie des obligations a été exécutée, la question d’une éventuelle restitution des sommes déjà versées et libération des obligations réciproques restant à exécution, devra être analysée minutieusement et une réponse spécifique devra être apportée à chaque situation[6].

L’imprévision peut-elle être invoquée ?

Lorsqu’un évènement ne remplit pas les conditions de la force majeure mais rend l’exécution de l’obligation plus onéreuse, voire impossible, le cocontractant peut sur le fondement de l’imprévision demander une renégociation du contrat, voire une révision ou résiliation judiciaire (Article 1195 du code civil).

Si à l’instar de la force majeure, l’imprévision suppose un changement de circonstances imprévisible au moment de la conclusion du contrat, ce changement ne rend cependant pas l’exécution impossible mais seulement « excessivement onéreuse » pour l’une des parties.A notre sens, l’imprévision devrait donc trouver à s’appliquer lorsqu’il existe une difficulté financière d’exécuter l’obligation.

Ceci étant, l’imprévision ayant été introduite dans le code civil par l’ordonnance portant réforme du droit des contrats dont les dispositions ne trouvent à s’appliquer qu’aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, il convient d’opérer une distinction entre les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 et ceux conclus ou renouvelés depuis.

Pour schématiser,

  • S’agissant des contrats conclus avant le 1er octobre 2016, les nouvelles dispositions du code civil sont inapplicables. Dans ce cas, il convient d’analyser scrupuleusement le contrat afin de vérifier qu’aucune autre disposition ne puisse être invoquée (par exemple, une clause de renégociation).

Ceci étant, il convient de souligner que si la jurisprudence antérieure à la réforme du droit des contrats considérait que les contrats étaient intangibles et qu’il n’appartenait pas aux juges de les modifier en fonction de l’évolution des circonstances, elle a pu à certaines occasions admettre une adaptation du contrat, voire une obligation de renégocier. 

L’exigence de bonne foi contractuelle peut en effet conduire à une obligation de renégociation du contrat dont le manquement pourra être sanctionné sur le terrain de la responsabilité contractuelle.

A titre d’illustration, la jurisprudence a pu admettre une adaptation du contrat lorsque l’évolution des circonstances économiques avait eu pour effet de déséquilibrer l’économie générale du contrat privant de toute contrepartie réelle l’engagement de l’une des parties et rendant l’obligation contestable[7]. De manière plus expresse encore, la Cour de cassation a pu retenir que « la loyauté imposait de négocier, si le protocole d’accord s’avérait difficilement réalisable, et de proposer des conditions acceptables »[8].

En particulier, dans le cadre d’un contrat de fourniture, la jurisprudence a également pu retenir pour inviter les parties à renégocier leur contrat qu’une modification législative, imprévisible pour les parties, impose une révision du contrat de fourniture dans l’intérêt des contractants. La Cour d’appel de Nancy a ainsi relevé que « la doctrine a d’ailleurs donné à l’obligation d’exécuter les conventions de bonne foi une dimension nouvelle en considérant qu’ « au-delà des intérêts particuliers de chacun, une recherche de l’intérêt commun (voire du bien commun) doit animer les cocontractants » et que « l’éthique individualiste doit céder partiellement le pas à une justice contractuelle, faite de solidarité » [9]

  • S’agissant des contrats conclus après le 1er octobre 2016, il apparait nécessaire de distinguer selon que le contrat contient une clause aménageant, excluant ou ne prévoit pas l’imprévision.

Lorsque le contrat contient une clause aménageant l’imprévision, il conviendra de se référer aux conditions prévues par le contrat, lesquelles trouveront à s’appliquer sauf à ce qu’elles soient invalides. En effet, la jurisprudence se réfère strictement aux provisions contractuelles stipulées entre les parties.

Lorsque le contrat contient une clause excluant l’imprévision, la révision pour imprévision est impossible. Toute invocation par l’une des parties pourrait être considérée comme constituant une exécution de mauvaise foi du contrat.

Si le contrat ne contient pas de clause d’imprévision, les dispositions du code civil pourront s’appliquer.

A notre sens, lorsqu’un opérateur économique envisage d’invoquer l’imprévision, il est recommandé d’analyser scrupuleusement l’ensemble des stipulations contractuelles et de s’assurer que les conditions sont réunies. Si les conditions sont réunies, il semble alors possible d’invoquer l’imprévision, étant précisé qu’elles doivent continuer à exécuter leurs obligations contractuelles.

Ceci étant, les obligations découlant de l’imprévision et la longueur des négociations qu’elle implique, pourront être en décalage avec les intérêts économiques des parties.

Les dispositions d’ordre public de l’article 1104 du code civil sur l’obligation de bonne foi aux stades de la négociation, de la formation et de l’exécution des contrats, pourront aussi être invoquées pour inciter une partie à accepter de renégocier les termes d’un contrat en cours en raison des conséquences imprévues de cette crise sanitaire inédite[10].


[1] Il convient de préciser que l’ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette période, prévoit que les clauses sanctionnant l’inexécution d’un débiteur (notamment, astreinte, clause pénale, clause résolutoire) sont paralysées entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Lien vers l’ordonnance :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000041756550&dateTexte=20200406

[2] CA Besançon, 8 janvier 2014 – n° 12/02291 ; CA Paris, 29 juin 2006 – n° 04/09052 ; CA Saint-Denis de la Réunion, 29 décembre 2009 – 08/02114 ; CA Basse-Terre, 17 décembre 2018 – n° 17/00739 ; CA Paris, 25 septembre 1998 – n° 1996/08159.

[3] CA de Colmar, 12 mars 2020 – n° 20/01098 : « Ces circonstances exceptionnelles, entraînant l’absence de M.  G. à l’audience de ce jour revêtent le caractère de la force majeure, étant extérieures, imprévisibles et irrésistibles, vu le délai imposé pour statuer et le fait que, dans ce délai, il ne sera pas possible de s’assurer de l’absence de risque de contagion et de disposer d’une escorte autorisée à conduire M. G. à l’audience. De plus, le CRA de Geispolheim a indiqué ne pas disposer de matériel permettant d’entendre M.  G. dans le cadre d’une visio-conférence, ce dont il résulte qu’une telle solution n’est pas non plus envisageable pour cette audience ».

[4] CA Rouen, 16 septembre 2004 – n° 03/01728.

[5] A titre d’illustration, une décision des autorités publiques ayant pour effet d’annuler de manière imprévisible et irrésistible des autorisations et permis accordés précédemment exonèrent le débiteur de son obligation (Cass. Civ. 3ème, 1er juin 2011 – n° 09-70.502).

[6] Pour rappel, l’article 1229 alinéas 3 et 4 du code civil dispose que « lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation. Les restitutions ont lieu dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 ».

[7] Cass. Com., 29 juin 2010 – 06-67.369.

[8] Cass. Com., 15 mars 2017 – 15-16.406. 

[9] CA Nancy, 26 septembre 2007.

[10]  Article 1104 du code civil : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ».