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Publié le 1 octobre 2010 par Jean-Luc Soulier

Les préconisations du rapport « FRS » du 20 septembre 2010 sur l’appréciation de la sanction en matière de pratiques anticoncurrentielles

L’affaire du « cartel de l’acier » a mis en lumière les divergences d’appréciation entre l’Autorité de la concurrence et la Cour d’Appel de Paris en matière de sanction à infliger à des entreprises s’étant rendues coupables de pratiques anticoncurrentielles. Dans cette affaire, la Cour d’Appel de Paris avait divisé par huit la sanction prononcée de prime abord par le Conseil de la concurrence (devenu Autorité de la concurrence) dans sa décision n°08-D-32[1].

Face à ce « manque de prévisibilité et de sécurité juridique dans le mode de calcul des amendes », le Ministre de l’Economie, Madame Christine Lagarde, a confié à trois experts la mission de proposer une méthode d’évaluation des sanctions des pratiques anticoncurrentielles en France visant à les rendre « toujours plus efficaces et dissuasives, mais également prévisibles, si possible avant la fin de l’année 2010 ».

Après cinq mois de consultations et d’auditions des personnes faisant autorité en droit de la concurrence, le rapport « FRS »[2] a été remis, le 20 septembre 2010, au ministre de l’Economie avec un certain nombre de préconisations s’inspirant fortement des solutions prescrites par le droit communautaire et issues de la pratique décisionnelle de la Commission européenne[3].

Les recommandations formulées par le rapport améliorent effectivement la prévisibilité des sanctions et donc la sécurité juridique des entreprises en préconisant un débat contradictoire autour des sanctions pouvant être infligées dès le début de la procédure (1) et en clarifiant la méthode de calcul des sanctions en matière de pratiques anticoncurrentielles (2).

1-  Les sanctions susceptibles d’être infligées doivent être évoquées très rapidement dans le cadre de la procédure

Compte tenu du caractère quasi-pénal des sanctions prononcées en matière de pratiques anticoncurrentielles, le rapport considère que « la question de la sanction n’est abordée que très tard dans la procédure », ce qui préjudicie aux droits de la défense.

En effet, si la notification de griefs aborde dans des termes très généraux la question de la sanction, les parties n’en prennent pleinement connaissance qu’au moment où la décision est rendue.

Le rapport prend en compte les demandes insistantes des personnes auditionnées relatives à l’instauration d’un débat contradictoire sur les sanctions envisagées (compte tenu du caractère imprévisible de leur appréciation et du niveau élevé des amendes prononcées) aussi tôt que possible dans la procédure.

Ainsi le rapport retient que « les entreprises doivent bénéficier des garanties d’un procès équitable et avoir la possibilité de se défendre dès la notification précise des griefs retenus, et en tout cas au plus tard au stade de la communication du rapport, sur l’appréciation du dommage à l’économie, sur les sanctions envisagées et sur les critères retenus pour le calcul de l’amende le cas échéant ».

En conséquence, le rapport préconise «  qu’un débat contradictoire sur la sanction ait lieu plus tôt dans la procédure. Un instrument de référence tel que des lignes directrices pourrait prévoir que le rapporteur fasse connaître, au stade du rapport, outre son appréciation du dommage à l’économie, la nature de la sanction qu’il préconise et, s’il s’agit d’une amende pécuniaire, une fourchette de son montant ».

2-  La méthode de calcul des sanctions infligées est clarifiée

a) L’absence de méthode de calcul à proprement parler en France: la seule application des critères de l’article L.464-2 du Code de commerce

Contrairement à ce qui existe au niveau communautaire[4], il n’existe aucune méthodologie de calcul des sanctions en France, ce qui est un facteur d’imprévisibilité et d’insécurité juridique pour les entreprises.

Ainsi que le rappelle le rapport FRS, « le principal instrument utilisé en France pour sanctionner les pratiques anticoncurrentielles est l’amende, fondée sur quatre éléments : gravité de la pratique, importance du dommage causé à l’économie, situation individuelle de chaque entreprise et éventuelle réitération (voir l’article L.464-2 du Code de commerce[5]). Ce dispositif laisse une grande latitude sur la méthode retenue pour le calcul de la sanction ».

Ces critères sont communément utilisés par la plupart des autorités de la concurrence au sein de l’Union Européenne, à l’exception du « dommage à l’économie » qui reste une notion assez controversée, et pour cause.

Le dommage à l’économie, en tant que critère de détermination du montant de la sanction approprié, est très difficile à apprécier, au plan économique. Le rapport « FRS »retient d’ailleurs que « c’est sans doute parce qu’elles sont conscientes de ces difficultés pratiques que l’Autorité de la concurrence, comme la Cour d’appel, en accord sur ce point, s’abstiennent de quantifier le « dommage à l’économie » mentionné dans l’article L.464-2 du Code de commerce ».

