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Publié le 28 février 2022 par Soulier Avocats

Les enjeux de la conformité dans le cadre des opérations de fusions acquisitions

La loi pour la transparence, l’action contre la corruption et la modernisation économique du 9 décembre 2016 (n°2016-1691), dite « Sapin II », a doté la France d’outils innovants permettant notamment de détecter, de prévenir et de sanctionner la corruption et les manquements à la probité. 

Le renforcement de l’arsenal répressif pour mieux agir contre la corruption constitue un des piliers majeurs de cette loi, et les risques attachés au non-respect des règles relatives à la conformité (également appelée « Compliance ») peuvent s’avérer dissuasifs pour des acheteurs dans le cadre d’opérations de fusions ou acquisitions.

L’article 17 de la loi Sapin 2[1] impose aux dirigeants des sociétés et des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) répondant à certains critères une obligation de vigilance ainsi que la mise en place de procédures destinées à prévenir et à détecter la commission en France ou à l’étranger des faits de corruption ou de trafic d’influence. Il est applicable sur tout le territoire Français mais également partout où les organisations susceptibles d’être concernées exercent une activité, y compris à l’étranger.

Sont notamment directement visées par la loi les entreprises de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros.

L’Agence française anticorruption (AFA) est chargée de contrôler le respect de cette obligation.

Les opérations de fusions acquisitions sont des opérations souvent complexes, dont les enjeux financiers, juridiques et opérationnels les placent au cœur du dispositif anticorruption. Ainsi, lorsque la cible française est soumise à la loi Sapin II, l’acquéreur devra s’assurer qu’elle a bien mis en place un plan de prévention de la corruption, conforme au dispositif de la loi.

Pour les sociétés cibles ne rentrant pas dans le périmètre de la loi (si elles n’atteignent pas les seuils ou s’il s’agit d’une société étrangère), l’acquéreur potentiel devra identifier en amont leur implication éventuelle dans un cas de corruption ou de trafic d’influence et s’assurer que le programme de conformité applicable au sein des cibles concernées est compatible avec les meilleurs standards et la règlementation en vigueur en la matière.

Afin d’accompagner les différents acteurs et leurs conseils dans la mise en place des vérifications anticorruption dans le cadre des fusions acquisitions, l’AFA a établi le 17 janvier 2020 un Guide Pratique, mis à jour le 12 mars 2021[2].

Selon l’AFA ces « vérifications doivent permettre d’affiner la connaissance de la cible afin d’évaluer et de mesurer les risques encourus en cas d’acquisition ou de fusion et d’anticiper son intégration dans le dispositif anticorruption de l’acquéreur si l’opération est conclue ».

De telles vérifications consistent en pratique dans la réalisation d’une due diligence dite « éthique et compliance » dont l’acquéreur doit sérieusement envisager l’opportunité afin de réaliser les opérations concernées en protégeant les intérêts des entreprise impliquées.

Les enjeux d’un audit de compliance ou d’évaluation d’intégrité sont de plusieurs ordres et diffèrent selon la chronologie du processus de déroulement de l’opération de fusion acquisition.

Ainsi, sur un plan financier, les vérifications anticorruption sont susceptibles, préalablement à la réalisation de l’opération (soit avant le signing ou entre le signing et le closing), d’aider l’acquéreur et ses conseils dans l’évaluation de la cible et d’influer sur le prix de la transaction. Tel sera le cas si la cible fait l’objet d’une enquête pour corruption, avec le risque de sanctions pénales et d’atteinte à la réputation de l’acquéreur. Par ailleurs, l’inexistence ou l’insuffisance d’un dispositif anticorruption au sein de la cible pourra être générateur de frais importants de mise en conformité par l’acheteur après l’acquisition et de frais de défense en cas de poursuites ou d’investigations internes.

Ces vérifications pré-acquisition permettront également à l’acquéreur d’identifier d’éventuels risques attachés à la mise en jeu de sa responsabilité juridique pour des faits de corruption ou de manquements à l’article 17 de la loi Sapin 2, commis par l’entreprise fusionnée ou acquise avant l’opération.

Ces risques juridiques sont de plusieurs ordres. Ils peuvent résulter des sanctions prononcées par l’AFA suite à un contrôle de conformité de la société cible, mais également de la mise en jeu de la responsabilité civile de l’acquéreur à raison de la participation de cette dernière à des faits de corruption avant l’opération. Enfin, les vérifications anticorruption peuvent permettre d’identifier d’éventuels risques de sanctions pénales encourues par le vendeur et l’acheteur, toujours pour des faits commis antérieurement à l’opération.

Nous aurons l’occasion de développer plus avant dans le cadre de prochaines publications ces différentes typologies de responsabilité juridiques ainsi que leurs conséquences à l’égard de la société cible, de ses dirigeants et/ou de l’acquéreur en fonction du montage retenu (transmission de patrimoine via une fusion ou absorption, ou transfert de propriété des titres de la cible).

Relevons toutefois que tirant les conséquences d’un arrêt rendu le 25 novembre 2020 par la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, qui a opéré un revirement de sa jurisprudence en matière de transfert de responsabilité pénale lors d’une opération de fusion par absorption entre sociétés anonymes et sociétés par actions simplifiées[3], le Guide Pratique de l’AFA précise que la société absorbante peut, sous certaines conditions, faire désormais l’objet d’une condamnation pénale pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée antérieurement à l’opération.

On mesure alors tout l’enjeu des vérifications anticorruption dans la cadre des opérations de fusions acquisitions et du rôle essentiel des instances dirigeantes des entités concernées dans le processus de contrôle, rôle que l’AFA qualifie de « véritable engagement » et « d’élément fondateur de la démarche de prévention et de détection de la corruption ».


[1] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000033562135

[2] https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/files/Guide%20pratique%20fusacq%202021-02%20DEF-2-19.pdf (version française)

https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/files/Practical%20Guide%202021%20FUSACQ.pdf (version anglaise)

[3] Cf. notre article intitulé Fusion-absorption : un revirement de jurisprudence en matière de transfert de responsabilité pénale publié sur notre Blog le 26 février 2021