La Cour de cassation, jusque là assez libérale dans l’appréciation du dommage à l’économie, acceptait, comme le rappelle le rapport « FRS », que ce critère « soit simplement caractérisé en fonction d’un certain nombre de facteurs tels que la taille du marché concerné, le type de pratique en cause, les effets conjoncturels de la pratique, sa durée et les caractéristiques du secteur concerné ». Il n’était pas nécessaire que le dommage à l’économie soit quantifié et il était, de fait, présumé dans le cadre d’ententes illégales.

Néanmoins, dans un arrêt récent[6], la Cour de cassation revient sur cette approche trop souple et refuse désormais que le dommage à l’économie soit présumé (en cas d’entente illicite) ou que son étendue ne soit pas démontrée sur la base de variables économiques.

Cela oblige désormais l’Autorité de la concurrence – si ce n’est à quantifier – à évaluer le dommage à l’économie eu égard à certaines variables économiques, telles que la sensibilité de la demande au prix.

Aux termes du rapport, il apparaît donc que les critères d’appréciation des sanctions tels qu’énoncés à l’article L. 464-2 du Code de commerce « sont très généraux et ne permettent que très peu de prévisibilité quant à la sanction encourue ». C’est la raison pour laquelle le rapport promeut, à l’instar de ce qui se passe dans d’autres places de concurrence européennes, l’élaboration d’un mode de calcul des sanctions.

b) L’ébauche d’une méthode de calcul des sanctions par le rapport « FRS »

Ainsi que le souligne le rapport – après s’être livré à une analyse comparée des droits nationaux de la concurrence en Europe – la plupart des autorités de la concurrence dans l’Union européenne suivent une méthode, en général précisée dans des lignes directrices, selon laquelle l’amende est calculée sur un certain pourcentage du montant des ventes concernées.

C’est cette acception qui est retenue dans le cadre du rapport lequel préconise que la sanction appropriée soit calculée selon la méthode suivante :

(i) le calcul s’établit d’abord à partir d’un montant de base correspondant à un pourcentage de la valeur des ventes des produits ou services concernés par la pratique anticoncurrentielle (par exemple, pourcentage compris dans une fourchette de 5 à 15% de la valeur des ventes, en fonction de la gravité de la pratique en cause). Aux termes du rapport, il faut tenir compte du chiffre d’affaires véritablement affecté par la pratique (et non pas de la totalité du chiffre d’affaires de l’entreprise auteur de la pratique et encore moins du chiffre d’affaires consolidé du groupe auquel elle appartient).

(ii) ce montant de base est ensuite pondéré en fonction de circonstances atténuantes ou aggravantes.

Certaines de ces circonstances sont « classiques » telles que :

  • la durée de la pratique : le rapport se montre, en particulier, favorable à la méthode espagnole (avec une dégressivité toutefois moindre) qui applique un coefficient multiplicateur au nombre d’années pendant lesquelles la pratique a duré. Le montant obtenu serait ajouté au montant de base ;
  • la coopération, non-coopération ou entrave à l’enquête ;
  • la situation économique et financière de l’entreprise concernée ;
  • la réitération de la pratique ;
  • le rôle de leader dans la pratique incriminée.

Le rapport préconise également de prendre en compte d’autres circonstances telles que :

  • la marge moyenne du secteur concerné : aux termes du rapport, le chiffre d’affaires d’une entreprise n’est pas nécessairement représentatif de la rentabilité d’un secteur. Avec un même chiffre d’affaires, les entreprises du secteur du luxe ou de la grande distribution ne dégagent pas le même profit. La marge moyenne apparaît plus révélatrice du niveau de profitabilité retirée par une entreprise qui participe à une pratique incriminée ;
  • le montant des indemnisations des victimes proposées directement par une entreprise dans le cadre de la procédure administrative devant l’Autorité ; étant précisé que ce type de propositions intervient rarement en amont de la décision administrative et qu’elles font, en général, l’objet de tractations confidentielles. Toujours est-il que l’Autorité est encouragée à tenir compte d’éventuelles autres sanctions prononcées afin d’éviter la « double peine », dans le respect du principe non bis in idem ;
  • l’existence ou non de programmes de conformité réels et sérieux et leur mise en œuvre efficace ;
  • le dommage à l’économie : compte tenu de son caractère mouvant tel que rappelé ci-dessus,  le rapport considère que le dommage à l’économie « ne devrait donc intervenir qu’au stade des pondérations, comme circonstance atténuante ou aggravante, dans les seuls cas où il peut être véritablement identifié ».

c) autres précisions quant à la détermination et l’application des sanctions

  • A l’instar du droit communautaire, le plafond légal des sanctions institué par l’article L.464-2 du Code de commerce (cf. note de bas de page 5) doit être considéré comme une limite à ne pas dépasser et non comme le point de départ du calcul des sanctions.
  • Seule la société auteur de la pratique doit être incriminée et sanctionnée de ce fait : « la responsabilité de la société mère ne doit être retenue que lorsque celle-ci a été indifférente quant aux agissements de sa filiale ou négligente dans la mise en œuvre au sein du groupe d’un programme sérieux de prévention des pratiques anticoncurrentielle, avait connaissance des pratiques ou participé à l’infraction ». En cela, le rapport s’inscrit dans la droite ligne de la pratique décisionnelle de l’Autorité.
  • S’agissant des restrictions verticales (hors cartels), le rapport envisage la possibilité de recourir au sursis, aux lieu et place d’une sanction, en cas de première infraction. Ce sursis (associé à une éventuelle mise à l’épreuve) serait subordonné à l’adoption par l’entreprise de programmes de conformité adaptés et d’engagements de non-réitération.
  • Dans la recherche de l’imputabilité des pratiques à la personne (physique ou morale) qui les a véritablement perpétrées, le rapport suggère l’application de sanctions individuelles diverses telles que : amendes, interdiction de gérer, d’exercer des mandats sociaux (…) Il ne paraît pas toujours juste qu’une entreprise ait financièrement à supporter les agissements anticoncurrentiels autonomes et isolés d’un de ses employés.

Ce rapport tient compte incontestablement des inquiétudes et appréhensions des entreprises quant à l’absence de prévisibilité et de rationalité du calcul des sanctions en droit français de la concurrence. Pour Christine Lagarde, ce rapport « constitue une solide base pour l’élaboration des lignes directrices par l’Autorité de la concurrence » laquelle devrait, en conséquence, lancer rapidement l’élaboration de lignes directrices que le Ministre de l’Economie souhaite voir paraître avant la fin de l’année 2010. Affaire à suivre donc.

 


[1] Décision n°08-D-32 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du négoce de produits sidérurgiques : aux termes de cette décision, le Conseil de la Concurrence avait sanctionné, à hauteur de 575,4 millions d’euros, 11 entreprises du négoce de produits sidérurgiques et le syndicat de la profession (FFDM) pour avoir mis en place – entre 1999 et 2004 – un cartel portant à la fois sur les prix, les clients et les marchés. La Cour d’Appel de Paris a, dans un arrêt du 19 janvier 2010, réformé la décision en réduisant les sanctions prononcées à 72 millions d’euros.

[2] Ces initiales renvoient aux noms des auteurs de ce rapport dont l’élaboration a été confiée à trois personnalités : Jean-Martin Folz (ancien président du directoire de PSA), Christian Raysseguier (premier avocat général près la Cour de cassation) et Alexander Schaub (avocat et ancien directeur général de la concurrence puis du marché intérieur à la commission européenne).

[3] Cette forte influence du droit communautaire dans l’appréciation du mode de calcul des sanctions s’explique, pour les auteurs du rapport, par le fait que « l’effet direct du droit de l’Union européenne au niveau national et l’application des articles 101 e 102 du Traité de Lisbonne par les juridictions et autorités nationales de concurrence imposent une certaine cohérence dans la politique de sanction des Etats membres. Dans ce contexte juridiquement contraignant, il serait difficile pour un Etat membre d’appliquer une politique de sanction en contradiction avec les principes européens ».

[4] La Commission européenne s’est en effet dotée de lignes directrices, en 1998 et en 2006, précisant le mode de calcul habituellement employé.

[5] L’article L.464-2 alinéa 3 et 4 du Code de commerce dispose que : « les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.
Si le contrevenant n’est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d’euros. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10% du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos  depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l’entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante ».

[6] Dans son arrêt du 7 avril 2010, la Cour de cassation retient que :
« Vu l’article L. 464-2 du code de commerce ;
Attendu qu’il résulte de ce texte que le montant de la sanction d’une pratique, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, doit être proportionné à l’importance du dommage causé par cette pratique à l’économie ; que ce dommage ne saurait être présumé ;
Attendu que pour rejeter le recours formé par la société Orange, l’arrêt retient que le Conseil a fait une exacte appréciation du dommage à l’économie provoqué par l’échange d’informations, étant observé que l’existence d’un dommage à l’économie est présumée dans le cas d’une entente ;
Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé (…)
Vu l’article L. 464-2 du code de commerce ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l’arrêt retient encore que les éléments qui permettent de mesurer l’importance du dommage causé à l’économie sont suffisants, le Conseil ayant notamment relevé que la taille du marché était très importante et que la totalité des opérateurs intervenants sur ce marché avait participé à l’échange d’informations ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans tenir également compte de la sensibilité de la demande au prix, la cour d’appel a privé sa décision de base légale
 » ; (soulignements ajoutés).